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Matthias: une élection étonnante

Prédication prononcée le 24 avril 2024, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur  Louis Pernot

 

Un inconnu tiré au sort

Il y a dans la Bible des personnages importants et bien connus : Moïse, Abraham, David, et dans le nouveau testament : Paul, Pierre, Jean etc. Et il y en a aussi qui passent totalement inaperçus. Matthias, est de ceux-là, dont le nom n’apparaît que deux fois. Quelle importance peut-il avoir ? On le voit dans au début du livre des Actes, il est nommé pour remplacer Judas afin de compléter le collège des Apôtres pour qu’ils restent 12. Mais il n’en n’est plus jamais question après, il disparaît littéralement !
En soi, cette nomination d’un Apôtre est intéressante : et on pourrait même y chercher quelque enseignement pour l’Eglise d’aujourd’hui : quelle est la bonne méthode pour choisir un pasteur dans une paroisse, ou élire les conseillers presbytéraux ?

Mais déjà le texte pose problème. Matthias est tiré au sort après invoqué Dieu. Certes, cette pratique de tirage au sort était d’usage dans l’ancien testament, mais personne ne fait comme ça aujourd’hui. Le hasard n’est quand même pas un procédé de sélection objectivement pertinent. Et qui croit que Dieu puisse déterminer les tirages au sort ? Ca ne va pas ! D’ailleurs, un peu plus loin dans le livre des Actes, lorsqu’il s’agit de nommer les diacres, le processus est pratiquement le même, mais cette idée de tirage au sort est abandonnée. Les apôtres se contentent de prier, d’assumer leur choix et d’imposer les mains, plus de hasard !

Le choix de Matthias exprimerait-il une sorte de naïveté d’une pratique ou d’une foi immature ? Difficile de le penser !

Choix intelligent et présence de Dieu

Mais en fait, Matthias n’est pas choisi seulement par tirage au sort. Il sera sélectionné selon des critères très précis. Le texte dit les attendus, les raisons du choix, à la fin ils hésitent entre deux : Joseph appelé Barsabas, surnommé « le juste » et Matthias. C’est pour les départager qu’ils tirent au sort, ce tirage n’opère donc pas de vrai choix, il permet juste de départager deux candidats semblant équivalents, sans que la responsabilité subjective de l’un ou de l’autre ne soit engagée.

En fait, le procédé de nomination est extrêmement démocratique. Certes c’est Pierre qui prend l’initiative. Et c’est d’ailleurs la première fois dans cette Eglise naissance qu’il joue un rôle essentiel, mais à aucun moment il ne décide ni ne tranche. Ce texte, donc, à la fois montre la primauté de Pierre dans le collège des Apôtres, et relativise son autorité, puisqu’il ne fait preuve d’aucun pouvoir décisionnaire. Au départ donc, il y a l’assemblée : 120 personnes, sans doute pour dire qu’il s’agit d’un multiple du nombre des apôtres (D’où l’importance de restituer le 12e). Et c’est tous assemblés, comme lors d’une assemblée générale, chacun ayant son mot à dire que les 120 en présentent deux. Une fois encore, ce n’est pas Pierre qui en choisit ou en présente deux, c’est vraiment tous ensemble. Le tirage au sort est une modalité curieuse, mais en tout cas on voit que personne ne semble avoir l’autorité de trancher personnellement, et c’est d’ailleurs peut-être pour cela qu’ils tirent au hasard pour départager les deux candidats.

On peut ne pas croire que Dieu manipule le hasard, mais associer Dieu au résultat du tirage au sort a quelque chose de très fort, c’est de rendre indiscutable un résultat pourtant arbitraire, et de s’incliner devant lui en l’acceptant comme tel. Il s’agit de donner du poids à un résultat qui aurait pu être autre chose. Il n’y avait pas de raison de choisir l’un plus que l’autre, mais à partir du moment où l’un est choisi, il ne faut plus revenir en arrière. Pour nous aussi il arrive que certaines des décisions qui peuvent même orienter notre vie, se fassent sans avoir tous les éléments, voire avec une part de hasard. On peut se poser la question de savoir, après coup, si nous n’aurions pas dû faire un autre choix, mais la sagesse est souvent de ne pas regarder en arrière (quand on ne peut plus changer), mais d’assumer son choix, et de l’accepter même symboliquement comme venant de Dieu, c’est-à-dire comme quelque chose qui nous dépasse et que l’on accepte, et que l’on veut déclarer comme bon. Et de tout faire pour que ce choix finalement soit le bon et mène au bien.

