La femme adultère: relevée et en chemin!
Jean 8:1-11
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Du temps de Jésus, certaines procédures disciplinaires étaient bien réglées : la femme mariée qui trompait son mari devait être étranglée ou égorgée (comme son amant), alors que la lapidation était réservée aux fiancées ayant consommé l’union avant le mariage. Selon la tradition juive, on faisait tomber la jeune fille par terre et elle était écrasée d’une grosse pierre par le plus ancien de l’assistance. C’était la loi que les scribes et les très sévères pharisiens faisaient respecter, et ils soumettent cette faute grave à Jésus pour le piéger, sachant parfaitement que Jésus préférait ne pas juger, et qu’il était enclin au pardon et à la grâce sans condition. On imagine sans mal cette scène avec une toute jeune fille (en général entre 13 et 16 ans) entourée de tous ces « sages » qui l’accablent et la condamnent !
Le piège des pharisiens
Jésus revenait du mont des Oliviers, ce jardin d’oliviers où il aimait aller se retirer avec ses disciples, et où il sera arrêté avant d’être crucifié. Les scribes étaient les théologiens, les intellectuels, ceux qui écrivaient, et les pharisiens étaient les juifs intégristes de l’époque. Les pharisiens détestaient Jésus et son ouverture, sa tolérance, sa générosité, alors qu’eux-mêmes imposaient la Loi à la lettre, sans possibilité de pardon ; ils trouvaient Jésus bien trop laxiste ! Ils savent parfaitement que Jésus voudrait qu’on laisse cette jeune femme tranquille (était-elle d’ailleurs responsable ou victime de ce qui était arrivé ?). Mais si Jésus ne la condamne pas, lui-même sera condamné à mort sous prétexte de ne pas respecter la Loi !
Alors Jésus se baisse : pour se rapprocher de la toute jeune femme qui n’en menait sans doute pas large, mais aussi pour écrire sur le sable ! C’est la seule fois dans les évangiles que l’on cite Jésus écrivant, lui qui enseignait généralement oralement. Et depuis bientôt 2000 ans, les théologiens se demandent ce qu’il a bien pu écrire dans le sable ! Il écrit sur le sable comme s’il n’en avait rien à faire… Et pourtant c’est un geste chargé de sens. Devant l’insistance des théologiens et des pharisiens, Jésus les placera face à leurs propres erreurs : « et vous, êtes-vous suffisamment parfaits pour juger et condamner les autres ? » dit-il en substance. Cette manière de les remettre à leur place rappelle ce que Jésus dit dans son Sermon sur la montagne, quand il parle de la paille qui est dans l’œil du frère, comparée à la poutre qui est dans notre œil, en Matth.7:3-5.
Ainsi, Jésus s’est-il montré très malin, et il a réussi à sauver la jeune fille de la mort assurée, sans se faire condamner lui-même. Les plus âgés se sont retirés les premiers : le poids des ans et des péchés ? La sagesse de l’âge ? Jésus a réussi à se débarrasser des accusateurs : néanmoins, il ne dit pas que tout est bien, il ne minimise pas la faute, mais il ne condamne pas la femme.
Jésus relève la jeune fiancée
Pour Jésus, la religion doit aider les gens à vivre, et non les condamner, ou même les tuer. Il présente une religion qui ne culpabilise pas, mais qui accueille, libère les gens, et les aide à avancer. Jésus dit clairement que les autres ne sont pas mieux que nous, ne valent pas mieux que nous : personne n’est parfait ! Dans l’Eglise, nous pouvons nous sentir libérés, et pas davantage coupables que les autres ou par rapport aux autres ! Nous pouvons avoir l’esprit libre du jugement des autres et ainsi faire ce que nous pouvons pour Dieu.
Jésus s’est abaissé vers cette jeune fille peut-être un peu chétive au milieu de la place : Dieu ne nous regarde pas de haut pour nous juger, mais il vient à nous et nous prend en considération, il nous aime personnellement et compatit à notre souffrance. De même, Dieu avait-il libéré autrefois le peuple souffrant en le faisant sortir d’Égypte.
