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Pépites bibliques

Pépites Bibliques

La pépite biblique du moment

Faire connaître 100 textes (et plus !) en donnant quelques clefs de lecture : c’était là notre idée de départ...
Alors qu’ils suscitent tant d’enthousiasme en chacun de nous personnellement, pourquoi attendre qu’ils soient tous rassemblés avant de vous les délivrer ? Et l’idée est née de partager notre travail au fur et à mesure : certains lecteurs y retrouveront des références maintes fois entendues, d’autres au contraire découvriront peut-être certains récits pour la toute première fois...
Ces nouvelles propositions sont le fruit d’une synthèse à quatre mains : deux mains y travaillent patiemment depuis plus de 30 ans, les deux autres viennent fouiller dans les différents supports de ces 30 ans (leçons bibliques, sermons, vidéos) pour essayer d’en retirer la substance nous permettant de donner un sens profond (ou parfois même plusieurs sens) à chaque récit biblique indiqué.
Certaines compréhensions paraîtront classiques, d’autres sans doute un peu moins habituelles : nous souhaitons qu’elles permettent au lecteur de s’intéresser encore davantage au message de vie que la Bible nous donne.
Ces textes seront présentés de manière aléatoire, comme une chronique, peut-être une pépite du moment ?

 Muriel Bernhardt - Louis Pernot

Jésus et Nicodème : un dialogue nocturne étrange

Jean 3:1-7,16

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Jésus et Nicodème

 Le dialogue très étrange entre Jésus et Nicodème amènera Jésus à prononcer ce très célèbre verset, maintes fois dit, appris et répété dans les milieux « chrétiens » : « Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle »(Jean 3:16). Si cette phrase peut être difficile à comprendre, tout le dialogue qui la précède conduit d’emblée Nicodème dans l’incompréhension totale. Ce pharisien, pourtant un chef parmi les juifs, est venu trouver Jésus pour essayer de comprendre les signes nouveaux (l’évangile de Jean parle de signes, du grec semeion, et non de miracles). Mais finalement, Jésus lui donne une explication qui le perd totalement, en introduisant notamment la notion de « nouvelle naissance ».

Le questionnement légitime de Nicodème

Nicodème est donc un expert de la tradition juive et de la Torah, la loi juive. Jésus connaissait bien le mode de réflexion de la tradition rabbinique. Les pharisiens étaient ces juifs intégristes, ou traditionalistes, de l’époque de Jésus. Ils étaient en réalité les ennemis de Jésus, le considérant comme bien trop laxiste par rapport à l’application de la Loi. Ce sont eux qui le feront tuer.

Nicodème a un nom qui interroge : demos, le peuple en grec, est associé à nikein, verbe signifiant diriger, ou vaincre, asservir, un programme presque contradictoire sur son rapport au peuple. Est-ce qu’il dirige, ou est-ce qu’il opprime le peuple ? Cette contradiction dans son nom illustre un peu le profond questionnement de Nicodème : dès l’Ancien Testament, il est question de signes de Dieu envers son peuple, et il voudrait comprendre le sens nouveau.

Le signe est une question en soi. Les rabbins disent que la première occurrence d’un mot dans la Bible en donne le sens principal. Dès le premier chapitre de la Genèse, il est question des luminaires (soleil et lune) comme « signes » indiquant le jour et la nuit (Gen 1:14). Des signes comme l’arc-en-ciel ou la circoncision rappellent l’alliance de Dieu avec son peuple. D’autres signes invitent à la libération du peuple, ainsi les dix plaies d’Égypte du temps de Moïse. Fort de ces interprétations des signes, Nicodème voit les signes accomplis par Jésus : seraient-ils annonciateurs d’une nouvelle lumière ?

Alors il se rend chez Jésus de nuit. Se cache-t-il par peur du jugement des autres ? Ou est-ce simplement parce que dans le judaïsme, on travaillait de jour et on étudiait la Bible de nuit ? Calvin, un des grands réformateurs du XVIe siècle, a lutté contre les protestants « nicodémites », qui avaient peur des persécutions et qui faisaient semblant d’être catholiques le jour pour pratiquer leur religion uniquement la nuit, en cachette. Nicodème a-t-il peur des autres pharisiens en n’assumant pas ses convictions ? Pressent-il une lumière dans la nuit ?

