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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

 

La primauté de Pierre (Tu es Petrus)

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Prédication prononcée le 25 septembre 2016, au Temple de l'Étoile à Paris,

par les pasteurs Florence Blondon et Louis Pernot

 

LP. Le débat sur la primauté de Pierre a été très vif dans les siècles passés, surtout dans les controverses entre protestants et catholiques. Au centre se trouve cette célèbre formule, « tu es Petrus », partie en latin de ce que Jésus aurait dit à Pierre après qu’il eu confessé sa foi : « tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise ». Ces propos ont été pris comme preuve de la primauté de Pierre sur laquelle se fonde l’Eglise catholique romaine, et c’est ce qui a été écrit tout autour de l’intérieur de la coupole de l’église Saint-Pierre de Rome. Cela a été un objet de débats parfois sanglants, mais curieusement pas dans l’Eglise primitive, plutôt du temps de la Réforme ou l’Eglise catholique de l’époque a voulu utiliser ce passage pour fonder sa propre autorité comme remontant par ce qu’on appelle « la succession apostolique » à l’autorité de Pierre, autorité elle même donnée par Jésus. L’idée, c’est donc que Jésus aurait donné toute autorité à Pierre pour agir en son nom, et Pierre aurait ainsi pu transmettre ce pouvoir d’une manière infaillible de génération en génération jusqu’au pape actuel.

Sans vouloir rentrer dans des débats d’Eglises qui ne sont plus de notre époque, on peut s’interroger tout de même sur ce qu’il en est de la primauté de Pierre dans l’Evangile et dans l’Eglise primitive.

A première lecture, le texte de Matthieu 16:18 est on ne peut plus clair. Jésus dit bien que c’est Pierre qui est appelé à être le fondement de l’Eglise. Il semble difficile de vouloir faire dire à un texte aussi clair autre chose que ce qu’il dit. Et le verset qui suit ne fait que renforcer la chose : Jésus lui dit en effet : « Je te donnerai les clefs du royaume des cieux : ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux ». Certes, on pourrait tempérer ce pouvoir en disant que pratiquement la même formule est dite un peu plus loin pour tous les disciples : « tout ce que vous lierez sur Terre sera lié dans le ciel et tout ce que vous délierez sur terre sera délié dans le ciel ». (Matt. 18 :18) donc cela ne s’applique pas seulement à Pierre, mais à tout croyant. C’est ce qu’affirment les protestants en proclamant le sacerdoce universel : il n’y a pas de chrétien fut-il pasteur ou prêtre qui ait un pouvoir particulier sur les autres concernant les choses spirituelles. Mais néanmoins, pour Pierre seulement est évoqué la question des clés. Or ce pouvoir en référence aux clés données est extrêmement important. Il suffit de voir la référence qui en est fait en Esaïe 22:20-24 : c’est le pouvoir effectif de gérer concrètement les affaires du roi (qui est Dieu ici), et donc d’agir en toute autonomie mandaté par le roi qui donne sa confiance et délègue son autorité. De la même manière  Jésus semble donc bien là déléguer à Pierre un véritable pouvoir d’avoir la légitimité d’agir en son nom pour gérer ses affaires et tout ce qui concerne le Royaume.

Donc oui, la primauté de Pierre est bien établie dans l’Evangile par les propos même attribués au Christ, il serait difficile de dire le contraire !

 

FB. Certes on peut admettre la primauté de Pierre dans le collège apostolique. Mais ce n’est pas ça qui a été vraiment un objet dans les débats, la question était de savoir si une Eglise peut prétendre faire remonter sa légitimité au Christ lui-même par l’intermédiaire de Pierre. Ce que les protestants ont remis en cause, c’est la succession apostolique, c’est-à-dire la transmission de cette primauté. Que Pierre ait eu du pouvoir, on peut l’admettre, mais ça ne veut pas dire que ses successeurs aient hérité nécessairement de ce pouvoir quasi divin. La chaîne de transmission d’un successeur à l’autre peut avoir eu des ratés, à moins de supposer une infaillibilité de chacun, ce qui est un choix possible, mais qui ne découle pas nécessairement du texte de l’Evangile.

