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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Croire en Dieu après un drame ? | Un été avec Van Gogh 2/5

Dimanche 10 août 2025
Louis Pernot
Église protestante unie de l'Étoile à Paris

Le problème du mal

Dans cette série où nous suivons Vincent van Gogh sur son chemin de foi, rappelons qu’il voulut d’abord être pasteur, puis évangéliste. Malgré les très bons sermons qu’il écoutait ici même, au temple de l’Étoile, peut-être assis à la place où vous êtes aujourd’hui, il finit par perdre la foi, ou du moins s’éloigner de la foi traditionnelle. Ce détachement fut provoqué par les drames auxquels il assista dans les mines du Borinage. Là, des coups de grisou terribles tuèrent des centaines de personnes. Van Gogh, profondément touché, descendit jusque dans les galeries pour aider les mineurs et distribuer des vêtements de secours. Mais cette expérience brisa quelque chose dans sa foi.

Se pose alors une question, à laquelle je voudrais tenter de répondre, même si Van Gogh n’est plus là pour entendre la réponse : comment croire en un Dieu infiniment bon et tout-puissant quand on est confronté au mal, qu’il soit dans le monde ou dans notre propre existence ? Cette objection classique n’est pas une question nouvelle : depuis deux mille ans, la tradition chrétienne s’y confronte en lui donnant le nom de théodicée. Les réponses sont nombreuses. Certaines sont mauvaises, et je les écarterai rapidement. D’autres sont un peu moyennes. Et puis il y en a de bonnes, que je garderai pour la fin.

Les mauvaises réponses

Parmi les mauvaises réponses au problème du mal, la plus simple est celle du dualisme. Elle consiste à imaginer le monde comme une lutte entre deux puissances égales, Dieu et le diable, se partageant le pouvoir. Or la Bible n’est pas dualiste, elle affirme qu’il n’existe qu’une seule puissance active et créatrice : Dieu. Le reste n’est qu’inertie, absence de bien, chaos. Je ne crois pas au diable comme puissance organisée du mal. Certes, il y a du mal, et la Bible utilise parfois l’image du diable pour le personnifier, mais le mal n’est pas une force intelligente et structurée. Il frappe au hasard : maladies, accidents, catastrophes. Il n’y a pas de stratégie du mal, seulement de l’absurde. Pourquoi ici ? pourquoi lui ? pourquoi moi ? Le mal n’a pas de sens. C’est pourquoi notre tâche est de chercher à lui donner un sens, à transformer l’absurde en quelque chose d’intégrable, à l’inscrire dans une histoire qui ouvre sur du positif.

Une deuxième mauvaise réponse est de voir dans le mal une épreuve envoyée par Dieu pour tester notre foi ou nous faire grandir. À mon avis, cela n’a pas de sens. Pour des petites contrariétés, on peut toujours dire : « Cela m’aide à relativiser, à me détacher de l’inutile », soit. Mais croire que Dieu s’amuserait à nous éprouver par des souffrances pour tester notre fidélité, c’est le présenter comme un sadique. L’épître de Jacques est claire : « Que personne, lorsqu’il est éprouvé, ne dise : c’est Dieu qui m’éprouve ; car Dieu n’éprouve personne. » Dieu connaît les cœurs, il n’a pas besoin de cela.

Troisième mauvaise réponse, hélas répandue dans l’histoire religieuse : le mal comme punition divine. Là encore, la Bible elle-même réfute cette idée. Dès le livre de Job, on montre qu’un homme juste peut être frappé par tous les malheurs sans raison. Dans l’Évangile, Jésus rejette cette interprétation : ni les Galiléens écrasés par la chute d’une tour, ni l’aveugle-né n’étaient pécheurs plus que d’autres. Non, le mal n’est pas une punition. Certes, nos erreurs peuvent avoir des conséquences : si je conduis ivre à toute vitesse, il est probable que je provoque un accident. Mais cela relève des lois de la vie, non d’une punition divine. Et bien souvent, des personnes mauvaises échappent aux conséquences de leurs actes, tandis que des personnes droites subissent le pire. Dieu ne punit pas.

Enfin, une quatrième explication, plus recevable mais incomplète, est de dire que le mal est la conséquence de la liberté humaine. Dieu a donné la liberté, et certains en abusent : les crimes, les guerres, les génocides sont de la responsabilité de l’homme, non de Dieu. Et il est vrai que, contrairement au mal naturel, le mal humain peut être organisé. Hitler a planifié l’extermination des Juifs et d’autres peuples. Ce mal-là est bien le fait des hommes. Mais cette réponse ne suffit pas : elle n’explique pas les catastrophes naturelles, les maladies, les souffrances indépendantes de toute action humaine. On ne peut donc pas tout ramener à la liberté de l’homme.

