Ecouter la version audio
Voir la Video complète
Voir la version imprimable
LE verset qui résume toute la Bible!
Prédication prononcée le 29 janvier 2023, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot
Il y a beaucoup de versets dans la Bible (31.102 pour être précis), beaucoup de beaux et bons enseignements. Et dans tout cela y en a-t-il un qui pourrait prétendre résumer tout l’enseignement biblique, sur ce qu’apporte Dieu et ce qui est demandé à l’homme ? Qu’est-ce qui peut prétendre résumer tout l’enseignement biblique, toute la volonté de Dieu ?
Paul et Jean
La réponse est explicitement donnée par Paul qui écrit dans l’épître aux Galates : « Toute la loi est accomplie dans une seule parole, celle-ci : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Galates 5:14), ou encore dans l’épître aux Romains : « Ne devez rien à personne, si ce n’est de vous aimer les uns les autres ; car celui qui aime les autres a accompli la loi. En effet les commandements : Tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas de vol, [tu ne rendras pas de faux témoignage], tu ne convoiteras pas, et tout autre commandement se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L’amour ne fait pas de mal au prochain : l’amour est donc l’accomplissement de la loi. » (Romains 13:8-10).
C’est bien, Paul est formidable, ces passages sont jolis et on les aime, il est toujours bien de rappeler ce commandement central de l’amour... Mais en fait, cela ne rend pas bien compte de toutes les dimensions de l’Evangile parce que Paul reste là trop dans la dimension morale. Aimer son prochain, c’est très bien, mais où est Dieu ? Ce pourrait être le fondement d’un parti humaniste. D’ailleurs quand Paul cite les 10 commandements, il ne mentionne que ceux de la deuxième table et qui concernent le rapport entre humains. Curieusement, il ne cite pas les premiers qui sont les commandements spirituels : ne pas avoir d’autre Dieu, ne pas se faire de représentation de Dieu, ne pas prendre le nom de l’Eternel en vain, se souvenir du jour du Sabbat pour le sanctifier, et honorer son père et sa mère (Exode 20). Paul oublie Dieu, il laisse de côté toute dimension spirituelle ! C’est un problème, on ne peut pas réduire la foi à une morale ou à de l’action sociale, et donc ces passages ne sont pas assez exhaustifs.
Dans la même veine avons-nous ce verset de l’évangile de Jean « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jean 15:12). C’est déjà mieux parce que on trouve là mention du Christ. Il est bien dit que la base morale c’est d’aimer son prochain, et il est aussi évoqué l’amour de Dieu en Jésus Christ... Mais ce verset ne parle pas de l’amour de l’homme pour Dieu, ni de sa foi, il manque encore quelque chose.
Encore dans Jean, on pourrait être tenté de prendre le verset considéré par beaucoup comme le plus beau de toute la Bible : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse point mais qu’il ait la vie éternelle ». (Jean 3 :16). Evidemment magnifique... On a bien là l’amour de Dieu, l’importance de la foi, la vie éternelle... Mais cette fois rien sur ce que l’homme est invité à vivre concrètement. Ce n’est pas assez complet pour pouvoir répondre à ce que nous cherchons.
Le sommaire de la Loi
Alors justement, le mieux est de revenir à Jésus (c’est toujours bonne idée). Et nous trouvons dans les premiers évangiles l’exposé de ce qu’on appelle le sommaire de la Loi comme en Marc 12:28-34 « Un des scribes demanda : Quel est le premier de tous les commandements ? Jésus répondit : Voici le premier : Écoute Israël, le Seigneur, notre Dieu, le Seigneur est un, et tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force. Voici le second : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-là. ». Voilà qui en effet est bien, on a les deux piliers de la vie fidèle : Dieu et le prochain, la foi et les œuvres. Tout cela est en effet magnifique, c’est bien le résumé de la Loi, c’est-à dire de la volonté de Dieu, ou de tout ce qu’est appelé à être la vie chrétienne.
