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Les langues de feu (Pentecôte)
Prédication prononcée le 4 juin 2017, au Temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot
La Pentecôte, c’est pour les chrétiens la fête du don du Saint Esprit. Cela n’est déjà pas clair pour beaucoup qui ne savent pas très bien ce qu’est le Saint Esprit, mais tout devient encore plus compliqué avec cette histoire de langues de feu. Que s’est il passé vraiment, et qu’est-ce que cela peut-il bien signifier ?
En effet, si nous fêtons la Pentecôte tous les ans, ce n’est pas juste pour dire qu’un événement important a eu lieu il y a 2000 ans, mais pour affirmer que ce qui s’est passé jadis se passe encore et encore maintenant. Aujourd’hui donc, nous croyons que Dieu nous envoie encore son Saint Esprit, qu’il nous invite à dépasser tous nos deuils pour faire de la résurrection du Christ une grande et bonne nouvelle, et qu’il nous donne un esprit de vigueur pour l’annoncer au monde et travailler à son Eglise.
Mais les langues de feu où sont-elles ? Moi en tout cas, je ne les ai jamais expérimentées ni vues venir sur quiconque. Il faut bien croire donc qu’il ne s’agisse pas d’un phénomène physique avec de vraies flammes venant sur la tête de chaque disciple au risque de provoquer un incendie, mais d’une image dont il faut comprendre le sens.
Quand on cherche la signification de quelque chose dans le Nouveau Testament, il faut souvent chercher à quoi cela peut faire allusion dans les récits de l’Ancien. C’est aussi d’ailleurs un vieux procédé d’interprétation rabbinique connu sous ne nom de « réminiscence » appelé en hébreu le « Rémez ».
La présence du feu est assez simple, évidemment que cela renvoie au Buisson Ardent : ce buisson en flamme représentant la présence de Dieu que Moïse rencontre en montant sur le mont Horeb. Moïse remontera peu de temps après sur cette montagne de l’Horeb (ou du Sinaï selon les textes), et là il recevra de la part de Dieu la Loi, la Torah qui est sa Parole.
Or justement, la Pentecôte, avant d’être une fête chrétienne était et est encore une fête juive : c’est la fête du don de la Torah. Il s’agit donc bien de cela, nous sommes dans le sujet, il n’y a pas de hasard.
On voit alors que notre récit des Actes instaure un nouveau mode de relation à Dieu et à sa Parole. Dans l’Ancien Testament, il y avait un seul buisson ardent donné à un porte parole : Moïse. Et une seule personne à qui la Parole était donnée pour qu’il la transmette identique à tous. Là, chacun a comme son propre petit buisson ardent portatif et personnel. On passe d’une religion collective à une religion individuelle. La présence de Dieu n’est plus médiatisée par un spécialiste mais offerte à tous, et la Parole n’est plus une seule parole intangible, universelle et dans une langue sacrée unique, mais une parole qui s’adresse à chacun. Le texte dit même que chacun l’entend dans sa propre langue. Dieu parle d’une manière personnalisée à chacun selon sa culture, son expérience personnelle et sa nature.
Nicolas Boileau a dit : « chaque protestant est un pape la Bible à la main », à partir de la Pentecôte chrétienne on pourrait dire que chaque chrétien est un Moïse avec son buisson ardent, sa propre relation à Dieu et une parole qui lui est donnée personnellement. Chacun peut entendre directement de Dieu ce qu’il lui dit, et comprendre ce qu’il a à faire.
Là se trouve d’ailleurs un débat : la question est de savoir qui exactement a eu le privilège de recevoir ces langues de feu. Le texte ne le précise pas on y trouve simplement un « ils étaient tous ensemble réunis », on est obligé donc d’extrapoler. Certains pensent qu’il ne s’agissait que des douze apôtres, c’est ainsi que le texte a été lu dans la tradition catholique et représenté souvent dans l’art : c’est l’interprétation cléricale. L’idée serait alors que seuls les apôtres reçoivent l’Esprit, et ont ainsi l’autorité pour parler au peuple. Aujourd’hui, cela voudrait dire que par la succession apostolique, seule l’Eglise est inspirée du Saint Esprit, a autorité pour parler, transmettre la vérité de Dieu et sa volonté, et être médiateur entre le peuple et Dieu. Dans ce cas, le nouveau Moïse est l’Eglise, avec les apôtres et leurs successeurs. Au contraire, on peut penser que ce « ils » représente tous les disciples réunis : les 120 frères assemblés cités au verset 15. C’est l’interprétation protestante : il n’y a pas de cléricalisme, le Saint Esprit est donné à tous ceux qui se rassemblent autour de l’espérance en Christ.Quant à cette image du feu pour parler de la présence de Dieu, elle est belle est expressive : le feu réchauffe et éclaire, il purifie aussi. Certes, le feu peut brûler et détruire, mais le texte de l’Exode prend bien la précaution de dire que ce feu de Dieu justement ne fait que du bien, il ne détruit jamais : il est écrit que Moïse vit un « buisson qui était tout en feu », mais il est précisé en suite : « que le buisson ne se consumait point » (Exode 3:2). Ainsi en est-il de cette présence de Dieu, elle donne au croyant une douce chaleur, de la force, du courage, de la consolation, et aussi elle l’éclaire pour qu’il puisse discerner, comprendre, aller de l’avant. C’est tout cela que donne l’Esprit de Dieu à celui qui sait le recevoir.