Ensuite, un point essentiel dans cette histoire, c’est justement d’y associer Dieu, et le poids que donnent les disciples à la place de la prière. Que ce soit pour l’organisation de nos paroisses ou associations cultuelles, ou même de notre propre vie, il est bon que nous ne gérions pas tout cela sans foi ni loi. Un conseil presbytéral n’est pas un conseil d’administration et il doit sans cesse se rappeler qu’au-delà des questions matérielles, il est au service de Dieu et de l’Evangile. Et pour nos vies aussi, nous ne vivons pas que pour nous-mêmes, ou pour des projets purement humains, mais comme ouvriers du Royaume, pour Dieu et avec Dieu. Sans doute le fait de prier Dieu dans ce choix arbitraire et difficile avait quelque chose d’un peu naïf, mais au moins Dieu était convoqué dans leur démarche et c'est bien !

Comme nous l’avons dit, c’était néanmoins un peu enfantin, évidemment, la prière ne garantit pas tout. Lors du choix de ses 12 apôtres Jésus est dit s’être retiré dans la montagne pour prier seul (Luc 6:12), pourtant on pourrait penser que le choix de Juda n’était pas tout à fait le meilleur qui soit. Mais Jésus l’a assumé, et finalement, même au travers de sa traîtrise, Juda a participé au succès de la mission séculaire du Christ ! La prière n’est pas une ligne directe avec le bon Dieu qui pourrait s’exprimer clairement et à la manière des hommes, mais sans la prière nous perdrions notre âme et le sens même de tout ce que nous faisons et de ce que nous sommes.

Envoyé pour servir dans l’humilité

Ensuite, nous avons bien remarqué que cette histoire de tirage au sort n’avait, en fait, qu’une importance très secondaire dans le processus de nomination. Pierre invoque deux raisons de cette élection, et ce à partir de deux citations de Psaumes : Que sa demeure devienne déserte, et que personne ne l’habite ! Et : Qu’un autre prenne sa charge ! Deux mots d’ordre qui font sens et que nous pouvons conserver comme ligne directrice. D’abord et autant que possible que le mal n’habite pas dans nos vies. Il faut être ferme : pas de place pour le mal. Point ! Et puis de ne pas laisser la place vacante. Il ne s’agit pas tant de faire du vide, d’interdire, de supprimer, de priver, mais de remplir de bien ! C’est un beau programme en effet, et qui va dans le sens de la prière dite « sacerdotale » que Jésus fait pour ses disciples avant sa mort dans l’Evangile de Jean : « je ne te prie pas de les retirer du monde, mais de les garder du mal » (Jean 17:15).

Et puis surtout, la question, c’est pourquoi faire ? De qui avons-nous besoin, et quel est le sens de notre mission à nous disciples du Christ ?

Pierre le dit d’abord, la vocation première est d’être témoin de la résurrection du Christ. Et ensuite lors de la prière, il est dit que le disciple est appelé à la diakonia » et à l’apostolè (Actes 1:25). Cela est trop souvent mal traduit par « ministère et apostolat ». En translitérant on dirait à être « diacre et apôtre », mais en fait « diakonos » veut dire « serviteur », et « apostolos » veut dire « envoyé ». Voilà pourquoi Mathias est nommé. On n’est pas Apôtre pour la gloire, pas plus qu’être pasteur ou conseiller presbytéral serait un honneur ou un titre qui pourrait servir à se valoriser. Toutes ces fonctions sont avant tout pour le service, pour servir...

D’ailleurs quelle gloire aura Matthias ? Aucune, on ne parlera plus jamais de lui. Faudrait-il en conclure que le choix était mauvais, et qu’ils ont nommé quelqu’un d’insignifiant et d’inutile ? Non, au contraire, Matthias est exceptionnel parce qu’il est l’image du vrai serviteur qui ne se met pas en avant dans sa fonction. Il a été le serviteur non pas inutile, mais humble et anonyme. Le véritable apôtre n’a pas besoin de gloire, de notoriété ou d’éclats.

Matthias a été un personnage pouvant sembler totalement secondaire. Tout est humble et discret en lui, même son nom ! « Matthias » est un diminutif. Le vrai nom, c’est « Mattathias ». Pourtant il n’est pas rien du tout, ce nom, il signifie « don de Dieu », le don de Dieu peut-il être insignifiant ? Non, même s’il n’est pas ce après quoi courent bien des personnes du monde visible, humain et matérialiste. D’une certaine manière, il ressemble à beaucoup d’entre nous dont peu sont de grandes célébrités ou de saints remarquables. Mais voilà, nul n’est trop petit pour être apôtre, et « Dieu a choisi les choses humbles de ce monde pour confondre les fortes. » (1 Cor 11:27).

