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Jésus et Nicodème : un dialogue nocturne étrange

Jean 3:1-7,16

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Jésus et Nicodème

 Le dialogue très étrange entre Jésus et Nicodème amènera Jésus à prononcer ce très célèbre verset, maintes fois dit, appris et répété dans les milieux « chrétiens » : « Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle »(Jean 3:16). Si cette phrase peut être difficile à comprendre, tout le dialogue qui la précède conduit d’emblée Nicodème dans l’incompréhension totale. Ce pharisien, pourtant un chef parmi les juifs, est venu trouver Jésus pour essayer de comprendre les signes nouveaux (l’évangile de Jean parle de signes, du grec semeion, et non de miracles). Mais finalement, Jésus lui donne une explication qui le perd totalement, en introduisant notamment la notion de « nouvelle naissance ».

Le questionnement légitime de Nicodème

Nicodème est donc un expert de la tradition juive et de la Torah, la loi juive. Jésus connaissait bien le mode de réflexion de la tradition rabbinique. Les pharisiens étaient ces juifs intégristes, ou traditionalistes, de l’époque de Jésus. Ils étaient en réalité les ennemis de Jésus, le considérant comme bien trop laxiste par rapport à l’application de la Loi. Ce sont eux qui le feront tuer.

Nicodème a un nom qui interroge : demos, le peuple en grec, est associé à nikein, verbe signifiant diriger, ou vaincre, asservir, un programme presque contradictoire sur son rapport au peuple. Est-ce qu’il dirige, ou est-ce qu’il opprime le peuple ? Cette contradiction dans son nom illustre un peu le profond questionnement de Nicodème : dès l’Ancien Testament, il est question de signes de Dieu envers son peuple, et il voudrait comprendre le sens nouveau.

Le signe est une question en soi. Les rabbins disent que la première occurrence d’un mot dans la Bible en donne le sens principal. Dès le premier chapitre de la Genèse, il est question des luminaires (soleil et lune) comme « signes » indiquant le jour et la nuit (Gen 1:14). Des signes comme l’arc-en-ciel ou la circoncision rappellent l’alliance de Dieu avec son peuple. D’autres signes invitent à la libération du peuple, ainsi les dix plaies d’Égypte du temps de Moïse. Fort de ces interprétations des signes, Nicodème voit les signes accomplis par Jésus : seraient-ils annonciateurs d’une nouvelle lumière ?

Alors il se rend chez Jésus de nuit. Se cache-t-il par peur du jugement des autres ? Ou est-ce simplement parce que dans le judaïsme, on travaillait de jour et on étudiait la Bible de nuit ? Calvin, un des grands réformateurs du XVIe siècle, a lutté contre les protestants « nicodémites », qui avaient peur des persécutions et qui faisaient semblant d’être catholiques le jour pour pratiquer leur religion uniquement la nuit, en cachette. Nicodème a-t-il peur des autres pharisiens en n’assumant pas ses convictions ? Pressent-il une lumière dans la nuit ?

Jésus, un maître légitime

Car Nicodème s’approche de Jésus en le flattant et en reconnaissant son autorité. Il interpelle Jésus en l’appelant Rabbi, un mot araméen signifiant maître, qui a donné le mot rabbin, (on le trouve parfois dans l’Évangile sous son diminutif rabbouni). Nicodème reconnaît Jésus comme didaskalos, mot grec indiquant que Jésus était un enseignant, un détenteur d’une science. Ce faisant, Nicodème donne à Jésus une légitimité, comme un maître formidable qui vient de Dieu.