Et par ailleurs de quoi parle Jésus quand il parle d’Eglise ? Il n’y avait pas d’Eglise en tant qu’institution à l’époque de Jésus, pas d’ordination de pasteurs ou de prêtres, pas de sacrements, pas de liturgie, pas de synodes ou de conciles. Ce que Jésus appelait l’Eglise, c’était juste la communauté qui l’entourait. Pierre a donc pu avoir une importance dans ce groupe d’amis sans qu’il soit investi d’un pouvoir institutionnel transmissible. Attribuer à l’organisation ecclésiastique que nous connaissons les propos du Christ serait un anachronisme coupable.

 

LP. Mais même si on n’utilise pas ce texte pour justifier une organisation d’aujourd’hui, il n’empêche que Pierre aura un grand rôle dans l’Evangile, il s’y trouve souvent au premier plan et il faut se demander alors ce que l’on peut en tirer. Certes il est aussi impétueux, il est le premier à dire des bonnes choses comme ici en confessant sa foi, et aussi le premier à dire des erreurs, comme un peu plus loin dans le texte où il veut faire renoncer Jésus à sa mission, ou encore quand il renie Jésus en faignant de ne pas le connaître lors de la passion. Et puis dans le livre des Actes des Apôtres, il est aussi au premier rang, c’est lui qui fait les grands discours, dont en particulier celui de la Pentecôte, et qui prend bien des initiatives, dont celle d’ouvrir l’Evangile aux païens après son rêve lors de sa visite à Corneille, le païen qu’il va baptiser.FB  Certes Pierre devait avoir une personnalité imposante, mais on ne peut pas dire qu’il ait été toujours la tête de l’Eglise. Son rôle dans les évangiles est bien complexe et en effet pas toujours exemplaire ou positif. Cela est particulièrement vrai dans l’Evangile de Jean. Lors du dernier repas quand Jésus lave les pieds de ses disciples, on découvre un Pierre toujours en décalage, on pourrait même dire « à côté de la plaque ». Il ne comprend rien et Jésus le lui fait bien remarquer. On est loin ici de l’image de chef de fil. Il semble bien que ce soit le « disciple bien aimé » qui ait ce rôle, c’est là lui que les autres s’adressent comme à un médiateur avec Jésus. Les dernières paroles du Christ en croix vont renforcer cette position lorsque jésus s’adresse à sa mère en lui disant « Femme, voici ton fils », puis il dit au disciple en question : « voici ta mère » (Jean 19 :26-27), comme si ce petit noyau formait cette nouvelle famille qui allait devenir l’Eglise... mais pas autour de Pierre en tout cas. Et dans les Actes des Apôtres, ce n’est pas lui qui dirige la communauté, l’Eglise primitive, c’est clairement Jacques dit « le frère du Seigneur ». C’est à lui que Pierre même rend des comptes. C’est Jacques qui doit arbitrer la dispute entre Pierre et Paul et ces deux se soumettront ensemble à sa décision. Et dès que Paul arrive dans le récit, celui-ci prend la première place et Pierre disparait, il n’apparaît plus après le chapitre 15 sur les 28 que comporte le livre. Donc non, dans les faits, on ne peut pas dire que l’Ecriture nous incite à croire que Pierre ait pu avoir la première place dans l’Eglise naissante.

 

LP. Mais si donc on ne peut pas comprendre le « tu es Petrus » comme une instauration institutionnelle d’un chef pour la communauté, qu’est-ce que Jésus a-t-il voulu signifier par ses mots  « tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise » ? Peut-être faut-il comprendre cela non pas comme une formule identifiant la personne de Pierre au fondement de l’Eglise, mais renvoyant à ce qu’il vient de faire : confesser sa foi. Jésus demande en effet à ses disciples : « qui dit-on que je suis », ils donnent différentes réponses plus ou moins mauvaises et finalement Pierre dit : « tu es le christ (le messie), le fils du Dieu vivant ». Et Jésus dit en quelque sorte : « c’est là dessus que mon Eglise sera fondée », c’est à dire sur le fait de confesser sa foi en Jésus, messie et fils de Dieu.