Reste à savoir comment cet Esprit si merveilleux et désirable peut être communiqué, comment pouvons-nous aussi expérimenter cet événement de la Pentecôte pour nous aujourd’hui. Pour cela, le texte des Actes nous donne encore la solution. Ce qu’il est dit, c’est que le feu a été donné sous forme de « langues ». Or nous avons là un mot très simple qui désigne normalement l’organe, ou la langue que l’on parle. Dans tous les cas, ce dont il s’agit, c’est de parole. Et la parole est ce qui est omniprésent dans tout ce récit de don de l’Esprit : les langues de feu, les langues parlées, les paroles échangées, le discours que Pierre alors inspiré va faire pour initialiser l’Eglise. Et dans toute la Bible, la Parole est liée à la présence de Dieu, et en particulier quand elle est comparée à un feu. Ainsi, Moïse sur l’Horeb voit le buisson en feu, puis quand il y retourne pour y rencontrer Dieu, il n’y a plus de feu, mais à la place, Dieu lui parle. La Parole prend la place du buisson ardent, elle est interchangeable avec le feu de la présence de Dieu. D’ailleurs elle est elle même un feu, ainsi qu’il est dit en Deutéronome (33:2) « Il (l’Eternel) a envoyé le feu de sa loi ». Et dans la tradition juive, on trouve cette belle affirmation : « La Loi donnée par le Seigneur à Moïse était un feu blanc (en lettres blanches sur fond noir), et la Loi même est pétrie de feu, taillée dans le feu, entourée de feu selon le verset : à sa droite une loi de feu pour eux » (Talmud : Sheq 6:49d). Ou encore disons nous souvent après les lectures bibliques de nos cultes : « Ta parole est une lampe à mes pieds, une lumière sur mon sentier » (Ps 119:105), oui, la Parole de Dieu comme la flamme de la lampe qui nous éclaire.
Nous comprenons ce que les auteurs bibliques ont voulu nous dire par là, la Parole de Dieu est plus qu’une parole, la Bible est plus qu’un vieux livre, il s’y trouve une puissance vivifiante, une force de vie qui peut illuminer nos vies. La Bible est toute ruisselante de l’Esprit de Dieu. On parle souvent de l’ « inspiration de l’Ecriture », mais ce n’est pas pour dire que les auteurs de la Bible n’auraient pas pu se tromper, ni que la Bible serait dictée par Dieu, mais il faut comprendre que cette Ecriture est inspirée, elle est pleine de l’Esprit. La Bible, c’est de l’Esprit en conserve, il suffit de l’ouvrir pour que l’Esprit s’en dégage. Elle est comme la lampe d’Aladin qu’il fallait frotter pour que le génie en sorte. Il faut prendre cette Ecriture, l’ouvrir, la réchauffer, la frotter sur soi, et alors cette parole devient vivante, elle devient Esprit, vie et feu.
Cette expérience, c’est exactement ce que l’on trouve encore dans un récit de la tradition juive du Talmud : « Ils étaient assis (R. Eliezer et R. Yehoshoua), étudiant les paroles de la Torah. De la Torah ils passèrent aux prophètes, et des prophètes aux Ecrits. Alors le feu du Ciel descendit sur eux et les encercla. Abouya leur dit : Messieurs, vous voulez donc incendier ma maison ? Ils lui dirent : Non pas, nous étions là, lisant les mots de la Torah les uns après les autres, de la Torah nous passâmes aux prophètes, et des prophètes aux Ecrits. Alors les mots exultèrent comme autrefois lorsqu’ils furent donnés au Sinaï, et des flammes les caressèrent, comme elles les avaient caressés au Sinaï. » (Hag 2:77b). Cette histoire est pratiquement la même que celle de notre récit de Pentecôte, sans doute en est-elle d’ailleurs à l’origine, les disciples évidemment la connaissaient.
