Le rocher
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Prédication prononcée le 2 octobre 2016, au Temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot
Après qu’il ait confessé sa foi en disant « tu es le christ, le fils du Dieu vivant », Simon, le disciple, est appelé par Jésus « Pierre », et il lui est dit : « sur cette pierre je bâtirai mon Eglise ». Le concept de « pierre », de « roc »,ou de « rocher » évoque beaucoup de choses au lecteur de l’Ancien Testament, on pense à tous ces versets, en particulier dans les Psaumes, disant : « qui est le rocher si ce n’est notre Dieu? » (Ps 18 :32), ou « l’Eternel est mon roc » (Ps 18 :3). On pense aussi au rocher frappé par Moïse et d’où sortait de l’eau pour abreuver le peuple mourant de soif dans le désert. Cela fait qu’on peut se demander légitimement ce que la pierre, ou le rocher représente dans l’Ancien Testament pour savoir si sous ce surnom donné à Simon-Pierre il n’y aurait pas quelque chose de plus grand qu’il n’y paraît, voire de divin.
Mais en fait non. Si on cherche dans l’Ancien Testament tous les passages où il est question de pierre ou de rocher, en tant qu’exprimé par le mot grec « petra » (ou « petros » car ce mot à la curiosité en grec de pouvoir être utilisé dans les deux genres), on se rend compte qu’il n’y a rien d’univoque. Certes, la pierre de construction est positive mais ce n’est pas le même mot (« lithos » en grec, et non « petra »). La pierre-petra, elle, peut être utilisée pour le meilleur ou pour le pire, le plus noble ou le plus trivial. Elle peut être utilisée pour désigner le rocher de Dieu, mais aussi un simple rocher, un pierre sur le chemin, un caillou sur lequel on butte, ou la roche d’une falaise où l’on peut trouver une faille pours se cacher. Ce peut être le rocher de Moïse d’où sort l’eau, mais aussi la pierre qui tombe sur la tête de quelqu’un pour le tuer. La référence à la « pierre » n’est donc pas évidente et semble ne contenir aucun message implicite du point de vue de la théologie biblique. On doit en rester à l’idée que l’apôtre Simon était un homme de personnalité forte, solide et peut-être un peu brute. Il n’y a peut-être en fait rien d’autre à chercher. Si Jésus avait vécu aux Etats Unis aujourd’hui, il aurait surnommé son ami « Rocky » et voilà tout.
Mais peut-être aussi peut-on garder cette ambiguïté de sens et d’usage du mot « pierre » dans l’Ancien Testament, la pierre pouvant servir autant au bien qu’au mal, parce que précisément l’apôtre Pierre est bien dans cette ambiguïté. Il est le premier à bien confesser sa foi, mais ensuite le premier à dire une énormité en voulant faire renoncer le Christ à assumer sa mission. Il se fait alors traiter de « Satan » par le célèbre « vade retro satanas ». Il est le premier à entrer dans le tombeau du Christ ressuscité, mais aussi il avait celui qui avait renié le Christ à trois reprises.
La pierre dans tous les cas est quelque chose d’extrêmement positif et solide, comme l’apôtre confessant sa foi qui peut être comparé à un roc. La foi est une réalité extrêmement puissante, forte, solide, elle donne une armature, une consistance à une vie, un point d’ancrage inébranlable permettant de résister à tous les assauts de l’existence. C’est une chance inouïe. Mais la foi peut aussi être cause de mal pour les autres, d’intolérance, de violence. Et les événements de l’actualité nous montrent que la foi peut susciter des guerres de religions, des meurtres, et des atrocités absolument terribles. Mais c’est ainsi, une pierre peut servir au bien comme au mal, avec une pierre on peut construire un hôpital, ou la brandir pour tuer quelqu’un en lui éclatant la tête. On peut prendre une pierre pour soulager son frère fatigué et le faire asseoir, mais cette même pierre peut servir à le lapider. Mais le fait qu’il puisse y avoir un mauvais usage de quelque chose ne condamne pas cette chose, c’est juste le signe qu’il y a là une puissance qui peut être mal utilisée.