Nicodème ne pose pas directement de question, mais en s’adressant à Jésus comme il le fait, il semble attendre une, voire des réponses. Nicodème reconnaît la valeur des actes de Jésus, et il attend que Jésus lui en enseigne le sens. Il demande à Jésus ce qu’il y a de plus important selon lui, quelle est la chose la plus essentielle pour le sens de la vie.
Et Jésus va lui « répondre », Jésus va lui donner une vérité à suivre, une sorte de nouvelle libération, de joie et de vie, à l’image des signes que Nicodème cite, qui préfigurent peut-être le signe d’un nouveau mode de relation à Dieu, d’une nouvelle alliance. Dans le texte originel, il est écrit : « Amen, amen je te le dis ». Amen est un mot araméen signifiant « c'est vrai ». On peut ainsi traduire par « En vérité, en vérité, je te le dis », une formule de Jésus pour exprimer qu’il va dire quelque chose de très important.
Mais par sa réponse, Jésus va complètement désarçonner Nicodème, car Jésus sort radicalement de la notion d’obéissance, il sort d’une religion d’observance de la Loi, du simple respect d’un code moral, pour arriver à quelque chose de beaucoup plus profond, qui est de l’ordre de la refondation totale de l’être, d’un changement en profondeur de l’intérieur de l’être humain.

Jésus répond qu’il faut « naître de nouveau », ce que Nicodème interprète d’emblée dans une logique génétique, celle de retourner dans le ventre de sa mère… et qui est impossible ! En bon juif, Nicodème croyait à la nécessité de l’ascendance généalogique pour appartenir au peuple élu, ce que réfute ici Jésus, quand il explique que pour accéder au royaume de Dieu, à cet idéal, à ce projet de paix, de justice et de fraternité pour le monde, il faut naître spirituellement. Jésus utilise un terme grec, anothen, qui signifie à la fois « de nouveau » et « d’en haut », ce jeu de mots permettant une compréhension plus large de la « vérité » ici apportée.

Une nouvelle naissance légitime

Chaque homme naît comme un petit animal, comme un mammifère. Mais selon Jésus, pour devenir un humain accompli, il convient de naître « d’eau et d’esprit », d’ajouter une autre dimension à notre vie biologique, en grandissant spirituellement.

Certains chrétiens parlent de conversion quand, n’étant pas chrétien avec une vie mauvaise, quelqu’un se convertit au Christ, et change de vie et d’orientation, rompt totalement avec son passé : cela se dit « né de nouveau », « born again » aux USA (« re-né »). On comprend alors ce que signifie là « naître de nouveau ».

Mais sans aller jusqu’à une telle conversion, car certains sont nés dans la marmite comme Obélix, ayant grandi dans des milieux déjà « chrétiens », comment interpréter alors cette « nouvelle naissance » ? Dans l’évangile de Jean, il s’agit de fonder sa vie sur une source fondamentale, en se nourrissant régulièrement de cette « Parole » du Christ qui transforme, en se nourrissant de ces textes bouleversants pour transformer l’être profond.

Naître d’en haut, c’est se rendre disponible pour accueillir une nouvelle dimension dans notre vie, c’est toucher la « vie éternelle » dès à présent (non comme une sorte de vie après la mort). Le baptême ne donne pas la nouvelle naissance, mais l’eau du baptême représente la grâce et l’amour de Dieu, et se savoir aimé par Dieu, pardonné et accepté, permet de dépasser le seul monde du profit, du pouvoir et du matérialisme. L’Esprit, c’est le vent, la force de Dieu qui donne la vie, c’est la puissance du feu qui fait avancer un moteur.

« Naître d’eau et d’esprit » : par cette réponse révolutionnaire à Nicodème, Jésus invite l’être humain à travailler sa relation à Dieu. Et de même qu’il faut des années pour passer de l’enfance à l’âge adulte, il s’agit d’entretenir et d’entraîner continuellement la vie spirituelle, pour qu’elle progresse et grandisse. Pour grandir dans l’esprit et dans la foi, il faut de la nourriture et de l’entraînement : la prière, l’étude de la Bible, la réflexion, la pratique au temple, la patience… Nourrir notre foi en « mangeant le Christ ».
C’est assez difficile à comprendre. Nous ne sommes pas les seuls à avoir du mal : Nicodème ne comprend rien à ce que Jésus lui dit. Mais la petite graine grandira et fera grandir en nous l’amour, l’esprit, le don de soi… Ainsi cette « conversion » n’est pas un acte terminé, mais elle est toujours à refaire, toujours en devenir, animée par la promesse que « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle. »

Muriel Bernhardt - Louis Pernot