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Le sacrifice d’Isaac : l’erreur d’Abraham ?

Genèse 22:1-19

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Le sacrifice d'Isaac

 En hébreu, « Isaac » signifie « j’ai bien ri », en référence au rire de Sarah, sa mère, à l’annonce de la naissance de son fils alors qu’elle était déjà très avancée en âge, et sans doute bien trop vieille pour procréer. Elle avait d’ailleurs déjà envoyé son mari vers Agar, une servante égyptienne, afin d’assurer leur descendance, et Ismaël était né, aujourd’hui considéré comme l’ancêtre des musulmans. Mais l’épisode bien connu des trois « hommes-anges » venus annoncer à Abraham la réalisation de la promesse de Dieu, celle d’avoir une descendance nombreuse (avec Sarah !), avait pourtant été suivi de cette naissance quasi-miraculeuse, et Isaac est né ! Mais si Sarah a ri devant la promesse de cet enfant, l’épisode de ce très célèbre « sacrifice d’Isaac » semble bien moins amusant et peut susciter notre incompréhension totale !

Le sacrifice incompréhensible

Comment Dieu peut-il demander à Abraham un geste aussi insupportable, celui de tuer son propre fils, pourtant tellement attendu, voire inespéré ? A l’époque d’Abraham, on pratiquait précisément le sacrifice des enfants, notamment des garçons premiers-nés. Il ne s’agissait donc pas forcément d’une demande curieuse de la part de Dieu, puisque cela était répandu en Canaan en l’honneur du dieu Moloch (cf Lévitique 18:21). Abraham connaissait cette habitude païenne, aussi celle d’enfermer le premier-né dans la pierre angulaire de la maison en construction pour la protéger.

Abraham était très obéissant et il avait compris qu’il devait faire ce que Dieu lui demandait, aussi quand il a entendu Dieu lui demander d’offrir son fils en « holocauste », il a immédiatement pensé au sacrifice où la victime est entièrement consumée pour qu’il n’en reste rien, en opposition aux sacrifices dont on consommait la viande, ici, tout monte en fumée. Le terme a ensuite été réutilisé pour parler de la volonté d’extermination des juifs par les nazis, pour qu’il ne reste aucun juif.

Traditionnellement, on explique cet épisode par la volonté de Dieu de tester Abraham, de tester sa foi. On parle de la tentation d’Abraham. Dieu éprouve Abraham et lui demande ce qu’il a de plus précieux pour voir s’il est prêt à tout pour lui obéir. Et Abraham est prêt à sacrifier pour Dieu ce qu’il aime le plus au monde : son fils. C’est une preuve de foi et de fidélité extraordinaires : Dieu, c’est donc ce qui est central dans la vie, ce qui est la raison d’être, le sens de la vie.

Il y a eu beaucoup d’exemples dans l’histoire de personnes qui sacrifient à Dieu leurs biens les plus précieux, leur confort, leur situation, leur fortune, et même leur propre vie pour aider les autres, ou être fidèles à la volonté de servir. Et nous, à quels sacrifices sommes-nous prêts ? Donner du temps ? Des biens ? De l’argent ?

Finalement, Dieu arrêtera Abraham à temps, évidemment, il ne voulait pas la mort de l’enfant.

Dieu connaît l’homme et il a besoin de lui

Certains chrétiens pensent que Dieu envoie des épreuves ou des difficultés pour tester la fidélité et la confiance en lui. En fait, Dieu n’a pas besoin de cela et ne nous envoie pas le mal. Dieu sait bien ce qu’il y a au fond du cœur de chacun. C’est en ce sens que la demande du Notre Père, « ne nous soumets pas à la tentation », a été remplacée par « ne nous laisse pas entrer dans la tentation », car l’ancienne version laissait supposer que Dieu était à l’origine de la tentation. Or Dieu est plus celui qui peut nous libérer de la tentation ou de l’épreuve que celui qui nous y conduirait. Il semble difficile de croire en un Dieu qui organiserait quelque chose d’aussi violent et pervers pour ce fils tant attendu, jusqu’à infliger des traumatismes presque irréversibles pour ses fidèles.

