Joseph le juste
Prédication prononcée à Noël 2020, au temple de l'Étoile à Paris,
par la pasteur Florence Blondon
Genèse chapitre 30
22Dieu se souvint de Rachel, il l'exauça et la rendit féconde. 23Elle devint enceinte et accoucha d'un fils. Elle dit : Dieu a enlevé mon déshonneur. 24Elle lui donna le nom de Joseph en disant : Que l'Éternel m'ajoute un autre fils !
Esaïe chapitre 7
14C'est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe,
Voici que la jeune fille est enceinte, Elle enfantera un fils
Et lui donnera le nom d'Emmanuel.
Matthieu chapitre 1
18Voici quelle fut l’origine de Jésus-Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph ; avant leur union, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit saint. 19Joseph, son mari, qui était juste et qui ne voulait pas la dénoncer publiquement, décida de la répudier en secret. 20Comme il y pensait, l'ange du Seigneur lui apparut en rêve et dit : Joseph, fils de David, n'aie pas peur de prendre chez toi Marie, ta femme, car l'enfant qu'elle a conçu vient de l'Esprit saint ; 21elle mettra au monde un fils, et tu l'appelleras du nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. 22Tout cela arriva afin que s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par l'entremise du prophète : 23La vierge sera enceinte ; elle mettra au monde un fils et on l'appellera du nom d'Emmanuel, ce qui se traduit : Dieu avec nous.24A son réveil, Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui avait ordonné, et il prit sa femme chez lui. 25Mais il n'eut pas de relations avec elle jusqu'à ce qu'elle eût mis au monde un fils, qu'il appela du nom de Jésus.
Prédication
D’après notre ministre de la santé, nous ne vivons pas un Noël « normal », mais est-ce que Noël peut être normal ? Qu’y a-t-il de normal dans les récits de Noël ? En réalité pas grand-chose, tout dans l’histoire ou les histoires de Noël nous dit l’irruption de l’extraordinaire dans notre monde, avec, il faut bien l’avouer, certaines bizarreries.
Ainsi en est-il dès l’ouverture de l’Évangile selon Matthieu. L’évangéliste inaugure son récit avec une longue, très longue généalogie. Certes pour inscrire Jésus dans la lignée d’Abraham et surtout de David, mais voilà qu’à la fin nous apprenons que ce n’est pas sa généalogie mais celle de Joseph, qui n’est pas son père, ou tout du moins pas son « géniteur » comme on le dit aujourd’hui, de manière bien peu poétique. Donc il y a d’entrée un décrochage. Ensuite nous pouvons nous interroger : comment Joseph apprend-il que Marie est enceinte ? Si cela se voyait, elle aurait déjà été mise au banc des accusés, avant même que Joseph puisse faire quoique ce soit. Ou bien Marie lui aurait appris, dans ce cas il ne la croit pas et il lui faudra la visite de l’ange pour l’accepter. En tout cas rien ne nous est dit à ce sujet. Rien de bien normal dans tout cela, et l’attitude de Joseph l’est encore moins, puisque l’on nous dit qu’il est juste et qu’il ne respecte pas la loi.
Mais parfois, pour comprendre un événement, il faut plonger dans le passé. C’est ce qui se passe ici avec l’histoire de Joseph. En effet nous sommes à peu près tous au courant que Jésus est un descendant de David. Et la généalogie qui ouvre l’Évangile selon Matthieu, et qui donc est le porche d’entrée du Nouveau Testament, a bien pour fonction d’inscrire Jésus dans la lignée messianique, dans l’histoire d’Israël, de l’alliance avec Dieu. Mais cette généalogie, nous l’oublions trop souvent, inscrit avant tout Joseph dans cette lignée, cette histoire, ce passé. D’un autre côté, il existe des indices pour nous dire que rien n’est lisse, « normal » dans cette généalogie : les femmes citées ont toutes une situation marginale par rapport à la loi : elles nous offrent une toute autre vision de Dieu au-delà des étroits critères de la religion et de la morale ; la justice telle que l’on peut se l’imaginer est avec elles bouleversée. Aussi lorsque plus tard on nous dit que Joseph est un homme juste, nous pourrons nous questionner : qu’est-ce qu’être juste ? Et donc au cœur de ce qui est un acte de légitimation, on découvre une ouverture, une ouverture à l’autre, une ouverture à l’interprétation. Si bien des ancêtres de Joseph sont loin d’être exemplaires, leur humanité a su ouvrir une brèche qui laisse place à la promesse. De plus, cette généalogie nous dit aussi l’inscription de Jésus dans une humanité qui est la nôtre, puisque nous apprenons à la fin que sa mère est une femme : Marie. Jésus, et Joseph avant lui, sont donc inscrits dans une alliance, une relation entre Dieu et les humains. Dieu qui se fraye un chemin, Dieu qui prend le risque de parler par l’intermédiaire des humains. Ainsi l’incarnation est déjà présente. Avec la venue de Jésus elle va être pleinement réalisée.
La parole de Dieu retentit par la voix des prophètes, et Jésus nous est présenté comme celui qu’annonçaient les prophètes. Et cette reprise du livre d’Esaïe est là pour nous le dire : « la jeune fille devient enceinte» (Es 7,14). Cette phrase n’était au départ que l’annonce de la naissance d’un enfant pour le roi Ahaz. Mais très vite elle a été interprétée comme l’annonce du Messie, descendant de David, qui viendra pour délivrer son peuple. Là aussi il y a un décrochage, puisque dans la version d’Esaïe il n’est pas dit : la « vierge » est enceinte, mais la « jeune fille ». Mais lorsque les savants grecs ont traduit le livre d’Ésaïe, ils ont employé le terme de « vierge ». Probablement que cela a largement influencé les récits d’annonciation.
