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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Zachée, un élan vers le haut

Luc 19:1-10

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EmmausDans la Bible, le nom de quelqu'un désigne habituellement sa nature profonde, par-delà les apparences et les étiquettes sociales. En hébreu, Zakkaï signifie « celui qui est juste, celui qui est pur ». Voilà ce qui pourrait donc sembler de très bon augure pour Zachée, le petit héros de ce récit, mais d'évidence, nous constatons que cette rencontre avec Jésus démarre plutôt sur des notes d'oppositions, voire de contradictions. Et ce qui pourra ensuite devenir pour nous l'image même de la « respiration mystique » s'accompagnera de murmures et de critiques dans un premier temps !

Malgré l’hostilité et les obstacles...

D'abord, Jésus arrive à Jéricho, une ville historiquement ennemie, symbole du refus de la promesse de Dieu dans l'Ancien Testament, cette première ville que rencontre le peuple d'Israël quand il entre dans la Terre promise après avoir traversé le Jourdain, ville qui refuse alors l'entrée au Peuple élu après quarante années d'errance dans le désert. Jéricho était gardée par une haute muraille, qui sera détruite au son des trompettes et des clameurs des Israélites tournant autour d'elle.

A cela s'ajoutent les apparences et l'attitude de Zachée qui est plutôt présenté comme quelqu'un qui fait le mal, pas vraiment du côté de Dieu ! Zachée est un péager (ou « collecteur d'impôts »), et il encaisse les taxes, surtout au niveau des ponts, au profit des Romains, les occupants d'Israël. Mais en plus de collaborer avec l'envahisseur, les péagers gardaient aussi une grande partie des taxes pour eux, et s'enrichissaient sur le dos de leurs compatriotes : ils étaient évidemment très mal vus et détestés de tout le monde. Zachée avait sans doute détourné beaucoup d'argent pour devenir riche ! Or le Nouveau Testament incite, au contraire, à se détacher des richesses matérielles que Jésus condamne souvent !

Malgré toutes ces ombres au tableau, Zachée deviendra pourtant un personnage (il est dit « petit », « microscopique » d'après le grec !) auquel petits et grands peuvent facilement s'identifier, car chacun peut se sentir « petit » parfois dans la vie : par rapport aux autres, par rapport à son propre idéal, par rapport à l'exigence du message de l’Évangile... Et ce petit bonhomme sera l'un des rares à qui Jésus va dire qu'il est sauvé, accueilli dans le Royaume de Dieu, ce qui va finalement nous le rendre très sympathique, car même si l'on est petit ou rejeté de tous, Jésus ne nous rejette pas, et il peut venir à nous, nous rejoindre.
C’est d'ailleurs un paradoxe : une des rares fois où Jésus montre quelqu’un en exemple, en lui disant qu’il est sauvé, c’est un « péager ». C’était assez dur pour les bons pratiquants et bons croyants de l’époque qu’étaient les pharisiens, ils auraient préféré être pris en exemple. Mais non, là, celui qui est mis à l'honneur par Jésus est un mauvais juif, un mauvais pratiquant et rejeté de tous. Dieu peut sauver et aimer des personnes que nous ne considérons pas bien : nous n'avons pas à les juger !

Zachée a conscience des obstacles qui peuvent l'empêcher de voir Jésus. La première difficulté, c'est de regarder au-delà de la foule, cette foule qui voulait bien sûr voir Jésus, mais qui finalement empêchait certains de s'approcher de Jésus. Dans l'Eglise aussi, les mouvements de foule, la foule des fidèles qui se range derrière des règles, des dogmes, des convenances, des pratiques, tout cela peut empêcher une relation personnelle et originale à Dieu. Malgré de bonnes intentions, les chrétiens peuvent masquer l'essentiel, c'est-à-dire le Christ et la rencontre avec le Christ. Car la seconde difficulté pour Zachée, c’est donc qu’il est petit au milieu de cette foule !

Mais Zachée a des qualités : il cherche une stratégie. Il a tout fait pour rencontrer Jésus ! Il ne s'est pas résigné, et il a trouvé une solution pour contourner la difficulté, il s'est débrouillé tout seul, à sa manière. Il a pris de la hauteur par rapport à tout le mal que les autres pensaient et disaient de lui, par rapport à la haine et aux paroles désagréables qu'il a sans doute reçues.