Matthias, par ailleurs n’a jamais rien réclamé comme dignité, fonction ou privilège. Pourtant il est bien dit qu’il a suivi consciencieusement Jésus pendant trois ans. Il a toujours été là, fidèlement, il a tout vu, tout entendu, tout suivi, mais il n’a jamais rien demandé ni revendiqué. Il s’est contenté d’être à l’écoute de Jésus et de rester avec les autres. Mais quand on a besoin de lui, il est là, d’accord, prêt à servir... C’est tout à fait exemplaire. Et ce qui nous concerne particulièrement, c’est qu’« apôtre » n’est pas seulement un titre réservé à 12 personnes, mais une vocation, la mission donnée à tout croyant. Et Matthias nous montre l’exemple, il est prêt à répondre avec simplicité à la vocation du chrétien d’être à la fois diakonos et apostolos, c’est-à-dire serviteur et envoyé. Voilà ce qui définit la vocation du chrétien, ce qui devrait être le mot d’ordre de tout croyant : « envoyé pour servir ».

Pas besoin d’avoir un titre pour servir !

A l’opposé se trouve l’autre candidat : Joseph dit Barsabas, surnommé Justus, c’est-à-dire, « Le juste ». Il y a une petite incertitude sur l’identité de la personne, mais le manuscrit le plus intéressant qui est le Codex de Bèze met, non pas « Barsabas », mais « Barnabas ». Et cela fait sens : on a en effet un Joseph Barnabas un peu plus loin dans les Actes : « Joseph, surnommé par les apôtres Barnabas, ce qui signifie fils d’exhortation, Lévite, originaire de Chypre » (Actes 4:36). Ce Joseph-Barnabas sera le principal collaborateur de Paul, c’est un personnage essentiel de l’Eglise primitive qui fera beaucoup pour l’émergence du Christianisme, il sera le collaborateur de Paul, essentiel. Cela aussi est intéressant en soi : il n’y a pas besoin d’avoir un titre ou un statut officiel pour être efficace au service du Christ. Aujourd’hui, il n’est pas nécessaire d’être officiellement pape, évêque, pasteur ou conseiller presbytéral pour être un authentique et actif ouvrier de l’Eglise du Christ. Paul, d’ailleurs qui a été le principal créateur de l’Eglise n’était pas « Apôtre ». Certes, lui-même en revendiquait l’appellation, mais il n’a jamais été considéré comme tel par les autres, en tout cas dans les Actes de Apôtres. Chacun peut ainsi être utile et efficace à la mission, quelque reconnaissance officielle ou charge qui lui soit donnée.

Conditions pour être un bon apôtre

Si on prolonge l’analogie du processus du choix de l’apôtre qu’en fait nous sommes tous appelés à être, on peut regarder de plus près les conditions qui sont demandées. Elles sont au nombre de trois : avoir accompagné le Seigneur Jésus depuis son baptême jusqu’à son élévation, avoir marché avec les compagnons du Christ, et être témoin de sa résurrection.

(En passant on remarquera qu’il n’y a rien concernant ce que l’on devrait croire concernant la naissance de Jésus !). Voilà les prérequis que l’on peut conserver pour quiconque voudrait être un bon conseiller presbytéral, avoir une fonction dans l’Eglise, ou tout simplement être un bon chrétien.