Pourtant si l’explication est assez censée, rendant presque « normale » la naissance de Jésus, il ne faudrait pas pour autant évacuer le sens de cette naissance virginale.
Et si la généalogie nous dit toute l’humanité de Jésus, l’intervention de l’Esprit de Dieu l’inscrit dans une autre filiation qui sera révélée lors de son baptême : « celui-ci est mon fils bien-aimé ». Toute naissance est d’abord une histoire de chair et de sang. Mais pour être pleinement humains, nous devons recevoir l’Esprit, sous peine de ne rester que dans la bestialité. C’est déjà ce qui se passe avec Adam (Gn2). Pour Jésus c’est l’inverse qui nous est raconté, l’Esprit est premier. Jésus est pétri de notre humanité, né de chair et de sang, et pourtant il n’est pas que cela. C’est ce que nous disent également les premiers versets de l’Évangile de Matthieu.
En mettant ainsi en scène ce récit de l’annonce et de la naissance de Jésus, l’évangéliste a une intention bien théologique, spirituelle. C’est ce qu’énonce simplement sa première phrase « livre des origines (ou de la Genèse) de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham » (Mt 1,1) qui reprend l’expression de Gn2 et de Gn 5,1, « livre des origines des humains ». Ainsi la venue du Christ se situe au commencement. Et ce mot d’origine ou « genèse », on le retrouve au début du récit de l’annonciation à Joseph (Mt 1,18). Revenons donc à Joseph.
Car il existe dans le judaïsme une tradition qui fait appel à un Messie fils de Joseph ; ce messie disparaitrait au profit du fils de David, mais certains commentateurs tiennent à les tenir en tension. Un messie fils de Joseph ouvert au monde, et un autre fils de David plus « nationaliste ».
L’Évangile de Jean donne d’ailleurs à Jésus le titre de « fils de Joseph », dans son premier chapitre, alors que jamais il n’est ailleurs fait allusion à ce père, le présentant comme celui « dont il est parlé dans la loi et les prophètes » (Jn 1,45). Ainsi le nom de Joseph donné au père adoptif de Jésus est tout à fait significatif. Et si la généalogie de Joseph l’inscrit dans la lignée de David, sa généalogie littéraire, spirituelle nous renvoie à un autre Joseph, le fils de Jacob ; le premier qu’il a eu avec sa femme Rachel, alors qu’il avait déjà dix fils avec la sœur ainée de Rachel, Léa qu’il avait été obligé d’épouser, et avec des servantes des deux sœurs alors stériles. (Gn 29-30). Mais Jacob aimait Rachel, aussi ce premier fils sera son préféré, ce que ces frères ne supporteront pas. Ils n’iront pas jusqu’à le tuer, mais il sera vendu comme esclave en Égypte. Le roman de Joseph est à lire dans le livre de la Genèse (30 à 50).
Il existe de nombreux parallèles entre ces deux Joseph, en particulier leur capacité à interpréter les songes, et également leur lien avec l’Égypte qui sera un pays de refuge. Et ce premier Joseph est également dit « juste ». En quoi cette ascendance est-elle significative pour le père de Jésus ? Son attitude « juste ». Car, que fait Joseph ? : Joseph substitue la fraternité au fratricide. Il coupe court à la haine qui était à l’œuvre depuis Caïn et Abel. Il est exemplaire, au lieu de se venger de ses frères qui ont voulu sa mort, il va renouer les liens fraternels. Et cela nous éclaire sur ce qu’est un homme juste. Car au regard d’une compréhension étriquée de la loi, l’époux de Marie n’a rien d’un juste déjà lorsqu’il ne veut pas dénoncer sa femme publiquement. S’il avait appliqué la loi, selon le livre du Deutéronome 22, 23-24, Marie méritait d’être lapidée. Pourtant il ne va pas se conformer à la loi. Cela veut dire que la notion même de ce qu’est « être juste » aux yeux de Dieu n’est pas l’obéissance aux commandements, mais une façon d’être qui va être développée dans la suite de ce récit, et dans la personne de Jésus.
Mais ce rapport bien particulier à la loi, on le découvre déjà dans les faits et gestes de ses arrière-grands-mères, pas toujours très « orthodoxes », quant à l’application de la loi.
Alors Joseph va faire comme ses ancêtres, aussi bien de sang que littéraires, et il va favoriser, choisir la vie plutôt qu’une loi qui condamne. En cela il est précurseur de ce fils qu’il va adopter. Donc Joseph va faire un geste d’amour exceptionnel, il va prendre Marie, il va adopter ce petit qui n’est même pas né, il va jusqu’à accepter de ne pas avoir de relation sexuelle avec elle.
Au début de notre récit Joseph, déjà, refuse la loi qui condamne, mais la venue de l’ange nous dit encore plus. Il devient un homme de foi, c’est-à-dire un homme qui quitte ses peurs. « Ne crains pas » lui dit l’ange, le messager. Et Joseph accueille sa parole. La grâce de Dieu est première ici, elle va permettre à Joseph d’accepter, d’adopter, de protéger, d’aimer. Joseph prend cette décision incroyable, sans laquelle rien n’aurait été possible. Il adopte l’enfant qui n’est pas le sien, il devient son père et c’est lui qui lui donnera son nom. Et cette naissance à venir nous rappelle que toute naissance est fragile donc exceptionnelle, c’est un don, une grâce. Et que pour devenir parent, ce n’est pas une simple histoire de biologie, d’ADN, mais il faut toujours adopter son enfant.
Donc, Joseph est juste, mais il est aussi justifié par l’amour de Dieu qui est venu lui rendre visite.
Et Jésus est fils de Marie, et fils de Joseph, fils de son bon cœur, fils de sa foi humble et sage, fils de Dieu.
Amen
Florence Blondon
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