À mes yeux, il reste finalement deux réponses plausibles, mais elles sont opposées. La première, c’est la mienne, la seconde celle de Calvin. La mienne me paraît la meilleure ; celle de Calvin semble a priori la pire, mais elle me séduit de plus en plus. Vous choisirez.

Le mal n’est pas la volonté d’un Dieu tout-puissant

Ma solution est radicale : face à la question « Dieu est-il infiniment bon et tout-puissant ? », je préfère affirmer la bonté de Dieu et renoncer à sa toute-puissance. Pour moi, c’est un absolu : Dieu est infiniment bon. Mais peut-il vraiment tout ? Non. Dieu ne peut pas tout faire. Il ne peut pas, par exemple, faire que le passé n’ait pas eu lieu. Si j’ai subi un accident ou une infirmité, même Dieu ne peut pas effacer cela. Certaines réalités demeurent.

Dieu peut beaucoup, certes. Il a bien créé le monde, mais il lui a fallu du temps : treize milliards d’années. Son action est lente, progressive, en profondeur. Et je crois que le mal est précisément ce qui s’oppose à sa volonté. Dieu ne veut pas la mort d’un enfant, ni des souffrances atroces, ni des catastrophes. Jamais je ne dis lors d’un service funèbre : « Dieu a rappelé à lui untel à l’âge de 20 ans. » Non. Dieu ne veut pas qu’un enfant meurt avant l’âge.

Pourquoi alors y a-t-il du mal ? Une solution peut se trouver chez les Pères de l’Église qui parlaient de création continuée. Le monde n’est pas achevé, il est en cours. Les imperfections, les souffrances, les drames sont les lieux où Dieu agit encore pour réduire le mal. Et il nous demande de coopérer à cette œuvre. Dieu n’a pas créé le monde d’un coup de baguette magique, mais en un long processus. Le monde est un « work in progress ». Cette hypothèse est séduisante mais reste fragile pense-t-on vraiment que le monde atteindra un jour la perfection ? Mais elle a le mérite de souligner que Dieu travaille à faire reculer le mal, et que nous sommes appelés à y collaborer.

Pour ma part, je vais plus loin : il y a du mal parce que Dieu ne peut pas tout empêcher. Le monde suit son cours, et Dieu ne bricole pas les événements pour éviter chaque accident ou catastrophe. Entre un Dieu tout-puissant et un Dieu impuissant, il existe une voie médiane : un Dieu très puissant, mais pas pour tout. et n’importe quoi. Dieu n’est jamais dit « tout-puissant » dans les Évangiles, ni dans les Actes, ni dans les épîtres. On ne trouve ce terme que dans l’Apocalypse, et pour des raisons symboliques.

Ainsi, Dieu n’est peut-être pas tout-puissant, mais cela n’empêche pas qu’il soit puissant, très puissant. Il ne peut peut-être pas empêcher chaque malheur, mais il peut énormément pour nous aujourd’hui : nous relever, nous reconstruire, nous accompagner. Et c’est cela qui importe. Quand quelqu’un vient me voir après un drame, comment même pourrais-je lui dire : « Dieu aurait pu l’empêcher. » Alors pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Si je prétendais que le malheur est dû à leur manque de prière, je les écraserais davantage. Et si je disais que Dieu n’a pas voulu les exaucer, cela reviendrait à dire qu’il ne les aime pas. Dans les deux cas, c’est inacceptable et ne ferait qu’ajouter de la peine à la peine.

Je préfère donc affirmer que Dieu est infiniment bon, mais non tout-puissant, et qu’il agit non en empêchant les malheurs, mais en nous aidant à les traverser et à nous relever. C’est ce que je crois, Dieu ne peut pas tout empêcher, mais quelle que soit la situation, aujourd’hui, il peut vous ressusciter intérieurement, vous relever, vous remettre debout, vous accompagner pour que vous puissiez retrouver goût à la vie. C’est cela que je crois.

Il est essentiel de se poser cette question du mal. Certains pourraient penser que ce sont des spéculations inutiles, et qu’il suffit d’avoir la foi du charbonnier. Mais je crois qu’il serait dangereux de s’en contenter, j’ai vu trop de personnes perdre la foi après une épreuve. Avec une foi un peu enfantine, (parfois enseignée lors de leur catéchisme malheureusement), elles étaient restées dans l’idée que Dieu pouvait tout. Alors, quand un malheur survient, la perte d’un enfant, d’un proche, ces personnes se révoltent, accusent Dieu ou tout simplement s’en éloignent, et finissent par ne plus croire. Leur foi, non réfléchie, s’écroule. Tant que tout va bien, on peut dire : « Merci Seigneur pour ma santé, pour ma vie, pour mes joies », Mais le jour où survient le malheur, à qui dire merci, et où est-il ce Dieu si providentiel ? C’est alors malheureusement à ce moment où la foi pourrait les soutenir qu’elles s’en éloignent.