Ce qui est vrai, c’est que la foi, la conviction religieuse qui est par définition la conviction la plus profonde qu’ait un individu est quelque chose d’extrêmement fort et puissant. On le voit négativement quand cette foi devient perverse. C’est par la foi que certains sont prêts à tout quitter pour aller faire un djihad hypothétique, et même à mourir dans une action suicide et violente. Mais par la foi également des êtres se consacrent entièrement au service de leur prochain, ou vont aider les plus pauvres à l’autre bout de la terre. Bien sûr, tout le monde n’est pas appelé à cette extrême, mais dans tous les cas, la foi peut transformer des vies, les renouveler, les réorienter d’une manière absolument incroyable. La foi, dans ce sens, ce n’est pas seulement le sentiment religieux, tout le monde n’est pas mystique de nature, mais c’est la conviction intime, l’idéal qui donne sens à ce que l’on veut vivre et à ce que l’on vit. Sans foi, l’existence n’est qu’une chose inconsistante, sans objectif, sans but, sans visée.
Cela peut faire penser que l’essentiel, c’est d’avoir une foi, peu importe qu’on l’habille sous une apparence d’une religion humaine ou d’une autre. On peut dire que peu importe qu’on soit protestant, catholique, bouddhiste, musulman, juif, ou franc-maçon, l’important, c’est d’avoir une foi une armature qui donne sens à sa vie. Sinon on ne construit rien et on ne peut construire sa vie sur du sable qui nous coule entre les mains et qui ne résiste à rien. La vie est quelque chose qui se construit, comme une maison, et la foi donne une maison à notre être. La foi, c’est choisir en quoi l’on fait reposer sa vie, choisir son propre environnement intime, son cadre. C’est faire dépendre son existence de quelque chose qui nous appartient et non pas des événements extérieurs sur lesquels on ne peut rien. La foi comporte donc une part de protection à l’encontre de l’extérieur, et comme celui qui a une maison et qui ne vit pas qu’à l’extérieur, on peut se protéger à l’intérieur. Celui qui n’a aucune foi est totalement exposé aux événements. Il peut être heureux quand tout va bien, mais si le cours du monde devient dur pour lui, il n’a plus de ressource. Habiter dans une foi, c’est comme habiter dans une maison, on peut aller dehors, mais on peut être au chaud quand il fait froid ou s’abriter quand il pleut. Une maison n’est pas forcément une forteresse ni une prison. Dans une maison on peut accueillir des amis, on peut donner du refuge à ceux qui souffrent, on peut y élever des enfants, et partager son intimité avec des frères et des sœurs.
Ainsi en est-il de la foi, une vraie base solide comme un roc pour une existence que l’on veut construire. Et donc oui, il faut construire sa vie sur une foi forte. Il faut s’en donner les moyens et y travailler, y consacrer du temps et de l’énergie. Mais le fait d’avoir une foi forte n’est pas le seul critère, il faut aussi que cette foi soit bonne. Il y a des fois sataniques, destructrices, violentes, haineuses qui font beaucoup de tort aux autres et à celui qui s’y adonne.
C’est en ce sens que le chrétien croit qu’un bon rocher, c’est le Christ, ou tout au moins ce qu’il invite à vivre et qui n’est pas forcément une exclusivité chrétienne. L’Evangile nous invite à construire notre vie sur l’amour, le pardon, le service, la paix, l’humilité, la tendresse et la grâce. Il n’y a pas d’autre chemin de vie que celui-là. C’est « le chemin, la vérité et la vie » comme dit le Christ.
C’est ainsi que Jésus dit : « celui qui croit dans mes paroles et les vit... il est comme le sage qui construit sa maison sur un rocher ».
Mais il ne suffit pas non plus d’avoir une foi juste, encore faut-il la vivre. C’est ainsi que Pierre fait sa belle confession de foi, c’est bien, et Jésus le lui dit, mais juste après, il est appelé « Satan », parce que cette foi en fait, il n’a pas compris qu’il fallait la vivre concrètement, qu’il fallait être prêt à aller jusqu’au bout, à sacrifier certaines choses pour elle, se sacrifier même. C’est bien de confesser sa foi, d’avoir une bonne visée, une conviction juste, mais Pierre n’en veut pas les conséquences, alors qu’une foi, ça se vit, il faut y mettre du sien, être prêt à se battre pour elle.