En partant du sens de « holocauste », quelque chose qu’on fait monter vers Dieu, on peut comprendre qu’il ne s’agit pas de tuer en réalité, bien au contraire. Abraham peut avoir mal compris la demande de Dieu. Dans ce récit du sacrifice d’Isaac, le terme hébreu utilisé, Le̒oLaH, signifie littéralement « pour monter ». Au lieu du sacrifice humain, ne s’agirait-il pas plutôt de la consécration à Dieu du fils d’Abraham, ce qui change tout ? « Fais monter ton fils vers moi, va et élève-le, fais-le monter plus haut, fais-lui découvrir une dimension spirituelle » serait une interprétation peut-être plus plausible. Car Dieu ne souhaite pas la mort de l’homme, mais bien au contraire la vie de l’homme au service de Dieu, dans la joie de Dieu. Il y a un autre moyen de consacrer son enfant à Dieu que de le tuer, contrairement au paganisme auquel Abraham était habitué.

Faire monter son enfant vers Dieu, élever son enfant à Dieu, c’est plutôt lui enseigner les fondements de l’Evangile : l’amour, la générosité, la bonté, le service à l’autre, la prière ! Dieu ne nous demande pas de mourir pour bien vivre ! Car justement, l’enfant en chacun de nous, c’est cette meilleure part de nous-mêmes, notre âme, notre vie qui est appelée à s’élever à Dieu (Psaume 131:2). Consacrer notre enfant à Dieu, c’est commencer par nous consacrer nous-mêmes à Dieu.

Abraham accepte de changer

Dieu demande à Abraham de lui consacrer un fils vivant : il casse les traditions et les codes de l’époque ! Et il demande à Abraham de modifier sa manière de croire : les sacrifices humains sont abolis. D’abord remplacés par des sacrifices d’animaux en Israël, les sacrifices seront relativisés par Jésus Christ qui prêche l’amour au lieu du sacrifice. Aujourd’hui, les juifs ne pratiquent plus non plus de sacrifices.

Une certaine tradition juive dit que l’épreuve n’est pas faite pour apprendre quelque chose à Dieu, mais pour faire découvrir à l’homme une vérité sur lui-même qu’il ignorait. Ici, Abraham a eu besoin de comprendre quelque chose pour progresser ! Car il était enfermé dans une certaine tradition, à l’image de l’âne qu’il a sanglé (l’âne représentant la nature physique de l’être), comme si la nature terrestre d’Abraham était ficelée ! De même, il charge Isaac d’un fardeau bien lourd et écrasant, celui du bois de l’holocauste, représentant peut-être toutes les règles, les contraintes, les idéaux trop élevés que nous nous imposons et que nous imposons parfois aux autres, jusqu’à les paralyser ou les immobiliser (dans la tradition juive, ce récit est d’ailleurs appelé « la ligature d’Isaac »). Abraham s’obligeait même au mensonge en promettant aux serviteurs qu’il reviendrait avec Isaac, alors qu’il n’en croyait rien ! De tout cela, Dieu le libère en intervenant in extremis pour empêcher la mort d’Isaac.

Se consacrer à Dieu, ce n’est pas s’empêcher de vivre, mais c’est plutôt mettre sa vie au service de quelque chose de plus grand !

C’est avec Isaac qu’Abraham ira donc offrir le bon sacrifice à Dieu : ainsi, le but n’est pas de renoncer à vivre, mais d’avancer en harmonie avec les différentes dimensions de son existence et ainsi de servir Dieu, avec toutes les composantes qui entourent notre vie, vivre d’une certaine manière. Dieu nous offre la liberté, l’épanouissement de notre vie, dans toute son originalité, avec ses imperfections, et comme Isaac, notre vie terrestre sera notre partenaire devant Dieu !

Parfois, on peut mal comprendre ou interpréter la volonté de Dieu, mais Abraham a accepté de se lever de bon matin et de partir, et de se laisser bousculer par Dieu. Il n’est pas resté sur place, il est « monté », il a marché, et il a compris, grâce à Dieu, qu’il ne fallait pas tuer son fils en s’enfermant dans un intégrisme dévastateur ! Abraham a accepté de remettre en cause ses principes et ses certitudes : on a le droit de se tromper dans la vie, mais on a aussi le devoir d’apprendre à changer en restant en éveil, à l’écoute de Dieu, comme Abraham, l’araméen nomade, ce père en marche toute sa vie, non pas pour la mort, mais pour la vie !

« Ce que je veux, c’est l’amour, et non pas les sacrifices » (Osée 6:6 et Matthieu 12:7).

Muriel Bernhardt - Louis Pernot