Un été avec Van Gogh 1/5 | La vocation brisée. À quoi êtes-vous appelé ?
Qu’est-ce que la vocation ?
Quelle est votre vocation ? À quoi est-ce que vous êtes appelé ? Ou bien, avez-vous vous-même une vocation ? Ou « avoir la vocation » ?
Quand on parle de la vocation, tout de suite on pense que celle-ci est réservée aux prêtres ou aux pasteurs. C’était le problème de Van Gogh : il se sentait appelé à servir, il envisageait de répondre à cet appel en devenant pasteur, comme son père, comme son grand-père. Cette vocation a été vécue comme un échec du fait qu’il ne réussissait pas les examens de théologie. Il a alors essayé de la transformer en baissant ses exigences, en disant : « Je serai évangéliste ». Donc sans diplôme, sans rien, il irait prêcher aux plus pauvres. Il l’a fait, mais cela aussi fut un échec. Finalement, en étudiant bien sa situation, il a réalisé : « Je répondrai à ma vocation en peignant », ce qui, pour nous, est certainement une grande chance. Était-il un bon prédicateur ? Ce n’est même pas sûr, mais évidemment, qu’il a été l’un des plus grands peintres.
Ainsi, dans notre esprit, comme dans celui de Van Gogh, nous associons souvent le mot « vocation » au fait d’être pasteur. Très éventuellement, on peut élargir cela à quelques professions de service, en parlant de la vocation d’une infirmière, d’un enseignant, d’un pompier, etc. Et je crois que c’est une erreur : il n’y a pas, pour plusieurs raisons, deux catégories de personnes, ceux qui sont appelés par le Seigneur, et ceux qui ne le seraient pas, comme s’il y avait une grande frange de l’humanité oubliée par Dieu, dont Il se désintéresserait complètement en disant : « faites ce que vous voulez : ingénieur, ramasseur de poubelles, ça n’a aucune importance ; et donc, contentez-vous d’être fidèle, de pratiquer, et d’enseigner à vos enfants au catéchisme, et tout ira bien ».
Je ne minimise pas la vocation pastorale qui est pour moi la merveille de ma vie, des plus grandes joies de ma vie, avec, sans mettre d’ordre de hiérarchie, ma femme Sophie et mes enfants, Anselme, Martin, Hippolyte. Quel chance que de vivre ma vie au service de l’Évangile ! Tous les matins, je me lève en me disant : « Quelle belle vie j’ai, et quelle journée formidable s’ouvre devant moi. » Et j’en rends grâces!
Vocation générale et réponse personnelle
Est-ce que j’ai été appelé précisément pour que cette mission me soit donnée à moi plutôt qu’à un autre ? C’est une question délicate, parce que, dans le fond, je ne crois pas à une vocation particulière : je ne crois pas que Dieu appelle précisément l’un à être infirmier, l’autre à être éducateur, et un troisième à être rien ou au chômage. Je pense que nous avons tous une vocation globale : être serviteurs de l’Évangile, travailler au Royaume de Dieu, c’est à dire à être co-ouvrier avec lui pour un monde meilleur, avec plus de justice, de bonté, de fraternité, d’attention à l’autre, et que nous y répondons chacun selon notre tempérament, nos talents, notre histoire, et ce que la vie a fait de nous.
Pourtant, et c’est là le paradoxe, j’ai vécu ma vocation comme une vocation à l’ancienne, personnelle. Je l’ai ressentie comme un Dieu qui me dit : « Toi, tu seras pasteur. » Il y a un avant et un après, je peux en donner la date, le jour, l’heure, le lieu. Je n’y avais jamais pensé avant, mais tout à coup, cette vérité s’est imposée à moi de l’extérieur, comme une injonction dont je ne pouvais pas me défaire. Je l’ai donc vécue comme une vocation personnelle, mais je sais que, même parmi mes collègues pasteurs, rares sont ceux qui ont ressenti les choses comme cela : souvent, ils vivent eur vocation d’une façon plus complexe, plus ambiguë. Et d’autre part, j’ai moi-même dix ans de psychanalyse et je connais très bien le mécanisme psychologique de ce que j’ai vécu ainsi, sans prendre des vessies pour des lanternes, et de quoi il en relève exactement. Donc, oui, je ne crois pas à la vocation personnelle, mais je crois que chacun de nous a une spécificité, un talent, une capacité, qui fait que nous pouvons répondre de manière personnelle à cet appel général.