Mais on a là en fait deux commandements, pas un seul, voir même trois puisqu’il faut aimer son prochain... et donc aussi soi-même. L’interprétation de ce « comme soi-même » peut se faire en effet de différentes manières, ce peut être pour dire qu’il faut aimer son prochain autant qu’on s’aime soi-même... mais ce n’est pas très convaincant, on ne s’aime pas toujours soi-même ! On peut aussi l’interpréter en disant qu’il faut aimer son prochain comme un autre « soi-même », comme un sujet qui a le droit d’exister et de dire « je ». Aimer en effet, c’est accueillir l’autre comme personne indépendante de soi, qui n’est pas pour soi ni comme soi. Il s’agit donc d’apprendre à respecter l’autre, l’accueillir et lui autoriser, lui donner le droit de dire « je », un « je » qui est un autre « je » que le sien propre. Mais on dit aussi souvent, et à juste titre qu’il faut apprendre à s’accepter soi-même pour pouvoir aimer l’autre et avoir de la disponibilité. Celui qui se sent coupable, misérable et incapable, aura toujours de la difficulté à accueillir positivement l’autre. Il faut être à l’aise avec soi-même pour pouvoir être disponible vis-à-vis des autres.
Et la complexité ne s’arrête pas là parce que, en ce qui concerne le fait d’aimer Dieu, Jésus déploie cela en disant qu’il faut le faire de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa force et de toute sa pensée. Le cœur est le centre décisionnel de toute notre vie, l’âme, la source de la vie, de la respiration, notre principe vital, la force renvoie à notre action concrète. Et jésus ajoute, quelque chose. Dans nos traductions nous avons le plus souvent « de toute ta pensée », mais littéralement c’est bien « de toute ton intelligence » mille fois d’accord, on a le droit d’être intelligent tout en étant chrétien, et l’intelligence, la raison sont des alliés pour découvrir Dieu.
Mais alors, cela nous fait 4 commandements juste pour Dieu, plus les deux qui concernent le prochain et soi-même), on est déjà à 6, et encore un de plus parce que l’ensemble est introduit par « Ecoute », souvent oublié et pourtant essentiel. Oui, il faut aimer Dieu, pas juste l’accueillir dans son cœur, mais aussi l’écouter, parce qu’il est Parole, parole d’amour, de vie, de création, de conseil, de consolation. Nous avons donc là 7 commandements !
Tout cela est magnifique... et c’est à bon droit qu’on l’appelle le « sommaire de la Loi ». Tout y est, et il n’y a rien de trop... Mais c’est beaucoup trop long pour ce que nous cherchons... Nous voulions trouver une seule parole qui résume tout, et la plus courte possible, on en est loin.
Les sages du Talmud
Cette discussion a déjà eu lieu dans le Talmud (Makkot 24a) qui montre un débat entre les sages pour savoir comment réduire à l’essentiel les 613 commandements de la Torah : quel verset résumerait tout la Bible dans les 21.145 versets de tout l’Ancien Testament ?
Les sages parviennent d’abord à réduire à trois commandements avec Michée 6:8 « On t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bien et ce que l’Éternel demande de toi : c’est que tu pratiques la droit, que tu aimes la bonté, et que tu marches humblement avec ton Dieu » . Ce verset magnifique est souvent utilisé dans notre liturgie à la fin du culte, comme exhortation, juste avant la bénédiction. Ce qu’il enseigne, c’est d’abord qu’il faut pratiquer le droit, donc faire ce qui est bien, faire ce qui est juste, comme il faut. Ensuite, que nous devons aimer l’amour, la bonté, la tendresse, ou la miséricorde. Le droit c’est bien, mais on ne doit pas être dans l’intégrisme, ni dans le jugement d’autrui. Chercher l’amour, c’est vouloir accueillir l’autre et privilégier la relation, l’accueil. Il est, par ailleurs, juste demandé d’« aimer l’amour », c’est-à-dire de désirer ardemment cette réalité, mais pas de promettre d’y arriver à l’accomplir parfaitement. Parce qu’on fait concrètement ce qu’on peut. Aimer l’amour, c’est le vouloir, le désirer, se diriger dans cette direction, on est donc dans le salut par la foi, ce n’est pas le résultat qui compte dans notre vie mais ce que nous désirons sincèrement et profondément. Et enfin il est demandé de cheminer avec Dieu, dans l’humilité et la simplicité. Nous avons là la dimension spirituelle de la relation avec Dieu, relation qui se fait dans le cheminement, donc dans une dynamique, pas dans l’immobilité statique, mais dans le mouvement, et toujours en toute humilité par rapport à Dieu.
Cela est magnifique... mais nous avons là trois commandements. Peut-on faire mieux ? Oui, un des sages propose un verset où il parvient à réduire à deux, avec Esaïe 56:1 « Ainsi parle l’Éternel : Gardez ce qui est droit, et pratiquez la justice ». A priori, ce verset ne semble pas formidable, on reste dans la pratique et la morale, il est question du faire, de la pratique, du droit, du juste, du bien. On est apparemment trop dans les œuvres. Mais ce n’est pourtant pas sans Dieu. La « justice », dans l’Ancien Testament, se comprend par rapport à Dieu et à toute la Loi. Et ce qui est beau est qu’ici, le contenu de cette justice n’est pas explicité. Il y a donc une invitation au discernement : trouver par soi-même ce qui est bien et juste pour obéir à Dieu. Cela n’est pas évident, il faut réfléchir, soupeser, chaque cas est particulier. Et puis l’introduction « Ainsi parle l’Eternel » ajoute quand même un rapport à la Parole de Dieu, c’est bien donc...
