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Y a-t-il vraiment un temps pour tout ?

(Ecclésiaste, chapitre 3)

Prédication prononcée le 28 août 2022, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur  Louis Pernot


Un temps pour tout... et n’importe quoi ?

Dans le texte de l’Ecclésiaste, le chapitre 3 répétant « il y a un temps pour tout... » est un des textes les plus connus de la Bible. On peut le comprendre, le livre de l’Ecclésiaste, d’abord, est un des livres de la Bible particulièrement simples à lire, on y trouve une sorte de sagesse populaire facile à entendre, il n’y pas là, apparemment, de haute spéculation théologique qui rendrait le texte obscur. Mais ce livre vaut-il vraiment d’être aussi lu ? Son enseignement désenchanté sur la vie humaine ne semble pas des plus positifs, mais il a pour lui qu’on peut facilement s’y reconnaître.

En particulier le chapitre 3, assenant 29 fois en anaphore qu’il y a « un temps pour tout », est bien représentatif de l’ensemble du livre... Il y a un temps pour tout, et en fait un peu pour n’importe quoi : rire, pleurer, la paix, la guerre, aimer, haïr... En fait, il faut bien dire que cela est tout à fait discutable. Pense-t-on vraiment qu’il doive y avoir un temps pour haïr, un temps pour tuer, un temps pour la guerre et un temps pour détruire ?

Mais si ce texte plaît, c’est sans doute parce qu’il est lu non pas comme une injonction, comme s’il fallait trouver un temps pour haïr par exemple, mais comme disant ce qui est par rapport à l’expérience que tout le monde peut avoir de la vie. Il est vrai qu’il y a dans l’existence de chacun du bien et du mal, des joies et des peines, il y a des moments d’incertitude, d’autres de grands bonheurs, des moments pleins d’amour et d’autres où la haine semble régner. Il faut admettre que ce texte ressemble à notre vie à tous, et il est rassurant de voir qu’on n’est pas seul à expérimenter tout cela, il n’y a pas que du bien en nous, mais aussi bien des choses pas toujours bonnes. Tout dans notre vie n’est pas amour, construction, pardon, joie et paix, il s’y trouve un peu de tout, et il est bon que la Bible nous dise que c’est comme ça pour tout le monde depuis des millénaires, et qu’elle l’assume !

Une place pour chacun

Et puis ce texte est infiniment tolérant, s’il y a un temps pour tout, alors il y a une place pour tout le monde. Rien ni personne n’est exclu et tout est accueilli dans la simplicité. Chacun a des choix, des orientations différentes et il y a une place pour chacun, et tout ce qui se trouve dans notre vie, parfois malgré nous, peut trouver une place, et pour tout ce qui est en nous peut se trouver la juste place, le bon moment, le juste temps qu’il faut. Le secret de la vie, d’après la Bible, n’est pas d’exiger que nous devenions des petits anges, qu’il n’y ait que de l’amour, de la bonté dans notre vie. En nous, en effet, il y a de tout, du bon et du mauvais, et la sagesse est d’essayer de faire quelque chose de bien avec tout ça. Il ne nous est pas demandé que notre vie soit un chef d’œuvre de perfection, et l’expérience commune de tous ceux qui ont un peu vécu pousse à comprendre et à accepter qu’en fait, notre vie ressemble le plus souvent à un gigantesque bricolage. On fait ce qu’on peut avec les moyens que l’on a, beaucoup de choses ne sont pas comme on le voudrait, mais tant pis, que cela ne nous empêche pas d’avancer. Ou encore plus trivialement, on pourrait dire que la vie est un peu l’art d’accommoder les restes, comme quand on est devant son réfrigérateur et qu’on regarde ce qui s’y trouve en se demandant comment on va s’y prendre pour pouvoir accueillir ses amis qui arrivent. Et on peut y arriver, il est possible de faire quelque chose de tout à fait acceptable, voire bon, avec tout ce mixte qui fait notre vie, tout ce fatras de qualités de défauts, d’expériences bonnes ou moins bonnes, de chances, ou de tares.