L’exemple biblique
Quel est cet appel général ? Nous ouvrons notre Bible et nous y trouvons différents textes. D’abord Jésus : la vocation des disciples. Il appelle les douze, les uns après les autres, en leur disant : « Toi, suis-moi. » Voilà la vocation générale : suivre le Christ. Mais de quelle manière ? Comment ? Avec quoi ? Cela dépend de nos conditions particulières, des accidents de notre nature profonde. Jésus ne se contente pas de dire « Toi, suis-moi », à Pierre, qui est pêcheur, il dit : « Tu seras pêcheur d’hommes », c’est-à-dire qu’il prend Pierre là dans ce qu’il sait faire, et il lui demande de mettre ce talent au service du Seigneur. Quand Jésus appelle Nathanaël sous le figuier il lui dit : « Nathanaël, je sais qui tu es », et c’est au nom de ce qu’il est qu’il l’appelle.
La vocation est donc générale : « Suis-moi », et cette vocation se décline de façon particulière en fonction de ce que nous sommes. C’est certainement ce que va découvrir Van Gogh. Il croyait être appelé par Dieu à servir le Seigneur que comme pasteur, mais Dieu ne dit pas de quelle manière il faut le servir, il demande juste de mettre son talent au service de l’Evangile. Il croyait devoir servir seulement comme pasteur, ou comme évangélisateur, et il découvre que c’est ailleurs, parce qu’il avait ce talent de voir quelque les choses d’une certaine manière autour de lui et de le faire voir.
Talents, beauté et avancement du Royaume
Mais ce n’est pas forcément simple, parce que des talents, on peut en avoir beaucoup, et alors lequel mettre au service du Seigneur ? Si j’en n’ai qu’un, c’est facile, mais si j’en ai plusieurs, lequel choisir ? En ce qui me concerne, je voulais être musicien, faire de la musique ancienne. Je pense être un meilleur musicien que pasteur, mais j’ai choisi néanmoins d’être pasteur, parce que je me crois plus utile pour l’Evangile en le prêchant, même moyennement, qu’en jouant, même très bien, des pièces de musique !
Cela pose alors? la question, Van Gogh a-t-il vraiment servi le Seigneur et l’Evangile en faisant de beaux tableaux ?
J’ai dit que le sens de la vocation, c’était de travailler à l’avancement du royaume de Dieu. Travailler dans la vigne du Seigneur pour que ce monde donne des fruits d’amour, de justice, de bonté, de douceur, de paix, de fraternité, de grâce ! Mais comment travailler dans cette vigne ? Il y a beaucoup de façons possibles de se rendre utile dans une vigne, ce peut être en étant maître de vigne, ou l’agronome, ou contreemaitre, ou cle vendangeur, ou celui qui répare les charrues. En ce qui me concerne, don, je voulais être musicien. La musique peut certainement faire du bien , ou « adoucir les meurs ». Mais j’ai pensé que la musique attendrait, annoncer le Royaume m’a semblé une priorité et une urgence. Mais si l’on n’est pas doué pour l’expression directe, la prédication ou l’enseignement, on peut être doué autrement. Tout le bien du monde ne passe pas par l’enseignement. L’homme est sensible à beaucoup d’autres choses que par le média de sa seule intelligence. Et l’art, le beau, l’harmonieux peut transformer l'homme, élever son âme, le mettre en contact avec la transcendance, le sublime, le beau et le bon.