C’est le sens certainement de cet enseignement de la Maison sur le Roc. Ce texte est évidemment parallèle à celui concernant Pierre. Il y est aussi question de roc (avec le même mot grec pour « pierre » : « petra »), et aussi de construire sur ce roc, cette pierre. Et ce que dit Jésus, c’est que construire sur le roc, c’est d’écouter sa parole... et de la mettre en pratique. En fait le texte original a, plutôt que « mettre en pratique » qui fait un peu moralisateur, « celui qui le fait ». L’enjeu indiqué là n’est pas de croire ou de ne pas croire dans les paroles de Jésus, mais de les vivre concrètement. Le fondement n’est plus seulement la parole ou l’idéal, mais le « faire ». L’Evangile n’est pas juste une conviction quelque part dans notre cerveau, mais une réalité qui doit se vivre. Une foi qui reste purement intellectuelle ne construirait rien, juste des châteaux de sable incapables de nous protéger en cas de difficulté, incapables de nous donner de la chaleur, incapables même de résister au temps ou d’être transmis aux générations suivantes. Qu’est-ce qu’une foi si elle n’est qu’une idéologie ? En quoi nos enfants, ou petits enfants pourraient-ils envie d’y venir si elle ne mène à rien ?
La vérité, et ce que rappellent nos deux textes, c’est que la foi, c’est une dimension qui se construit petit à petit, à partir d’une conviction, et en essayant de la vivre au mieux chaque jour, et chaque jour d’avantage et d’une manière plus élevée.
Il est bien de parler d’amour, de pardon et de service, mais si on ne le vit pas, au moins un peu, cela ne mène à rien d’autre qu’à du contre témoignage. Et une Eglise qui prêcherait l’amour et l’accueil et qui exclurait ou donnerait des signes d’absence de fraternité ne vaudrait qu’à être balayée par le vent et la vanité de ses propres discours.
Vivre l’Evangile n’est pas seulement bien pour le monde ou notre entourage, c’est en se faisant que nous construisons quelque chose de fort et de durable dans notre vie.
Car en fait, qu’est-il question de construire ?
L’Evangile dit « une maison », mais peut-on préciser ? Bien sûr, on pense à sa vie en général, mais en fait, ce qu’on appelle communément la « maison » dans la tradition juive n’est autre que le Temple de Jérusalem : la maison de l’Eternel, donc pour nous, le lieu de notre relation à Dieu. Or depuis la destruction du Temple et d’après les propos de Jésus, le lieu de cette présence, ce n’est plus une maison de pierre, mais nous mêmes. Ce Temple, c’est notre foi. : « Ne savez-vous pas ceci : votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous » dit Paul (1 Cor 6 :19). Et le Christ a dit ailleurs : « là où deux ou trois sont réunis en mon nom je suis au milieu d’eux... » (Matt. 18:20), donc cette fois, le lieu de la présence spirituelle, c’est la communauté, « ecclesia » en grec, c’est donc l’Eglise. Ce qui est précisément ce dont Jésus parle à Pierre en lui disant que sur la pierre de sa confession de foi, sera construite l’Eglise. Et c’est donc dans tous ces domaines que l’enjeu de la construction se joue : quand on se contente de bonnes paroles et qu’on ne les vit pas, on détruit l’Eglise, ou sa propre relation à Dieu, on leur enlève toute consistance et toute raison d’être. La seule Eglise qui mérite d’avoir sa place dans la société est celle qui essaye de vivre ce qu’elle prêche, et la seule foi qui peut aider est celle qui est vécue concrètement, celle qui s’incarne.