Mais pour cela il ne faut pas tout mélanger n’importe comment, ni faire n’importe quoi. C’est en cela qu’il y a quelque chose de faux dans ce texte de l’Ecclésiaste si on l’isole du contexte en ne lisant que la série des « un temps pour tout », car alors on pourrait croire que le dernier mot de la Bible est une espèce de relativité temporelle accueillant et mettant tout à égalité, la vie, la mort, l’amour la haine etc. Or ce n’est même pas ce que veut dire l’Ecclésiaste, car après sa liste de temps pour tout, il y a une suite trop rarement lue : il y a un temps pour tout... mais « Dieu a mis dans le cœur de l’homme la pensée de l’éternité » (Eccl. 3:11). L’homme ne peut donc se contenter de ce relativisme temporel, il est en quête d’éternité, de quelque chose qui n’est pas lié au temps. Parce que dans la vie, nous avons besoin de points de repère, tout n’est pas relatif, tout n’est pas possible ou également bien. Pour bien vivre, il faut aussi des choix, des orientations. C’est d’ailleurs un paradoxe de ce texte qui est souvent choisi pour des cérémonies de mariage, alors que des engagements de mariage sont tout sauf du temporel. Les jeunes mariés ne disent pas qu’aujourd’hui ils se marient et que c’est très bien si demain ils se séparent. Il n’y a pas un temps pour se marier et un temps pour divorcer. Certes cela peut arriver, et alors il faut aussi accueillir cette épreuve, mais ce n’est pas le projet. La volonté est que le seul temps désiré est celui de construire, pas de détruire. Ils promettent de s’aimer et de rester fidèles « pour toute la vie », donc pour toujours. Le temps de la tromperie, de la maltraitance, de l’égoïsme est exclu ! Le mariage est une parole qui s’inscrit dans la durée.

Sortir du relativisme du temps pour l’éternel par la foi

Comment faire alors pour sortir de ce relativisme effrayant pour s’inscrire dans l’éternité ? C’est encore la suite du texte qui le dit : « j’ai reconnu que tout ce que Dieu fait dure à toujours ! » (Eccl. 3:14). Ce qui est durable, c’est ce que Dieu fait, ce qui est en relation avec lui. Peut-être parce que Dieu est parole créatrice, il est un projet créateur, la prédication du Christ, l’Evangile est un programme pour orienter l’humanité nouvelle, il permet de passer du temps à l’éternité, du jetable au durable, du conditionné à l’absolu. Pour pouvoir accommoder ces restes et faire quelque chose de ce divers pur, du fatras de ce qui compose notre existence, il faut avoir une idée, un projet, une orientation. C’est ce qui, dans la Bible, s’appelle la foi. La foi n’est pas le sentiment diffus de la présence de Dieu qui peut aller et venir dans notre expérience, elle n’est pas de l’ordre de l’émotion, de la capacité à se sentir aimé par Dieu ou à prier, la foi dans la Bible, c’est l’adhésion de l’intelligence à une parole de vérité. Et c’est cela la foi qui sauve.

Celui qui a vraiment une volonté de faire quelque chose de positif, tout peut le servir pour cela, le bien comme le mal qui se trouve dans sa vie, la souffrance comme la joie, la peine comme les rires, parce que, comme le dit Paul, « tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu » (Rom 8:28). Cette dernière affirmation comporte le risque d’être interprétée comme de la superstition, faisant croire que si on aime Dieu alors il ne nous arrivera que du bien. C’est évidemment faux, et Jésus lui-même n’a pas eu matériellement beaucoup de chances dans sa vie, pourtant on peut dire qu’il a aimé Dieu ! Mais ce verset veut dire que si on aime Dieu, alors tout peut être converti en bien et participer à un but supérieur qui dépasse le bien et le mal subis. On peut faire feu de tout bois, même les choses les plus difficiles peuvent être intégrées dans un projet positif pour concourir au bien. Ainsi, par exemple, la tour de Pise, mondialement connue et aimée n’est à la base qu’une tour ratée. L’architecte qui a construit sa tour au XIVe siècle a dû pratiquement mourir de honte en voyant sa construction commencer à se pencher lamentablement. Et voilà qu’elle a été célèbre pour ça. Si la tour de Pise avait été droite, peu de monde irait la voir ! Ainsi, même le mal peut devenir au service d’un plus grand bien. C’est encore la réalité de la croix, humainement elle représente l’échec de la mission du Christ : il vient pour convertir le monde, et il est rejeté comme un misérable, abandonné de tous et tué comme un malfaiteur. Mais Dieu a fait que la croix du Christ est devenue le plus grand signe d’espérance qui soit, la base de la foi des chrétiens dans leur sauveur, roi des rois et fils de Dieu.