Jésus, un maître légitime

Car Nicodème s’approche de Jésus en le flattant et en reconnaissant son autorité. Il interpelle Jésus en l’appelant Rabbi, un mot araméen signifiant maître, qui a donné le mot rabbin, (on le trouve parfois dans l’Évangile sous son diminutif rabbouni). Nicodème reconnaît Jésus comme didaskalos, mot grec indiquant que Jésus était un enseignant, un détenteur d’une science. Ce faisant, Nicodème donne à Jésus une légitimité, comme un maître formidable qui vient de Dieu.

Nicodème ne pose pas directement de question, mais en s’adressant à Jésus comme il le fait, il semble attendre une, voire des réponses. Nicodème reconnaît la valeur des actes de Jésus, et il attend que Jésus lui en enseigne le sens. Il demande à Jésus ce qu’il y a de plus important selon lui, quelle est la chose la plus essentielle pour le sens de la vie.
Et Jésus va lui « répondre », Jésus va lui donner une vérité à suivre, une sorte de nouvelle libération, de joie et de vie, à l’image des signes que Nicodème cite, qui préfigurent peut-être le signe d’un nouveau mode de relation à Dieu, d’une nouvelle alliance. Dans le texte originel, il est écrit : « Amen, amen je te le dis ». Amen est un mot araméen signifiant « c'est vrai ». On peut ainsi traduire par « En vérité, en vérité, je te le dis », une formule de Jésus pour exprimer qu’il va dire quelque chose de très important.
Mais par sa réponse, Jésus va complètement désarçonner Nicodème, car Jésus sort radicalement de la notion d’obéissance, il sort d’une religion d’observance de la Loi, du simple respect d’un code moral, pour arriver à quelque chose de beaucoup plus profond, qui est de l’ordre de la refondation totale de l’être, d’un changement en profondeur de l’intérieur de l’être humain.

Jésus répond qu’il faut « naître de nouveau », ce que Nicodème interprète d’emblée dans une logique génétique, celle de retourner dans le ventre de sa mère… et qui est impossible ! En bon juif, Nicodème croyait à la nécessité de l’ascendance généalogique pour appartenir au peuple élu, ce que réfute ici Jésus, quand il explique que pour accéder au royaume de Dieu, à cet idéal, à ce projet de paix, de justice et de fraternité pour le monde, il faut naître spirituellement. Jésus utilise un terme grec, anothen, qui signifie à la fois « de nouveau » et « d’en haut », ce jeu de mots permettant une compréhension plus large de la « vérité » ici apportée.

Une nouvelle naissance légitime

Chaque homme naît comme un petit animal, comme un mammifère. Mais selon Jésus, pour devenir un humain accompli, il convient de naître « d’eau et d’esprit », d’ajouter une autre dimension à notre vie biologique, en grandissant spirituellement.

Certains chrétiens parlent de conversion quand, n’étant pas chrétien avec une vie mauvaise, quelqu’un se convertit au Christ, et change de vie et d’orientation, rompt totalement avec son passé : cela se dit « né de nouveau », « born again » aux USA (« re-né »). On comprend alors ce que signifie là « naître de nouveau ».

Mais sans aller jusqu’à une telle conversion, car certains sont nés dans la marmite comme Obélix, ayant grandi dans des milieux déjà « chrétiens », comment interpréter alors cette « nouvelle naissance » ? Dans l’évangile de Jean, il s’agit de fonder sa vie sur une source fondamentale, en se nourrissant régulièrement de cette « Parole » du Christ qui transforme, en se nourrissant de ces textes bouleversants pour transformer l’être profond.

Naître d’en haut, c’est se rendre disponible pour accueillir une nouvelle dimension dans notre vie, c’est toucher la « vie éternelle » dès à présent (non comme une sorte de vie après la mort). Le baptême ne donne pas la nouvelle naissance, mais l’eau du baptême représente la grâce et l’amour de Dieu, et se savoir aimé par Dieu, pardonné et accepté, permet de dépasser le seul monde du profit, du pouvoir et du matérialisme. L’Esprit, c’est le vent, la force de Dieu qui donne la vie, c’est la puissance du feu qui fait avancer un moteur.

« Naître d’eau et d’esprit » : par cette réponse révolutionnaire à Nicodème, Jésus invite l’être humain à travailler sa relation à Dieu. Et de même qu’il faut des années pour passer de l’enfance à l’âge adulte, il s’agit d’entretenir et d’entraîner continuellement la vie spirituelle, pour qu’elle progresse et grandisse. Pour grandir dans l’esprit et dans la foi, il faut de la nourriture et de l’entraînement : la prière, l’étude de la Bible, la réflexion, la pratique au temple, la patience… Nourrir notre foi en « mangeant le Christ ».
C’est assez difficile à comprendre. Nous ne sommes pas les seuls à avoir du mal : Nicodème ne comprend rien à ce que Jésus lui dit. Mais la petite graine grandira et fera grandir en nous l’amour, l’esprit, le don de soi… Ainsi cette « conversion » n’est pas un acte terminé, mais elle est toujours à refaire, toujours en devenir, animée par la promesse que « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. »

Muriel Bernhardt - Louis Pernot

 

 

Le sacrifice d’Isaac : l’erreur d’Abraham ?