Voici donc ces que sont nos langues de feu : la Parole de Dieu qui devient flamme. Or avant la Pentecôte, les disciples ne faisaient en fait rien, ils n’avaient que la Bible, et l’enseignement de leur Seigneur Jésus Christ, ils étaient ensemble sans doute à se rappeler tout ce qu’il leur avait dit, et voilà que tout à coup, ces paroles deviennent feu et vie.
Mais il leur a fallu un certain temps pour cela : 50 jours nous dit Luc dans ce livre des Actes. La Bible ne se laisse pas facilement dévoiler, il faut de la persévérance, il faut la lire, la relire pendant des jours et des jours en ayant l’impression d’être dans le noir avant qu’elle puisse devenir lumière. Et sans doute même que 50 jours est bien peu. Dans le récit des sages du Talmud, on dit qu’avant d’expérimenter cette lumière venant du texte, ils ont lu toute la Torah : Genèse, Exode, Lévitique, Nombre, Deutéronome, puis les prophètes : Josué, Juges, Ruth, Samuel 1 et 2, les livres des Rois, ceux des Chroniques, les grands et les petits prophètes, ils ont lu avec persévérance, mais sans rien recevoir, sans flamme, sans feu... Et de là, ils sont passés aux écrits : les Psaumes, les Proverbes, l’Ecclésiaste... Et ce n’est qu’au bout du parcours qu’ils ont compris. Combien de temps faut-il pour lire tout ça ? Des jours, des semaines, des années mêmes. Il faut être patient, extrêmement patient, l’Esprit ne se donne pas comme ça dès que l’on ouvre l’Ecriture !
Et cette interprétation a un grand mérite, c’est que du coup, tout le monde est invité à expérimenter cette Pentecôte. S’il s’agissait de vrais feux-follets venant surnaturellement sur la tête des Apôtres, alors nous n’aurions aucune chance, nous serions exclus de cette fête à laquelle visiblement nous ne serions pas invités. Mais comment une bonne nouvelle pour des gens réunis il y a deux mille ans et qui ne serait pas répétable pour nous pourrait-elle être une bonne nouvelle pour nous ? Le croyant n’est pas invité à vivre sa joie par procuration, ni à être une sorte de voyeur théologique. La bonne nouvelle du voisin n’est pas une bonne nouvelle pour moi. Et si certains ont plus de chance que moi, ce n’est pas en essayant de me hisser pour voir la joie et les fêtes de mes voisins riches que je pourrai être heureux. La Pentecôte n’est donc une bonne nouvelle que si je peux être ceux dont il est question dans le récit. Et là je comprends qu’en effet, je suis bien invité. J’ai les mots, j’ai les lettres, j’ai les paroles, il me suffit de les étudier avec les autres, de les partager pour qu’elles deviennent pour moi source de lumière, pour qu’elles me communiquent l’Esprit Saint, et qu’elles mettent le feu à ma vie !
Donc on le comprend, le saint Esprit vient de la Parole de Dieu, il ruisselle de celle-ci, mais il faut ajouter quelque correctif à cette vision peut-être un peu simpliste.
Tout d’abord, il y aurait un risque d’interprétation volontariste qui se limiterait à dire qu’il suffit de travailler et de lire la Bible pour avoir l’Esprit. Cela n’est pas totalement faut, et certes, il est écrit : « cherchez et vous trouverez, demandez et vous recevrez... » (Matt. 7:7), mais en même temps dans le texte de la Pentecôte, il est bien dit que les disciples reçoivent le saint Esprit, ils ne le gagnent pas. Il faut donc comprendre que le Saint Esprit n’est pas la récompense offert à ceux qui ont bien cherché et bien travaillé mais il est offert et il se reçoit. Tout seul, l’homme est incapable de se hisser jusqu’à Dieu. Et la fête de la Pentecôte est une bonne nouvelle justement parce que c’est Dieu là qui a l’initiative, c’est la fête du DON de l’Esprit. Le Saint Esprit nous est donné, il coule de Dieu comme d’une source inépuisable. Ce n’est pas une énergie à trouver au fond de soi même, c’est un don externe qui est offert par grâce, sans comptabilité de nos propres mérites. Certes, la passivité n’est pas une bonne chose, et il ne suffit pas d’attendre sans rien faire que Dieu nous donne tout, il faut quêter, lire, étudier, chercher, mais avant tout peut-être faut-il s’ouvrir à une réalité autre que soi, sortir de soi pour pouvoir accueillir cette puissance divine qui nous est étrangère.