Ainsi, à l'image de Zachée, personne ne doit renoncer à chercher Dieu et à s'approcher du Christ. Personne n'est jamais trop petit ou trop pécheur pour essayer de voir Jésus, et c'est finalement Jésus qui s'approche de nous, comme il l'a fait pour Zachée ! Cela nous rappelle cette magnifique image du père qui, voyant de loin son fils revenir, court à sa rencontre (dans la parabole du fils prodigue). Dieu ne nous demande pas de faire tout le chemin, mais notre élan vers lui suffira.

… l’élévation spirituelle pour vivre dans le monde

Ce qui a sauvé Zachée, c'est qu'il n'est pas resté sur place, il ne s'est pas découragé et il a d’abord couru en avant. Un bel exemple dynamique à suivre pour nous. Et pour s'élever au-dessus de la foule, pour dépasser le quotidien, les soucis, éviter ceux qui peuvent empêcher de voir Jésus, il est monté dans un « sycomore », une sorte de figuier sauvage dans la Bible. Zachée a pris conscience de sa faiblesse et a trouvé les branches auxquelles se raccrocher.

Cette image du figuier est bien intéressante, car le figuier symbolise dans la tradition rabbinique l'étude de la Bible. Le figuier donne des fruits remplis de pépins, de même la Bible nous donne beaucoup de graines qui peuvent germer. Se mettre sous le figuier signifiait étudier la Torah, c'est-à-dire se mettre au bénéfice des fruits de l’Écriture et ainsi progresser dans la connaissance.

Zachée monte dans le figuier branche par branche, comme s'il montait dans l'étude de l’Écriture, comme nous pouvons « grimper » dans la Bible verset par verset. D'une part, la Bible nous aide à voir les choses de plus haut, à relativiser ce qui nous arrive et peut-être parfois aussi la méchanceté des autres. D'autre part, cette montée dans le texte biblique peut nous permettre d'apercevoir Jésus et de mieux le connaître, par l'étude, la méditation, la réflexion, la prière. Et en « montant » dans cet arbre biblique, il s'agit de s'élever dans la connaissance biblique en ne ramenant pas simplement le texte à notre niveau terrestre, l'étude du texte nous permettant de dépasser notre point de vue, de dépasser la misère de l’homme et du monde. L'étude de la Bible, voilà donc l'essentiel pour voir notre vie de plus haut et peut-être, pour découvrir un jour Jésus.

Pourtant, quand Jésus voit Zachée perché dans son figuier, il lui demande de redescendre, comme si l'élévation par la lecture de la Bible n'était pas le but en soi : Jésus avait besoin de Zachée en bas, pour se rendre chez lui. Comme une expérience spirituelle, quasi mystique et individuelle, Zachée était au-dessus de la foule. Mais s'il n'était pas redescendu de son arbre, il serait passé à côté du Christ sans le rencontrer réellement : c'est dans le monde qu'il va déjeuner avec Jésus, partager sa vie concrètement.

A force d'empoigner les branches des versets bibliques les unes après les autres, on peut s'élever par la lecture de la Bible, et espérer apercevoir le Christ. Une vraie rencontre peut s’ensuivre et tout peut changer, « le salut est venu pour cette maison ». Ce salut est venu non par les bonnes œuvres (Jésus n'a pas félicité Zachée), mais par la grâce et par la promesse de la vie, de la joie et de la paix, et à travers ce salut s'est révélée l'appartenance au peuple de Dieu.

Mais la rencontre avec Jésus se fait dans le monde : ne pas s’isoler dans la « prière » ou l’étude de la Bible, il faut aussi revenir sur terre pour avoir une action concrète (comme le bon Samaritain par exemple). Ne pas s'extraire et se couper du monde, mais régulièrement assumer le monde avec l'aide de cette connaissance et de cette présence de Dieu : c’est enrichi de l'étude et de la saveur de toutes ces graines bibliques que chacun pourra agir.

Comme Zachée, malgré le mal, malgré nos infidélités, voire même notre opposition à Dieu, aller de l'avant en courant, monter dans le figuier, redescendre dans le monde pour accueillir Jésus chez soi : voilà une définition de la foi comme volonté, quête, recherche, comme une dynamique qui nous pousse en avant, comme une véritable « respiration mystique » !

Louis Pernot – Muriel Bernhardt