Mais les sages parviennent finalement à un seul commandement : Amos 5:4 « Ainsi parle l’Éternel : Cherchez-moi, et vous vivrez ! ». On est davantage dans le spirituel. Même peut-être trop ! Le commandement semble n’est que par rapport à Dieu, il est autant trop spirituel que le précédent était trop humain.
Mais chercher Dieu, c’est une belle chose. Il faut chercher, toujours chercher, il n’est pas question d’adhérer à une doctrine, ou un enseignement, ce « cherchez-moi » est une merveille d’ouverture non dogmatique. Chercher n’est pas avoir trouvé pour pouvoir ensuite s’appuyer sur un savoir, nous sommes ici invités à chercher, à être toujours en quête, et c’est cela qui permet d’avancer. Le « et vous vivrez » est alors comme une promesse : si vous cherchez Dieu, alors vous vivrez ! Mais en fait, en hébreu il n’est pas écrit cela, la version habituelle vient de la traduction antique de la Septante, dans l’hébreu original nous avons deux impératifs : « Cherchez-moi, et vivez ! ». Nous sommes alors encore dans la dynamique et avec une autre dimension que le spirituel parce que vivre, c’est très concret, c’est respirer, bouger, aimer, profiter, souffrir, entrer en relation avec l’autre, avec les autres... se battre même. Et en fait nous avons ainsi à la fois le spirituel et terrestre : il faut chercher Dieu, ou plus largement chercher le spirituel, s’attacher à l’amour de Dieu, vivre de la grâce ; et en même temps s’insérer dans le monde pour y agir. Et celui qui cherche vraiment Dieu, normalement il ne peut pas agir mal, parce que Dieu est amour, tendresse, pardon et miséricorde. Voilà le programme donc, d’abord chercher Dieu, puis que cette quête rayonne sur notre manière de vivre et d’être au monde. Nous avons bien là effet un magnifique verset !
Mais un autre arrive avec encore mieux et convainc tout le monde en présentant un verset dans Habacuc 2:4 : « Le juste vivra par sa foi », en hébreu : « יִחְיֶֽה וְצַדִּ֖יק בֶּאֱמוּנָתֹ֥ו » trois mots, difficile de faire moins !
C’est précisément ce verset qui a converti Luther, comme il le dit lui-même dans l’introduction à ses lettres. Ce verset se trouve également pas moins de trois fois dans cité dans le Nouveau Testament ! (Rom. 1:17, Gal. 3:11, Heb 10:38), Paul le prend comme le cœur de sa prédication, ce qui en montre l’importance. On comprend habituellement ce passage dans le contexte de Paul et de son idée centrale d’affirmer que c’est la foi qui sauve et non les œuvres : le salut se trouve par la foi... et non par ce que l’on fait. Et il faut rappeler que dans la Bible, la foi n’est pas de l’ordre du sentiment, mais elle désigne l’adhésion profonde à une vérité, la foi, c’est ce en quoi l’on croit, même intellectuellement, ce à quoi l’on adhère comme idéal, ce que l’on désire ardemment, ce à quoi l’on se destine. Pour ce qui est des œuvres, on fait ce qu’on peut, et nous ne parvenons pas toujours à faire ce que nous voudrions. Ce qui nous sauve, c’est d’adhérer profondément et sincèrement au plan de Dieu pour nous. Il n’y a as d’œuvres méritoires...
Seul problème : Paul triche et ne cite pas Habacuc comme il faut : il met « Le juste vivra par LA foi » alors qu’Habacuc dit « Le juste vivra par SA foi ». Pourquoi ? Y a-t-il trahison du texte biblique. Pourquoi a-t-il laissé de côté le pronom possessif ?
Le juste vivra par la foi
Alors retournons à Habacuc : « le juste vivra par sa foi ».