Van Gogh savait par son art montrer la création d’une manière sublime, voir la création par les yeux de Van Gogh c’est voir le monde comme Dieu le voit. Nous avons tendance à percevoir les choses en noir, tristes, sans âme, et Van Gogh leur donne de l’âme, il a donné de la vie même aux choses les plus simples et les plus modestes. J’ai toujours été frappé par cette peinture de l’église d’Auvers-sur-Oise, qui est tellement belle, et j’ai vu en vrai cette église qui m’a semblée sinistre. Et sa chambre si simple, dépouillée avec juste sa table et sa chaise, misérable, me semble être l’endroit où je voudrais être. Cette transfiguration du réel, ce regard que l’on pose sur le monde peut réenchanter le monde. Oui, le monde peut être réenchanté. Quand on est confronté au beau et qu’on le voit sublimé, il y a une élévation de l’âme, qui est essentielle. Ainsi, Van Gogh a bien fait de peindre, pas seulement pour l’esthétique : il a servi quelque chose de l’ordre de l’harmonie, du beau, du positif. Et cela sert le Royaume. C’était son talent. On aime Bach, aussi, par exemple, qui mis son art au service de la parole, et certains le considèrent comme le 5e évangéliste. Et pour moi, certainement que les cantates, ou la passion selon saint Matthieu ne sont pas sans importance dans ma propre vocation. Et même sans paroles, certaines musiques sont bienfaisantes, dans l’enregistrement que j’ai fait il y a quelques années du livre de luth de Gaultier intitulé La rhétorique des Dieux, le compositeur dit dans l’introduction qu’il y a des musiques qui élèvent l’âme. Et c’est vrai, cette musique est sublime, intérieure pacifique et transforme celui qui l’écoute. Même les enfants s’endorment en paix quand on leur passe ces pièces de luth le soir. Et notre âme a besoin d’être élevée ! Et tout ce qui participe l’élévation de notre âme participe à l’avancement du Royaume de Dieu en nous. Ce que nous faisons, même pour nous-mêmes, contribue à l’élaboration du Royaume.
Métier, identité et vocation
Ensuite, je crois que la vie est complexe et qu’elle ne se limite pas à une seule dimension ou un seul mode d’action. Notre vocation n’est pas enfermée dans un unique domaine : j’exerce ma vocation dans mon art, dans mon métier, peut-être, mais ce n’est pas tout. C’est tout notre être tout entier qui est appelé à être au service. Quand un jeune cherche un métier et se dit qu’il faut que son métier « ait du sens », tant mieux si c’est le cas, mais le métier n’est pas tout. Le métier représente une part importante de notre vie, mais ce n’est pas la totalité. On travaille entre 30 et 50 ans, 20 ans, c’est 20 % de nos années, et chaque semaine 35h sur les 112 de veille que nous avons 30% de notre temps. Donc le métier, c’est environs 10 % de notre vie. Cela doit nous rappeler qu’on ne peut pas attendre du métier qui n’occupe que 10% de notre vie donne à lui seul sens à toute notre existence ! Ceux qui croient que leur travail doit donner tout le sens à leur vie sont en grand danger. Que devient une telle personne le jour où elle est au chômage ou à la retraite, si toute son sens reposait sur son travail ?
Non : le métier n’est pas là pour donner sens à la vie la vie. S’il en donne tant mieux, s’il n’en donne pas ce n’est pas très grave. Nous contribuons à la vie de la société aussi par la manière dont nous vivons et par ce que nous donnons. Notre vocation peut s’exprimer dans toute notre vie, dans notre façon d’être, dans notre manière d’être, au travail et ailleurs. Quel que soit le métier, il y a une manière de l’exercer, d’être en relation aux autres, que ce soit comme ramasseur de poubelle, contrôleur des impôts PDG ou même pasteur. Dans la relation avec nos collègues, nos proches, nos amis, c’est là aussi une part essentielle : l’essentiel de notre vie n’est pas dans la compétence pure que nous mettons en œuvre dans notre travail, mais dans notre manière de vivre. L’activité que nous menons, la compétence que nous mettons en œuvre dans notre travail, font partie de notre vocation.