Or trop souvent, nous avons tendance à nous contenter de fonder notre Eglise ou notre foi sur le sable. Et le « sable », lui, contrairement au « rocher » est un symbole univoque dans l’Ancien Testament. Il y est toujours évoqué pour dire le nombre du peuple des croyants, qui est comme le sable. Et voici en effet un des dangers, c’est de croire que notre foi ou notre Eglise pourrait se contenter de reposer sur le grand nombre des croyants d’autre fois, sur l’histoire, sur le passé. Or n’est pas un protestant vivant celui qui ne peut que se prévaloir d’avoir des ancêtres déportés sur les galères, mais celui qui a foi en Jésus Christ et qui le vit. Peu importe le nombre de ses ancêtres croyants ou protestants, la solidité de notre foi ne dépend que de nous et de notre relation à Dieu. L’appartenance purement sociologique à un groupe religieux ne se transmet pas au delà de deux générations et n’aboutit qu’au vide.
Il faut donc sans cesse refonder sa religion, sa foi, et même son Eglise sur le croire et le vécu. Certes cela peut faire penser à l’ancienne querelle de la foi et des œuvres, mais certes, on sait bien que ce ne sont pas les œuvres qui priment, elles ne peuvent avoir de l’intérêt d’une manière autonome, mais elles sont l’incarnation de la foi, et sans elles le foi meure.
Mais nous, nous avons un rocher, et c’est le Christ : son enseignement, sa présence : « personne ne peut construire sur un autre fondement que jésus Christ ! » (1Cor 3 :11) . C’est ça l’enracinement fort de toute ma vie, la base de toute Eglise solide, c’est la source d’eau vive comme dans le désert ainsi que le dit Paul : « 1Frères, je ne veux pas que vous l’ignoriez ; nos pères ont tous été sous la nuée, ils ont tous passé au travers de la mer, 2ils ont tous été baptisés en Moïse dans la nuée et dans la mer, 3ils ont tous mangé le même aliment spirituel, 4et ils ont tous bu le même breuvage spirituel, car ils buvaient à un rocher spirituel qui les suivait, et ce rocher était le Christ » (1 Cor 10 :1ss). De sur rocher qui est le Christ vous pourrez toujours compter, il sera toujours là à vos côté pour vous donner l’eau dont vous pouvez avoir besoin, même dans le désert. Et sur ce fondement, chacun fait ce qu’il peut pour construire, mais un fondement sans construction ne mène à rien. Heureux celui qui construit une maison solide sur ce fondement, il ne sera pas déçu. « Si vous savez cela, vous êtes heureux, pourvu que vous le mettiez en pratique » (Jean 13:17).
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Matthieu 16:13-23
13Jésus, arrivé sur le territoire de Césarée de Philippe, posa cette question à ses disciples : Au dire des gens, qui suis-je, moi, le Fils de l’homme ? 14Ils répondirent : Les uns disent Jean-Baptiste ; d’autres, Élie ; d’autres, Jérémie, ou l’un des prophètes. 15Mais vous, leur dit-il, qui dites-vous que je suis ? 16Simon Pierre répondit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. 17Jésus reprit la parole et lui dit : Tu es heureux, Simon, fils de Jonas ; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux. 18Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront pas contre elle. 19Je te donnerai les clefs du royaume des cieux : Ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. 20Alors il recommanda sévèrement aux disciples de ne dire à personne qu’il était le Christ.
21Jésus commença dès lors à montrer à ses disciples qu’il lui fallait aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des principaux sacrificateurs et des scribes, être mis à mort et ressusciter le troisième jour. 22Pierre, le prit à part et se mit à lui faire des reproches en disant : A Dieu ne plaise, Seigneur ! Cela ne t’arrivera pas. 23Mais Jésus se retourna et dit à Pierre : Arrière de moi, Satan ! Tu es pour moi un scandale, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes.
Matthieu 7:24-27
24Ainsi, quiconque entend de moi ces paroles et les met en pratique sera semblable à un homme prudent qui a bâti sa maison sur le roc. 25La pluie est tombée les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont portés sur cette maison : elle n’est pas tombée, car elle était fondée sur le roc. 26Mais quiconque entend de moi ces paroles, et ne les met pas en pratique sera semblable à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable. 27La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont abattus sur cette maison : elle est tombée et sa ruine a été grande.