Mieux vaut donc se poser les questions avant, plutôt que de voir sa foi s’effondrer au moment où l’on en aurait le plus besoin. Quelle que soit la solution retenue face au problème du mal, l’essentiel est de maintenir que Dieu n’est jamais complice du mal. Je me souviens ainsi d’un service funèbre pour un tout petit enfant. Je n’avais pas le temps de prêcher longuement. Alors j’ai simplement dit aux parents : « Croyez ce que vous voulez sur Dieu, trouvez la réponse que vous pouvez, mais en aucun cas ne pensez que Dieu ait été complice de la mort de votre enfant. » C’est cela l’essentiel : Dieu n’est que source de vie et de relèvement.

Oui, Dieu a beaucoup de puissance, et il peut être le créateur du monde. Mais son action, à l’échelle cosmique, s’inscrit dans des milliards d’années. Nous, avec nos quelques dizaines d’années, n’avons pas le temps d’en percevoir pleinement la portée. À notre échelle, Dieu agit moins sur les événements que sur les personnes. Et là, j’ai vu tant de transformations, tant de vies renouvelées, relevées, ressuscitées intérieurement, que je rends grâce pour sa puissance.

C’est pourquoi je vous ai lu ce récit de Matthieu 14, où Jésus fait marcher Pierre sur l’eau. Ce texte marque une rupture entre l’Ancien Testament et le nouveau. Dans la Bible, l’eau symbolise souvent le mal, la mort, l’épreuve. Dans l’Ancien Testament, Dieu ouvrait la mer Rouge : le peuple passait à pied sec, les problèmes s’écartaient devant eux. Mais ce n’est pas ainsi que la vie se passe. Dans le Nouveau Testament, face à la tempête, Jésus ne fait pas disparaître l’eau. Il aide Pierre à marcher dessus. Le mal reste là, mais la foi permet de traverser. C’est cela, pour moi, la véritable puissance de Dieu : non pas supprimer les épreuves, mais donner la force de les traverser. Quand Pierre s’enfonce, Jésus tend la main et le relève. Dieu ne nous laisse jamais tomber. Sa toute-puissance, si l’on veut garder ce mot, est une toute-puissance de relèvement, d’amour, de soutien. Dieu ne change pas le cours des choses comme un magicien. Il n’enlève pas le mal, mais il peut le transformer en bien. C’est la grande spécialité de Dieu, et toute la Bible en témoigne. L’histoire de Joseph le dit : « Le mal que vous m’avez fait, Dieu l’a changé en bien. » L’histoire de Jésus en est le sommet : sa naissance hors norme, né hors mariage, condamné normalement à mort avec sa mère, par l’accueil de Joseph donne vie au Messie ; sa mission manquée, terminant sur la croix, symbole de défaite. Et voilà que la croix devient signe d’espérance. À chaque fois, Dieu renverse la situation, et ce qui semblait échec devient victoire. Ainsi, Dieu n’empêche pas toujours le malheur, mais il donne la force de le traverser, et surtout, il sait transformer le mal en bien.

La solution de Calvin, tout ce qui arrive est la volonté de Dieu

L’autre solution, à l’opposé de la mienne, est celle de Calvin. Elle est plus radicale : pour lui, Dieu est tout-puissant et omniscient. Tout ce qui arrive est donc la volonté de Dieu. Point final. Dès lors, pour préserver à la fois la bonté et la toute-puissance divines, il faut aller jusqu’à nier le mal. Ce que nous appelons « mal » n’en est peut-être pas un ou n’être qu’une apparence : si une chose arrive, c’est que Dieu l’a voulu, et si Dieu l’a voulue, c’est que c’est bien.

L’idée n’est pas absurde. Qui suis-je pour juger Dieu, ou même savoir ce qui est réellement bien ou mal ? Un enfant de trois ans ne comprend pas toujours pourquoi ses parents lui interdisent quelque chose ou le réprimandent. Mais il découvrira plus tard que c’était pour son bien. Et la différence entre cet enfant et ses parents est encore moindre que celle qui existe entre nous et Dieu. Nous n’avons qu’une vision fragmentaire des choses, comme une fourmi qui marche sur un tapis sans percevoir le dessin d’ensemble. Dieu, lui, voit le tout, il sait ce qui est bon pour l’univers.