Voici donc une démarche essentielle : s’ouvrir aux autres, à l’inattendu, à la surprise, à la nouveauté. Et certes, on peut militer pour une religion individuelle, mais là aussi il faut tempérer l’affirmation. Dans notre récit, aucun n’était seul, personne n’était dans son coin. Les disciples étaient ensemble, ils étaient dans la communauté de ce qu’était l’Eglise naissante. Il y a donc une dimension communautaire indispensable, on ne peut pas prétendre chercher d’une manière féconde en restant tout seul, sans dialogue avec les autres et sans être avec d’autres. Pour nous aujourd’hui, nous dirions que l’Eglise est essentielle à notre démarche, et les Réformateurs qui ont milité pour une religion particulièrement individuelle n’ont jamais prétendu qu’on pourrait se passer d’Eglise !
Et puis quand l’Esprit est donné aux disciples, ils sont en plus avec toute une foule très bigarrée, le groupe dans lequel ils se trouvent n’est pas fait uniquement de bons juifs pieux de leur petite région mais de toutes les nationalités, de toutes les langues ; des anciens juifs, des nouveaux juifs et des non juifs. Il faut donc non seulement cheminer avec d’autres qui nous ressemblent, mais aussi s’ouvrir aux autres, accueillir, écouter, comprendre les autres, aussi différents peuvent-ils être de culture, de coutumes, d’orientations ou de choix divers et qui ne sont pas forcément les nôtres. S’ouvrir ainsi aux autres, apprendre à accueillir les autres est une très bonne base pour être en mesure de s’ouvrir à Dieu, et de recevoir son Esprit, lui qui est le tout-autre.
Il est certainement difficile de rencontrer Dieu en restant chez soi, et même en restant entre soi.
Certes, toute cette foule fêtait la même fête : la Pentecôte juive, ils avaient un point commun. Et lors de cette fête, on lit les textes bibliques (encore et encore), mais à plusieurs, et avec cette fécondité extraordinaire que donne la diversité des points de vue et des expériences personnelles.
Et finalement, le travail de ces disciples n’a été que préparatoire, le Saint Esprit, ils le reçoivent.
C’est Dieu qui nous donne et qui s’offre à nous. Et ce qu’il nous donne, c’est son Esprit : souffle de vie, puissance qui fait avancer, qui met en mouvement, qui console et qui libère. Ce Saint Esprit, c’est une source surnaturelle qui transforme nos existences. Il peut nous revitaliser, et comme les apôtres qui étaient au départ retirés, déprimés, isolés, nous pouvons devenir avec l’aide de Dieu plein de vie, de force, d’enthousiasme, de vigueur, et capables d’aller vers les autres, de parler, de témoigner, de transmettre et simplement de vivre.
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Actes 2:1-14
1Lorsque le jour de la Pentecôte arriva, ils étaient tous ensemble dans le même lieu. 2Tout à coup, il vint du ciel un bruit comme celui d’un souffle violent qui remplit toute la maison où ils étaient assis. 3Des langues qui semblaient de feu et qui se séparaient les unes des autres leur apparurent ; elles se posèrent sur chacun d’eux. 4Ils furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer.
5Or il y avait en séjour à Jérusalem des Juifs pieux venus de toutes les nations qui sont sous le ciel. 6Au bruit qui se produisit, la multitude accourut et fut bouleversée, parce que chacun les entendait parler dans sa propre langue. 7Ils étaient hors d’eux-mêmes et dans l’admiration, et disaient : Voici, ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? 8Comment les entendons-nous chacun dans notre propre langue maternelle ? 9Parthes, Mèdes, Élamites, ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée, la Cappadoce, le Pont, l’Asie, 10la Phrygie, la Pamphylie, l’Égypte, le territoire de la Libye voisine de Cyrène, et ceux qui sont venus de Rome, Juifs et prosélytes, Crétois et Arabes, 11nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu ! 12Tous étaient hors d’eux-mêmes et perplexes et se disaient les uns aux autres : Que veut dire ceci ? 13Mais d’autres se moquaient et disaient : Ils sont pleins de vin doux.
14Alors Pierre, debout avec les onze, éleva la voix et s’exprima en ces termes : Vous Juifs, et vous tous qui séjournez à Jérusalem, sachez ceci et prêtez l’oreille à mes paroles !...