La tour de Babel, et Dieu descend vers l’homme !
Genèse 11:1-9
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Le récit de la tour de Babel est le plus souvent associé à l’orgueil des hommes qui voudraient égaler Dieu (comme c'était déjà le cas pour Adam et Eve dans un chapitre précédent de la Genèse). S’il est bien connu et largement illustré, il révèle pourtant une certaine ambiguïté. En effet, sans s’opposer complètement, plusieurs interprétations pourraient même s’associer. Car Dieu ne condamne pas ouvertement la conduite du peuple, et bien au contraire, d’une certaine manière, on pourrait déjà y lire la théologie du salut par la foi : comme dans la parabole du fils prodigue, le père vient à la rencontre de l’homme quand celui-ci manifeste le désir de « monter » vers lui. En effet, ici, Dieu « descend » vers le peuple !
De l’unité d’un peuple...
De toute évidence, cette histoire (ainsi que celle de l'arche de Noé qui la précède directement) n'a sans doute pas existé telle qu’elle est décrite, mais le peuple hébreu s’inspirait toujours d’événements historiques antérieurs pour donner des leçons de théologie, et on peut légitimement penser à la mémoire d'une tour construite, telle une ziggourat, large à la base, plutôt pyramidale. Ici, cette tour est localisée à « Babel », ce qui en hébreu signifie « confusion », « mélange », « charabia », car à la fin du récit, les gens parlent de nombreuses langues différentes et ne se comprennent plus.
Ce peuple, présenté comme totalement unanime, s'était éloigné de l'Orient, pays de la lumière et de la liberté, pour aller dans une vallée obscure, une faille, une cassure (comme l'indique le mot hébreu). Il pourrait pourtant devenir un exemple selon une autre interprétation : en arrivant d'Orient, remplis de lumière, ces gens semblent unis et ils vont dans le pays de la coupure pour couper avec leur « passé » (autre sens du mot « orient »), pour vivre une vie nouvelle, ensemble, en paix, rassemblés comme des frères, et en s'élevant vers Dieu.
Dans ce pays où il n'y a pas de pierres, ils inventent la technique des briques et utilisent le bitume comme mortier : cette utilisation de la technique et de la science symbolise un peu le danger de la société moderne, celui de se prendre pour Dieu ! Car si cette puissance technologique peut faire grand bien, elle peut aussi être dangereuse lorsqu’elle est utilisée sans conscience. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » (Rabelais). Ils voulaient construire une ville, peut-être en gommant l’individualité de chacun, et encore une tour pour s’élever jusqu’au ciel, ce lieu que l’on attribuait pourtant à Dieu. Voulaient-ils se mettre à la place de Dieu ? Ou en présence de Dieu ? Mais on ne peut pas prendre la place de Dieu, ni se passer de lui ! Personne n’est tout-puissant et parfait : croire cela serait une grave erreur et produit des catastrophes et des destructions.
Aujourd’hui, la tentation de l'homme peut être d'utiliser, par exemple, la science pour soi-même d’abord et uniquement, et non pour aider les autres, cette tentation du « Moi » avant tout ! Or croire en Dieu, c'est témoigner de valeurs telles que l'amour au prochain, le service, la générosité, le don. Comme ce peuple, nous aussi sommes toujours imparfaits, pécheurs, nous faisons des erreurs. Prétendre vouloir être parfait est dangereux : Dieu est plus grand et plus parfait que nous. Et nous avons toujours besoin de Dieu pour nous conseiller, nous pardonner, nous soutenir, nous aider.
… à l’acceptation de sa diversité...
Dieu interrompt la construction de la tour de Babel de manière tout à fait non-violente, sans la détruire, mais il empêche la poursuite du projet. Son action sera même plutôt féconde, en engendrant la pluralité des langues. Au départ, tous les hommes disent la même chose et pensent pareil : plus tard Paul, dans ses épîtres, exhorte à « cette même pensée » (Phil.2:2), mais il parle aussi de la nécessaire diversité, par exemple en I Cor.12, où il explique que chaque membre différent est pourtant membre du même corps.