D’ailleurs, nos propres vies confirment parfois cela. Combien de fois avons-nous subi un contretemps, un échec, un événement non désiré, qui s’est révélé, après coup, une chance ou une bénédiction ? Combien de fois ce que nous appelions « mal » a fini par produire du bien ? Alors, qui peut dire aujourd’hui si ce qui lui arrive est réellement mauvais ? La vraie sagesse est peut-être de faire confiance à Dieu.

Calvin ne se trompe pas sur un point : le mal, en lui-même, n’est pas un problème. Les philosophes antiques le définissaient comme une simple privation de bien, un retour au « niveau zéro » de l’existence. Naître, vivre, mourir : du point de vue de l’univers, rien ne change vraiment. Comme le disait Wilfred Monod dans son volumineux ouvrage Le problème du bien : la vraie question n’est pas « Pourquoi le mal existe-t-il ? », car le monde aurait pu rester minéral, sans vie ni amour, mais « Comment y a-t-il du bien ? » Voilà la merveille : qu’il y ait de la vie, de la beauté, de l’amour.

Le vrai problème n’est pas le mal, mais la souffrance, c’est-à-dire la manière dont nous vivons ce qui nous arrive. « Le mal n’est mal que si on le prend mal », disait un psychanalyste. La souffrance naît de notre refus, de notre révolte, de notre rigidité face à l’épreuve. En consentant à notre vie, en accueillant ce qui survient comme venant de la main de Dieu, la souffrance peut être transformée. C’est là la valeur immense du pardon : il ne s’agit pas seulement de pardonner à l’autre, mais aussi à la vie, aux événements, à Dieu lui-même. Le pardon, c’est refuser de rester victime, c’est accepter de dire : « Ce qui m’arrive n’est pas un problème, c’est une étape ».

Ainsi, pour Calvin, tout ce qui arrive est la volonté de Dieu, et par conséquent, tout est bien. La souffrance vient de notre refus d’adhérer à cette volonté. Mais si nous consentons, alors la paix peut revenir. Est-ce possible dans tous les cas ? Pour les petits problèmes, sans doute. Pour les grands drames, je l’avoue, je n’y parviens pas. Mais Calvin, lui, y arrivait. Il a vu mourir sous ses yeux son épouse qu’il aimait tant, et il a répété : « L’Éternel a donné, l’Éternel a repris, que le nom de l’Éternel soit béni. » Il a vu mourir son fils unique, Joseph, et il a dit : « Tu me piles, Seigneur, mais il me suffit de savoir que c’est ta main qui me frappe. » Je me demande si c’est un manque de foi de ma part de ne pas pouvoir aller jusque-là. Peut-être certains d’entre vous ont-ils une foi assez grande pour adhérer à cette vision. Mais il faut se poser la question en amont : suis-je prêt à dire que tout ce qui arrive est la volonté de Dieu... absolument tout ? Si oui, alors cette voie est possible. Si non, mieux vaut réfléchir avant de s’y engager. Quant à moi, je ne peux pas le faire totalement.

Conclusion

Finalement, je garde ma conviction : le mal n’est jamais voulu par Dieu. Si je souffre, Dieu pleure avec moi, et avec lui je cherche à avancer, à grandir. Avec son aide, je peux me relever. Mais je retiens malgré tout quelque chose de Calvin : il y a une part de mystère qui m’échappe. Je ne veux pas me poser en juge de Dieu, décider de ce qui est bien ou mal, juste ou injuste. Il y a un moment où je dois lâcher prise et dire : « Après tout, Dieu sait. ». Je crois donc qu’il faille arriver à une forme de synthèse : Dieu ne veut pas le mal, mais son action me dépasse et je ne peux pas tout comprendre, justifier ou maîtriser. La seule chose à éviter absolument, c’est la superstition, croire que la foi protège des épreuves est une illusion. Jésus lui-même, notre Seigneur, est mort sur une croix dans d’atroces souffrances ; ses douze apôtres sont morts martyrs. La foi n’est pas une assurance contre les malheurs, elle est autre chose : une confiance qui transforme nous oriente et nous relève. Car si nous aimons Dieu « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu », écrit Paul dans sa lettre aux Romains. Cela ne signifie pas que les croyants seront comblés de succès, de prospérité ou de chance. Non. Cela veut dire qu’avec l’aide de Dieu, même le mal peut être transformé en bien, transfiguré. Tout peut devenir chemin de vie, occasion de croissance, chance pour les autres et, par ricochet, pour nous-mêmes.

Oui, ma foi est peut-être incomplète : je ne crois pas à la toute-puissance de Dieu. Mais j’ai une confiance infinie en sa puissance d’amour, capable de transformer la mort en vie, le mal en bien. C’est cette puissance-là qui m’accompagne, et que je souhaite pour vos vies.
Amen.

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