Ce qui sauve, c’est donc d’avoir une idée directrice, d’adhérer à un plan de bataille pour sa vie et tout mettre au service de cela. Le bien et le mal sont en soi des éléments neutres, tout dépend ce qu’on en fait. Même les épreuves peuvent être source d’énergie, et les contrariétés source d’inventivité.

Le temps de Dieu, c’est celui de l’éternité, du durable, du pérenne, de l’éternel, pas du jetable, du passager ou du relatif ; et c’est lui qui peut nous permettre d’opérer cette transition entre le relatif et le durable.

Intégrer le temporel

Mais faudrait-il alors abandonner toute notion de temps, nier l’incarnation pour ne vouloir vivre que dans l’éternel ? Non. D’abord parce que nous en sommes incapables. L’Ecclésiaste le sait bien qui dit certes : « Dieu a mis dans le cœur de l’homme l’Eternité, » mais il ajoute : « bien que l’homme ne puisse pas saisir l’œuvre que Dieu a fait du commencement jusqu’à la fin » (Eccl. 3:11). L’éternel pur est incompréhensible, inassimilable pour l’homme. L’homme n’est pas Dieu, il est incarné, il est imparfait, il ne faut pas s’en culpabiliser, mais l’assumer avec réalisme. Nous ne pouvons pas vivre comme de purs esprits ou des anges célestes. Nous vivons dans le temps, pas dans l’éternité, il faut en tenir compte.

Il y a au moins deux manières d’intégrer cette temporalité dans notre vie. La première est suggérée par l’Ecclésiaste lui-même qui dit en substance de profiter du bon temps : « Il n’y a rien de bon pour l’homme sinon de se réjouir et de faire ce qui est bon pendant sa vie. Et que pour tout homme manger, boire et voir ce qui est bon au milieu de tout son travail est un don de Dieu ! » (Eccl. 3:12-13). Dans ce même livre il est écrit ensuite, « Jouis de la vie avec la femme que tu aimes... » (Eccl. 9:9), et encore, « Profite de ta jeunesse » (Eccl. 11:9). Donc puisqu’il y a un temps pour tout, au moins ne manquons pas les temps positifs. Profitons-en pour nous nourrir de joie, de bien, de force et de bonheur. Dans toute vie il existe des parcelles de bon, il faut les prendre et construire dessus. Il ne sert à rien de se rendre malheureux, il ne faut jamais refuser un cadeau de la providence, si l’on a des chances, il faut en profiter ! Et pour les temps d’épreuves, simplement : patience ! Après la pluie, le beau temps, ou tout au moins il y a toujours des éclaircies par ci par là... Ou au minimum, on peut toujours se souvenir des jours heureux... C’est encore l’Ecclésiaste qui nous dit dans sa sagesse : « Au jour du bonheur, jouis du bonheur, et au jour du malheur, réfléchis » (Eccl. 7:14).

Et puis il y a des éléments de réponse dans l’Evangile. Dans ce beau discours sur les soucis (Matthieu 6:24-34), Jésus nous invite à ne pas nous préoccuper du temps, ni du passé qui est révolu, ni de l’avenir qui peut être angoissant. Ce n’est pas un appel à l’irresponsabilité, mais un appel à vivre aujourd’hui. Il ne sert à rien de se rendre malheureux par anticipation des problèmes qui pourraient nous advenir. La question, c’est l’ici et maintenant de sa vie, après on verra, « à chaque jour suffit sa peine ! » (Mat 6:14). Mais l’Evangile, comme l’Ecclésiaste ne reste pas à ce détachement, il dit qu’au-dessus de tout cela, « cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice » (Mat 6:13) ! Or Dieu est parole, et dans cette parole, on peut trouver la source d’inspiration, de confiance et de consolation dont nous pouvons avoir besoin. Quant au temps terrestre, l’Evangile ne le nie pas, au contraire, on peut trouver ce que Jésus en pense dans les nombreuses paraboles agricoles comme celle du grain de moutarde (Matt. 13:31-32), le temps est là celui de la croissance. Dans toute vie humaine, rien de positif ne peut advenir immédiatement, il faut du temps, de la croissance, de la construction, de la maturation. C’est la composante positive du temps. Le temps n’est pas qu’une perte ou une angoisse, c’est une chance pour qui sait l’utiliser !