L’essentiel, c’est d’être familier avec toute l’histoire de Jésus et cheminer avec lui quotidiennement. Cela demande d’être familier des Écritures, de connaître parfaitement l’Evangile jusque dans ses moindres détails, et de vivre tous les jours et chaque événement de son existence en compagnie du Christ, avec Dieu pour compagnon de route. Ensuite, être témoin de la résurrection du Christ, c’est ce qui est montré comme la base de tout dans l’ensemble du livre des Actes. Et pour cela il ne s’agit pas tant de croire à un certain nombre d’apparitions miraculeuses d’il y a 2000 ans, mais de comprendre en profondeur le sens, le message de vie et d’espérance qu’il y a dans la proclamation que le Christ est vivant depuis 2000 ans avec nous à tout instant, et ce que signifie ce message de résurrection comme foi dans la vie, dans l’espérance, dans la conversion et la possibilité de vie nouvelle, de victoire de vie sur la mort, de la lumières sur la ténèbre, et de Dieu sur le mal. Ce message n’est d’ailleurs pas étranger à ce qui est dit concernant Judas qui en a été écarté. En effet, il est dit que ce disciple félon a quitté sa place qui était la sienne pour aller en Hakeldamach ce qui signifie « le domaine du sang ». Or le sang, peut être, en effet, le sang de la violence, des entrailles répandues, il a choisi la violence plutôt que la paix et l’amour qui étaient ce qu’incarnait le Christ. Mais le sang, c’est aussi celui de la vie animale, biologique, et qui s’oppose à l’esprit. Or par la chair et le sang, nous sommes condamnés à mort, mais par l’esprit, nous sommes promis à la vie. « La chair ne sert de rien, c’est l’esprit qui fait vivre » (Jean 6:63). Et se comprendre comme « envoyé », et « serviteur », c’est sortir de soi, c’est dépasser son propre intérêt égoïste et animal pour aller vers une mission qui nous dépasse, pour aller vers les autres, et se donner soi-même. Et c’est en donnant sa vie qu’on la trouve.
Ce dépassement de l’égoïsme animal et individuel on le trouve d’ailleurs dans la manière avec laquelle le texte parle du ministère d’apôtre : les apôtres sont nommés pour la diakonia et l’apostolè, indiqués au singulier, ce service et cet envoi sont donc vus comme une réalité unique et collective : ils cherchent le remplaçant de Judas « afin qu’il prenne sa place dans ce service et cet apostolat que Judas a quitté ». Il s’agit donc d’un ministère collectif. Nous avons la même chose depuis 500 ans dans le fonctionnement de nos Eglise réformées : d’après Calvin il y a quatre ministères dans l’Eglise : deux individuels qui sont ceux de pasteur et de professeur, et deux collectifs qui sont ceux du conseil presbytéral et du conseil du diaconat (entraide). Ainsi, liturgiquement, lors de l’installation d’un conseil, on ne reconnaît pas les ministères des conseillers presbytéraux, mais le ministère du Conseil presbytéral composé de telles et telles personnes. Le chrétien est donc invité à sortir justement de son égocentrisme mortifère et qui ne mène à rien puisqu’il mourra un jour et laissera sa place à d’autres, pour se sentir envoyé dans le monde dans un service collectif, collaborer, prendre part à la mission de l’Eglise afin de témoigner dans le monde.

Voilà tout ce que nous enseigne ce bien gentil Matthias. A la fois il nous rappelle l’essentiel du sens de ceux qui acceptent une charge officielle dans l’Eglise. Et il nous rappelle à tous que nous soyons apôtres ou non, pasteurs, conseillers presbytéraux, diacres, moniteurs de catéchisme ou sans fonction précise, que l’essentiel est d’accepter de se sentir « envoyé » dans le monde, et pour « service ».

« Envoyés pour servir » voilà ce qui devrait être la devise de tout disciple du Christ.

Louis Pernot

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Actes 1:15-26

15En ces jours-là, Pierre se leva au milieu des frères – le nombre des personnes réunies était d’environ cent vingt – et il dit :
16Frères, il fallait que s’accomplisse l’Écriture dans laquelle le Saint-Esprit, par la bouche de David, a parlé d’avance de Judas, devenu le guide de ceux qui se sont saisis de Jésus. 17Il était compté parmi nous, et avait obtenu part à ce même ministère. 18Après avoir acquis un champ avec le salaire du crime, cet homme est tombé en avant, s’est brisé par le milieu, et toutes ses entrailles se sont répandues. 19La chose a été si connue de tous les habitants de Jérusalem que ce champ a été appelé dans leur langue : Hakeldamah, c’est-à-dire, champ du sang. 20Or, il est écrit dans le livre des Psaumes :
Que sa demeure devienne déserte,
Et que personne ne l’habite ! Et :
Qu’un autre prenne sa charge !
21Ainsi, parmi ceux qui nous ont accompagnés tout le temps que le Seigneur Jésus allait et venait avec nous, 22depuis le baptême de Jean, jusqu’au jour où il a été enlevé du milieu de nous, il faut qu’il y en ait un qui soit avec nous témoin de sa résurrection.
23Ils en présentèrent deux : Joseph appelé Barsabbas, surnommé Justus, et Matthias. 24Puis ils prièrent en ces termes : Seigneur, toi qui connais les cœurs de tous, désigne lequel de ces deux tu as choisi, 25afin qu’il prenne sa place dans ce ministère et cet apostolat, que Judas a quittés pour aller à la place qui est la sienne. 26Ils tirèrent au sort, et le sort tomba sur Matthias, qui fut associé aux onze apôtres.

 

 

Actes 1:15-26