On peut le comprendre de différentes manières, ce peut être : « le juste dans sa foi... vivra », autrement dit : « celui qui est juste dans sa foi, il vivra » Alors l’important est avoir une foi juste, non pas une émotion particulière comme nous l’avons dit, mais une foi bien orientée qui consiste à savoir à quel idéal on se destine, en quoi l’on croit et à faire dans ce domaine les bons choix. Il est bien d’avoir une foi juste : croire dans l’amour, la paix, le service, l’humilité et le pardon. C’est là en fait toute la prédication du Christ, et c’est la vie ! Voilà que l’on trouve l’évangile de Jean où Jésus dit : « Je suis le chemin la vérité et la vie » (Jean 14:6). Oui, Amen, c’est vrai !
Ou alors comme on le traduit d’habitude : « Le juste, il vivra par sa foi ». Il faut alors deux choses : d’abord être juste : avoir une vie bien réglée, faire le bien, être droit et honnête, travailleur et modeste. Cela est très bien. Mais ça ne donne pas la vie. Ce qui donne la vie : c’est sa foi : adhérer au plan de Dieu, choisir de lui faire confiance, se brancher sur Dieu source de vie, de force, d’énergie, d’espérance. Sinon, a quoi bon, on ne risque que le découragement, la peur...
Mais en étudiant de près le texte on découvre une curiosité, tous les manuscrits anciens ne sont pas d’accord. Certains mettent que Dieu dit : « le juste vivra par MA foi ». Tiens, il serait question de la foi de Dieu ? Que cela peut-il bien dire ?
On peut dire que Dieu a foi dans l’homme. C’est ce qui le distingue du diable. Le diable croit dans l’existence de Dieu bien sûr. La différence entre le Diable et Dieu, c’est que Dieu, lui, il croit en plus dans l’homme, alors que le diable non, il n’est que cynisme et n’a aucune considération pour l’homme qu’il ne cherche ni à aider ni à sauver. Et c’est cette attention de Dieu pour nous qui nous sauve, Dieu, lui croit en moi, même quand je désespère de moi-même, et cela me fait vivre !
Ou alors on peut le comprendre parce que le mot « emmounah » désigne la foi comme nous l’avons dit, mais aussi la fidélité. Et il y a de nombreux versets dans la Bible disant que Dieu est fidèle avec exactement le même mot que nous avons ici, par exemple : « Dieu est le Rocher ; son œuvre est parfaite, car toutes ses voies sont équitables ; c’est un Dieu fidèle (El Emmounah) et sans injustice, c’est lui qui est juste et droit. » (Deut 32:4), ou comme le dit Paul dans son langage : « πιστὸς ὁ θεός », « Dieu est fidèle » c’est à dire « digne de foi ». (1Cor 1:9). Quant à notre verset d’Habacuc, il faudrait alors plutôt traduire : « Le juste vivra par ma fidélité », et c’est bien Dieu qui parle. Alors le sens est tout autre : nous vivons, non pas grâce à notre propre foi, mais grâce à la fidélité de Dieu. C’est Dieu qui nous fait vivre, et tout est grâce.
Ainsi un jour lors d’une discussion avec collègue calvinien alors que je lui affirmais que nous étions sauvé par notre foi, il me rétorque : « tu fais de ta foi une œuvre... un mérite en quelque sorte. C’est la fidélité de Dieu qui nous sauve, et pas nous-mêmes ». Ca se défend !
Paul, lui, choisit de ne pas choisir, peut-être est-ce pour cela qu’il ne met ni « sa » ni « ma » mais simplement « Le juste vivra par La foi ». Point ! Et la foi est une relation mutuelle entre Dieu et l’homme. C’est ce rapport de vérité qui lie l’homme et Dieu qui le sauve et le fait vivre, et dans les deux sens. D’ailleurs le mot « emmounah » signifie plein de choses différentes en Français, et qui sont toutes essentielles pour vivre : foi, loyauté, fidélité, confiance, vérité, raison, conscience, probité, constance, honnêteté, stabilité... Toutes ces valeurs sont essentielles, et elles font vivre. Il est très heureux qu’on les ait si souvent attribuées aux protestants. Il faut rechercher ces valeurs, les vivre, les enseigner, les incarner. Elles sont la source de la vie. Tant en ce que nous en profitons de la part de Dieu, que pour ce que nous les vivons concrètement en réponse à tout ce que nous avons reçu de Dieu. Nous sommes appelés à vivre des dons de Dieu pour vivre ces mêmes dons dans le monde. Être sous la grâce pour vivre la grâce ! c’est un beau programme.