Genèse 22:1-19

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Le sacrifice d'Isaac

 En hébreu, « Isaac » signifie « j’ai bien ri », en référence au rire de Sarah, sa mère, à l’annonce de la naissance de son fils alors qu’elle était déjà très avancée en âge, et sans doute bien trop vieille pour procréer. Elle avait d’ailleurs déjà envoyé son mari vers Agar, une servante égyptienne, afin d’assurer leur descendance, et Ismaël était né, aujourd’hui considéré comme l’ancêtre des musulmans. Mais l’épisode bien connu des trois « hommes-anges » venus annoncer à Abraham la réalisation de la promesse de Dieu, celle d’avoir une descendance nombreuse (avec Sarah !), avait pourtant été suivi de cette naissance quasi-miraculeuse, et Isaac est né ! Mais si Sarah a ri devant la promesse de cet enfant, l’épisode de ce très célèbre « sacrifice d’Isaac » semble bien moins amusant et peut susciter notre incompréhension totale !

Le sacrifice incompréhensible

Comment Dieu peut-il demander à Abraham un geste aussi insupportable, celui de tuer son propre fils, pourtant tellement attendu, voire inespéré ? A l’époque d’Abraham, on pratiquait précisément le sacrifice des enfants, notamment des garçons premiers-nés. Il ne s’agissait donc pas forcément d’une demande curieuse de la part de Dieu, puisque cela était répandu en Canaan en l’honneur du dieu Moloch (cf Lévitique 18:21). Abraham connaissait cette habitude païenne, aussi celle d’enfermer le premier-né dans la pierre angulaire de la maison en construction pour la protéger.

Abraham était très obéissant et il avait compris qu’il devait faire ce que Dieu lui demandait, aussi quand il a entendu Dieu lui demander d’offrir son fils en « holocauste », il a immédiatement pensé au sacrifice où la victime est entièrement consumée pour qu’il n’en reste rien, en opposition aux sacrifices dont on consommait la viande, ici, tout monte en fumée. Le terme a ensuite été réutilisé pour parler de la volonté d’extermination des juifs par les nazis, pour qu’il ne reste aucun juif.

Traditionnellement, on explique cet épisode par la volonté de Dieu de tester Abraham, de tester sa foi. On parle de la tentation d’Abraham. Dieu éprouve Abraham et lui demande ce qu’il a de plus précieux pour voir s’il est prêt à tout pour lui obéir. Et Abraham est prêt à sacrifier pour Dieu ce qu’il aime le plus au monde : son fils. C’est une preuve de foi et de fidélité extraordinaires : Dieu, c’est donc ce qui est central dans la vie, ce qui est la raison d’être, le sens de la vie.

Il y a eu beaucoup d’exemples dans l’histoire de personnes qui sacrifient à Dieu leurs biens les plus précieux, leur confort, leur situation, leur fortune, et même leur propre vie pour aider les autres, ou être fidèles à la volonté de servir. Et nous, à quels sacrifices sommes-nous prêts ? Donner du temps ? Des biens ? De l’argent ?

Finalement, Dieu arrêtera Abraham à temps, évidemment, il ne voulait pas la mort de l’enfant.

Dieu connaît l’homme et il a besoin de lui

Certains chrétiens pensent que Dieu envoie des épreuves ou des difficultés pour tester la fidélité et la confiance en lui. En fait, Dieu n’a pas besoin de cela et ne nous envoie pas le mal. Dieu sait bien ce qu’il y a au fond du cœur de chacun. C’est en ce sens que la demande du Notre Père, « ne nous soumets pas à la tentation », a été remplacée par « ne nous laisse pas entrer dans la tentation », car l’ancienne version laissait supposer que Dieu était à l’origine de la tentation. Or Dieu est plus celui qui peut nous libérer de la tentation ou de l’épreuve que celui qui nous y conduirait. Il semble difficile de croire en un Dieu qui organiserait quelque chose d’aussi violent et pervers pour ce fils tant attendu, jusqu’à infliger des traumatismes presque irréversibles pour ses fidèles.