La pensée unique est dangereuse car il faut de la place pour tout le monde et pour la diversité. Au départ, leur but est de se faire « UN » nom. Or nous sommes tous différents et avons des noms différents qu’il faut admettre et respecter. Dieu ne va donc pas les punir, mais il va leur imposer la diversité par la différence des langues. Cette diversité est une bonne chose.
Le traité du Talmud Sanhédrin va tout à fait dans ce sens quand il dit que, pour les décisions importantes (comme la peine capitale), un vote est annulé s'il y a unanimité, car le tribunal pourrait avoir été « acheté », ou alors la question n'aurait pas été vue sous tous ses aspects. Ainsi, Dieu semble-t-il favorable aux opinions différentes, la réalité étant toujours dialectique.
C'est aussi ce que symbolise l'arc-en-ciel cité à la fin de l'épisode du déluge : Dieu promet de ne plus exterminer l'homme en plaçant un signe qui manifeste la diversité des couleurs. Le signe de l'alliance, c'est le blanc séparé : toutes les couleurs forment cette lumière en coexistant !
En morcelant l’humanité, Dieu remet les hommes à leur place d’hommes. Personne ne peut être le centre du monde, personne n’a l’universalité. Ce qui compte, c'est d'avoir des limites et d'être attentif à l'autre. Tout l’Évangile ira dans ce sens : mettre des limites à notre jalousie, à notre égoïsme, à notre violence. C’est pour qu’ils soient utiles au monde entier que Dieu va les disperser sur toute la terre. Il « mélange » leurs lèvres comme on mélange des ingrédients en pâtisserie, pour transformer la matière et non la brouiller ! Dieu se mélange à eux et les mélange, de sorte que ceux qui ont la « tête dans le ciel » puissent rayonner dans l'ensemble de l'humanité, une image intéressante pour dire qu'il ne faut pas s'enfermer dans son petit confort d'amour fraternel et de foi personnelle, mais «...soyez féconds, multipliez-vous, peuplez la terre...», Gen.9:7, juste après le déluge).
Ce qui est souvent vu comme « punition » de Dieu est en réalité une conséquence inévitable de l’erreur des hommes, erreur dont Dieu va se servir pour le bien de l’humanité. Leur projet d'unanimité et de pouvoir est condamné à échouer parce qu’ils ne sont pas Dieu, ils ne sont pas parfaits. Au départ, ils s’entendent bien. On pourrait croire qu’ils arriveront à tout, mais finalement, ils finiront toujours par ne pas être d’accord, ne se comprenant plus, chacun avançant dans sa propre idée. Leur dispersion « sur toute la surface de la terre » pourra alors être féconde et constructive par le message qu’ils auront à transmettre au monde, par ce Dieu qui est « descendu » jusqu’à eux !
… en toute humilité !
Accepter la diversité et avoir l’humilité de savoir rester à sa place ! L’humilité : voilà une valeur chrétienne importante ! « Mais quiconque veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur ; et quiconque veut être le premier parmi vous, qu’il soit votre esclave », Matt.20:26-27. Et dans les Béatitudes, en Matt 5:5 : « Heureux les humbles, car ils hériteront la terre ». Et encore dans Luc 1:51-52, le Magnificat attribué à Marie : « Il a déployé la force de son bras ; Il a dispersé ceux qui avaient dans le cœur des pensées orgueilleuses. Il a renversé les puissants de leurs trônes, et il a élevé les humbles. »
L’important, ce n’est pas d’essayer de monter jusqu’à Dieu et de vouloir lui ressembler, mais c’est de le recevoir humblement dans notre quête. Si cette tour de Babel est réalisée par orgueil, alors elle est mauvaise ; mais si c'est pour servir Dieu et les autres, alors elle est bonne ! De même, toute œuvre humaine est ambiguë : tout dépend de l'état d'esprit avec lequel on réalise les choses !
Nous n'arriverons pas à la perfection, mais chacun peut humblement accepter l’amour de Dieu, sa grâce et son salut, et aller là où Dieu l’envoie.
Cette tour de Babel nous donne ainsi une bien belle leçon d'humilité et d'ouverture !
Louis Pernot – Muriel Bernhardt