Et surtout par cette prédication du Christ avec ses paraboles agricoles, on voit que nous pouvons avoir un but plus créatif que juste profiter de la vie : ce que nous pouvons faire de mieux et ce vers quoi nous devons tendre, c’est de produire du fruit ! Transmettre, donner... et pour cela il est toujours temps ! Et puis en grandissant, en progressant nous pouvons arriver au but ultime qui est d’accueillir des oiseaux dans nos branches. Ces oiseaux sont le saint Esprit, bien sûr. Voici notre destinée ultime : que notre vie puisse accueillir Dieu lui-même, accueillir plus grand que soi, faire place à la transcendance, et que notre temps laisse alors de l’espace à l’éternité. C’est là notre seule vraie mission : être porteurs d’un esprit de vie, de joie paix sagesse bienveillance et d’amour, et pour cela il faut du temps, mais un temps de bénédiction !

Louis Pernot

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Ecclésiaste 3:1-15

1Il y a un moment pour tout, un temps pour toute chose sous le ciel :
2Un temps pour enfanter et un temps pour mourir ;
Un temps pour planter et un temps pour arracher le plant ;
3Un temps pour tuer et un temps pour guérir ;
Un temps pour démolir et un temps pour bâtir ;
4Un temps pour pleurer et un temps pour rire ;
Un temps pour se lamenter et un temps pour danser ;
5Un temps pour jeter des pierres et un temps pour ramasser des pierres ;
Un temps pour étreindre et un temps pour s’éloigner de l’étreinte ;
6Un temps pour chercher et un temps pour perdre ;
Un temps pour garder et un temps pour jeter ;
7Un temps pour déchirer et un temps pour recoudre ;
Un temps pour se taire et un temps pour parler ;
8Un temps pour aimer et un temps pour haïr ;
Un temps de guerre et un temps de paix.
9Que reste-t-il à celui qui travaille de la peine qu’il prend ? 10J’ai vu le souci que Dieu donne aux humains comme moyen d’humiliation. 11Tout ce qu’il a fait est beau en son temps, et même il a mis dans leur cœur (la pensée de) l’éternité, bien que l’homme ne puisse pas saisir l’œuvre que Dieu a faite, du commencement jusqu’à la fin. 12J’ai reconnu qu’il n’y a rien de bon pour lui sinon de se réjouir et de faire ce qui est bon pendant sa vie ; 13et aussi que pour tout homme, manger, boire et voir ce qui est bon au milieu de tout son travail, est un don de Dieu. 14J’ai reconnu que tout ce que Dieu fait dure à toujours, il n’y a rien à y ajouter et rien à en retrancher. Dieu agit (ainsi) afin qu’on ait de la crainte en sa présence. 15Ce qui est a déjà existé et ce qui existera est déjà là, Dieu ramène ce qui a disparu.

Matthieu 6:31-34

31Ne vous inquiétez donc pas, en disant : Que mangerons-nous ? Ou : Que boirons-nous ? Ou : De quoi serons-nous vêtus ? 32Car cela, ce sont les païens qui le recherchent. Or votre Père céleste sait que vous en avez besoin. 33Cherchez premièrement son royaume et sa justice, et tout cela vous sera donné par-dessus. 34Ne vous inquiétez donc pas du lendemain car le lendemain s’inquiétera de lui-même. A chaque jour suffit sa peine.

Matthieu 13:31-32

31Il leur proposa une autre parabole et il dit : Le royaume des cieux est semblable à un grain de moutarde qu’un homme a pris et semé dans son champ. 32C’est la plus petite de toutes les semences ; mais, quand elle a poussé, elle est plus grande que les plantes potagères et devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter dans ses branches.

 

 

Eccl. 3:1-15