En partant du sens de « holocauste », quelque chose qu’on fait monter vers Dieu, on peut comprendre qu’il ne s’agit pas de tuer en réalité, bien au contraire. Abraham peut avoir mal compris la demande de Dieu. Dans ce récit du sacrifice d’Isaac, le terme hébreu utilisé, Le̒oLaH, signifie littéralement « pour monter ». Au lieu du sacrifice humain, ne s’agirait-il pas plutôt de la consécration à Dieu du fils d’Abraham, ce qui change tout ? « Fais monter ton fils vers moi, va et élève-le, fais-le monter plus haut, fais-lui découvrir une dimension spirituelle » serait une interprétation peut-être plus plausible. Car Dieu ne souhaite pas la mort de l’homme, mais bien au contraire la vie de l’homme au service de Dieu, dans la joie de Dieu. Il y a un autre moyen de consacrer son enfant à Dieu que de le tuer, contrairement au paganisme auquel Abraham était habitué.

Faire monter son enfant vers Dieu, élever son enfant à Dieu, c’est plutôt lui enseigner les fondements de l’Evangile : l’amour, la générosité, la bonté, le service à l’autre, la prière ! Dieu ne nous demande pas de mourir pour bien vivre ! Car justement, l’enfant en chacun de nous, c’est cette meilleure part de nous-mêmes, notre âme, notre vie qui est appelée à s’élever à Dieu (Psaume 131:2). Consacrer notre enfant à Dieu, c’est commencer par nous consacrer nous-mêmes à Dieu.

Abraham accepte de changer

Dieu demande à Abraham de lui consacrer un fils vivant : il casse les traditions et les codes de l’époque ! Et il demande à Abraham de modifier sa manière de croire : les sacrifices humains sont abolis. D’abord remplacés par des sacrifices d’animaux en Israël, les sacrifices seront relativisés par Jésus Christ qui prêche l’amour au lieu du sacrifice. Aujourd’hui, les juifs ne pratiquent plus non plus de sacrifices.

Une certaine tradition juive dit que l’épreuve n’est pas faite pour apprendre quelque chose à Dieu, mais pour faire découvrir à l’homme une vérité sur lui-même qu’il ignorait. Ici, Abraham a eu besoin de comprendre quelque chose pour progresser ! Car il était enfermé dans une certaine tradition, à l’image de l’âne qu’il a sanglé (l’âne représentant la nature physique de l’être), comme si la nature terrestre d’Abraham était ficelée ! De même, il charge Isaac d’un fardeau bien lourd et écrasant, celui du bois de l’holocauste, représentant peut-être toutes les règles, les contraintes, les idéaux trop élevés que nous nous imposons et que nous imposons parfois aux autres, jusqu’à les paralyser ou les immobiliser (dans la tradition juive, ce récit est d’ailleurs appelé « la ligature d’Isaac »). Abraham s’obligeait même au mensonge en promettant aux serviteurs qu’il reviendrait avec Isaac, alors qu’il n’en croyait rien ! De tout cela, Dieu le libère en intervenant in extremis pour empêcher la mort d’Isaac.

Se consacrer à Dieu, ce n’est pas s’empêcher de vivre, mais c’est plutôt mettre sa vie au service de quelque chose de plus grand !

C’est avec Isaac qu’Abraham ira donc offrir le bon sacrifice à Dieu : ainsi, le but n’est pas de renoncer à vivre, mais d’avancer en harmonie avec les différentes dimensions de son existence et ainsi de servir Dieu, avec toutes les composantes qui entourent notre vie, vivre d’une certaine manière. Dieu nous offre la liberté, l’épanouissement de notre vie, dans toute son originalité, avec ses imperfections, et comme Isaac, notre vie terrestre sera notre partenaire devant Dieu !

Parfois, on peut mal comprendre ou interpréter la volonté de Dieu, mais Abraham a accepté de se lever de bon matin et de partir, et de se laisser bousculer par Dieu. Il n’est pas resté sur place, il est « monté », il a marché, et il a compris, grâce à Dieu, qu’il ne fallait pas tuer son fils en s’enfermant dans un intégrisme dévastateur ! Abraham a accepté de remettre en cause ses principes et ses certitudes : on a le droit de se tromper dans la vie, mais on a aussi le devoir d’apprendre à changer en restant en éveil, à l’écoute de Dieu, comme Abraham, l’araméen nomade, ce père en marche toute sa vie, non pas pour la mort, mais pour la vie !

« Ce que je veux, c’est l’amour, et non pas les sacrifices » (Osée 6:6 et Matthieu 12:7).

Muriel Bernhardt - Louis Pernot