Ce verset d’Habacuc revu par Paul « le juste vivra par la foi » n’est pas le plus évident, ou le plus séduisant des versets de la Bible. Pourtant, quand on le contemple de près, on peut vraiment s’apercevoir qu’en effet, il recèle tant et tant de trésors ramenant à la base de la révélation biblique et évangélique. Et le tout en trois mots... Difficile de faire moins, et plus dense !
Retour à la liste des prédications
Galates 3:6-14
Abraham crut Dieu, et cela lui fut compté comme justice. 7Reconnaissez-le donc ; ceux qui ont la foi sont fils d’Abraham. 8Aussi l’Écriture, prévoyant que Dieu justifierait les païens par la foi, a d’avance annoncé cette bonne nouvelle à Abraham : Toutes les nations seront bénies en toi ; 9de sorte que ceux qui ont la foi sont bénis avec Abraham le croyant. 10Tous ceux en effet qui dépendent des œuvres de la loi sont sous la malédiction, car il est écrit : Maudit soit quiconque n’observe pas tout ce qui est écrit dans le livre de la loi, pour le mettre en pratique. 11Et que nul ne soit justifié devant Dieu par la loi, cela est évident puisque : Le juste vivra par la foi. 12Or, la loi ne provient pas de la foi ; mais (elle dit) : Celui qui mettra ces choses en pratique vivra par elles. 13Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, étant devenu malédiction pour nous – car il est écrit : Maudit soit quiconque est pendu au bois – 14afin que, pour les païens, la bénédiction d’Abraham se trouve en Jésus-Christ et que, par la foi, nous recevions la promesse de l’Esprit.
« L'expérience de la Tour » de Martin Luther (vers 1517-1518 ?)
J'avais été saisi par un désir, certes étonnant, de connaître Paul dans l'épître aux Romains, mais ce qui avait jusque là constitué un obstacle n'était pas un sang différent dans les entrailles, mais un seul mot, qui se trouve au chapitre 1er « La justice de Dieu est révélée en l'Évangile ». Je haïssais, en effet, ce terme « justice de Dieu », que j'avais appris, selon l'usage et la coutume de tous les docteurs, à comprendre philosophiquement comme la justice formelle et active, par laquelle Dieu est juste et punit les pécheurs et les injustes.
Or, moi qui vivait comme un moine irréprochable, je me sentais pécheur devant Dieu avec la conscience la plus troublée et ne pouvais trouver la paix par ma satisfaction, je haïssais d'autant plus le Dieu juste qui punit les pécheurs, et je m'indignais contre ce Dieu, nourrissant secrètement un blasphème, du moins un violent murmure, je disais : « Comme s'il n'était pas suffisant que des pécheurs misérables et perdus éternellement par le péché originel soient accablés par toutes sortes de maux par la loi du décalogue, pourquoi faut-il que Dieu ajoute la souffrance à la souffrance et dirige contre nous, même par l'Évangile, sa justice et sa colère ? » J'étais ainsi hors de moi, le cœur en rage et bouleversé, et pourtant, intraitable, je bousculai Paul en cet endroit, désirant ardemment savoir ce que Paul voulait.
Jusqu'à ce qu'enfin, Dieu ayant pitié, et alors que je méditais jours et nuits, je remarquai l'enchaînement des mots, à savoir : « La justice de Dieu est révélée en lui », comme il est écrit : « Le juste vit de la foi » ; alors je commençai à comprendre que la justice de Dieu est celle par laquelle le juste vit du don de Dieu, à savoir de la foi, et que la signification était celle-ci : par l'Évangile est révélée la justice de Dieu, à savoir la justice passive, par laquelle le Dieu miséricordieux nous justifie par la foi, selon qu'il est écrit : le juste vit de la foi. Alors, je me sentis un homme né de nouveau et entré, les portes grandes ouvertes, dans le paradis même. À l'instant même, l'Écriture m'apparut sous un autre visage. Je parcourais ensuite les Écritures, telles que ma mémoire les conservait, et je relevais l'analogie pour d'autres termes : ainsi, l'œuvre de Dieu, c'est ce que Dieu opère en nous, la puissance de Dieu, c'est celle par laquelle il nous rend capables, la sagesse de Dieu, celle par laquelle il nous rend sages, la force de Dieu, le salut de Dieu, la gloire de Dieu. Alors, autant était grande la haine dont j'avais haï auparavant ce terme « la justice de Dieu », autant j'exaltai avec amour ce mot infiniment doux, et ainsi ce passage de Paul fut vraiment pour moi la porte du paradis.
(Martin Luther, Préface au premier volume des Œuvres latines, édition de Wittenberg, 1545, cf. Œuvres, Labor et fides, tome VII, 1962, pp. 306-307)