Jésus a écrit sur la terre. Selon le Rémez, une méthode d’interprétation juive des textes bibliques, tout texte biblique renvoie à un autre texte, et il est intéressant de chercher à quel autre texte antérieur ce passage peut faire allusion. Ces mots de Jésus écrits sur le sable rappellent les tables écrites par le doigt de Dieu, tablettes de la Loi données à Moïse au mont Sinaï, en Exode 31:18. La Loi de Dieu était un viatique pour donner le chemin de la vie au peuple, mais elle est devenue générale et absolue, utilisée comme un critère de jugement, sans considération de la personne. Contrairement aux tablettes en pierre, Jésus écrit sur le sable : ce qui est valable un instant dans une situation donnée ne l’est peut-être plus à un autre moment. En écrivant à ce moment précis sur le sable, Jésus donne, d’une certaine manière, une nouvelle loi pour cette jeune femme, comme un message personnel, une loi différente pour chacun, différente pour chaque projet de vie. Jésus ne donne pas une loi immuable pour juger les gens, mais il dit au cœur de chacun ce qu’il peut faire pour avancer et pour le servir.
Ce texte montre la radicalité du pardon de Dieu, de sa générosité, de sa grâce. Jésus pardonne (« je ne te condamne pas »), alors même que la femme ne demande pas pardon. Si nous demandons pardon, Dieu pardonne, mais là, cela va plus loin : Dieu peut pardonner même si nous ne savons pas le lui demander, simplement parce qu’on est faible, qu’on souffre et qu’il nous aime. Dieu pardonne : c’est radical ! Mais il n’incite pas à mal faire pour autant : Jésus lui dit bien « va et ne pèche plus ». Jésus libère, mais pour permettre de repartir à neuf. Il ne demande pas de détails à la femme, elle a péché, c’est de notoriété publique, mais on n’en parle plus, l’important, c’est d’aller de l’avant et de faire mieux la prochaine fois. Il la relève, la remet debout comme s’il la ressuscitait.
Et il nous invite à rester toujours en chemin !
Car il s’agit bien pour la femme d’avancer, de progresser. En effet, son erreur, c’était peut-être d’avoir brûlé les étapes du travail d’approche, de n’avoir pas pris le temps de la rencontre avec l’autre, son partenaire, comme si elle n’avait plus rien à faire pour progresser vers son fiancé, pour mieux le connaître, comme si tout était acquis.
Par analogie, nous ressemblons peut-être un peu à cette jeune femme. Dans la tradition biblique, la relation de l’être humain avec Dieu est souvent imagée par la relation de la fiancée avec l’époux, Dieu étant l’époux, et Christ se présentera plusieurs fois comme l’époux dans des paraboles. Le danger qui nous menace tous dans notre chemin de foi, dans notre quête spirituelle, c’est celui de baisser les bras, de ne plus faire d’efforts, pensant que nous avons déjà touché le but, ou encore découragés par nos imperfections sans cesse mises à jour. En « ressuscitant » la jeune fille, Jésus l’encourage sur le chemin de la recherche, comme il nous encourage à rester toujours en chemin, en marche ! Comme des fiancées du Christ, nous sommes invités à vivre pleinement ce temps des fiançailles, pour apprendre à mieux le connaître, nous approcher de lui et entrer de plus en plus en intimité avec lui !
Le croyant est appelé à être un pèlerin, toujours en route, sans cesse relevé par le Christ. Jésus écrit plusieurs fois sur le sable : il s’agit de le réécouter, de « relire » sans cesse sa loi nouvelle pour nous, car Dieu s’intéresse à chacun, en nous délivrant de toute culpabilité, de tous les regrets, de tous les complexes qui peuvent nous assaillir, de toutes les accusations qui voudraient nous écraser telle la grosse pierre de la lapidation. A l’image de la jeune fiancée avant ses noces, nous pourrons accepter notre imperfection pour avancer vers l’union avec le Christ.
Ce petit récit devient ainsi une magnifique description de la gratuité de la grâce et du pardon de Dieu !
Muriel Bernhardt - Louis Pernot