Et la preuve qu’il n’y a pas de personnalisation, c’est que, juste après, Pierre dit une bêtise : alors que Jésus annonce qu’il doit mourir pour accomplir sa mission, il tente de l’en dissuader, Jésus lui alors dit le célèbre « vade retro satanas » : « arrière de moi Satan ! ». Jésus appelle donc Pierre « Satan ». Là non plus, bien sûr, il n’identifie pas Pierre à Satan. Sinon, nos Eglises remontant à Pierre seraient des églises sataniques. Pierre n’est Satan que quand il s’oppose au projet de Dieu, pas en en personne. Pierre est donc fondement quand il confesse sa foi et Satan quand il insinue qu’on pourrait renoncer aux difficultés de la mission divine. Il ne s’agit donc pas d’une question de personne, mais d’attitude. Et nous pouvons être cette pierre fondement d’une communauté dynamique quand nous reconnaissons Jésus comme celui qui accomplit le projet de Dieu, et nous devenons destructeurs quand nous voudrions avoir tout sans effort. Et ce qui est vrai pour l’Eglise l’est aussi pour notre foi : le fondement de notre relation à Dieu, ce sur quoi on peut tout construire ensuite, c’est une juste déclaration de foi, et ce qui détruit tout  dans ce domaine, c’est de ne pas vouloir assumer que le choix d’être fidèle au Christ puisse nous demander des efforts, des peines ou des sacrifices.

 

FB. On peut même aller plus loin et dire que cette confession de foi en elle même est discutable. Et d’ailleurs cette belle confession de foi n’a pas empêché Pierre de dire une chose épouvantablement diabolique quelques secondes après. On peut confesser sa foi d’une manière parfaitement orthodoxe et se comporter comme un Satan. C’est ce que l’on voit d’ailleurs dans d’autres endroits de l’évangile où des démons interpellent Jésus en l’appelant « Fils de Dieu » (Matt. 8 :29).

Et donc d’un sens Jésus pose le fait de confesser justement sa foi est un fondement de l’Eglise, ou de la relation à Dieu, mais l’histoire que nous conte l’Evangéliste nous montre qu’il ne faut pas en rester là. La confession de foi ne fait pas tout. Encore faut-il être prêt à s’engager, à donner sa vie concrètement pour le monde, pour les autres, à payer de soi-même en quelque sorte. Autrement dit, croire c’est bien, mais il faut également avoir une éthique, croire et aimer sont indissociables. Le récit, il faut le lire dans son ensemble, avec le « vade retro satanas » qui empêche la toute puissance du « tu es petrus ». Et ainsi on ne peut même pas fonder l’Eglise sur un dogme, sur une doctrine, ou sur un catéchisme, il semble bien qu’il faille chercher plus loin encore.

 

LP.On a donc l’impression que le texte lui-même dit une chose (la juste confession de foi comme base de toute relation à Dieu ou de toute communauté), mais l’invalide immédiatement en montrant qu’elle n’empêche pas de risquer de se comporter de manière satanique. Mais si ce texte dit une chose puis immédiatement l’invalide, que peut-on en tirer finalement ? Et si le fondement posé est immédiatement retiré que reste-t-il ? Quel est le fondement de l’Eglise ? Qu’est-ce qui fonde notre vie chrétienne, notre propre relation à Dieu enfin ?

 

FB. Une chose n’en annule pas forcément une autre, et sans-doute, finalement faut-il reprendre au sérieux ce que Jésus a dit à Pierre dans le « tu es Petrus », il est bien le fondement de l’Eglise, la base, la pierre angulaire de toute bonne relation à Dieu, mais non pas en tant que personne, non pas non plus en tant qu’il aurait une juste doctrine, confessant sa foi bien comme il faut, mais précisément parce qu’il est humain, en même temps plein de foi et plein de faiblesse. Pierre nous ressemble parce qu’il confesse merveilleusement sa foi, et en même temps il est capable de renier terriblement le Christ. Il est parfois bon et parfois mauvais, parfois juste et parfois injuste. Il est dans cette dialectique humaine d’être à la fois humain plein de péché et à la fois enfant de Dieu plein de grâce.

Ainsi le « vade retro Satanas » qui suit sa belle confession de foi n’invalide absolument pas ce que Jésus lui a dit juste avant, et c’est peut-être justement parce qu’il est pécheur tout en confessant sa foi qu’il peut être un bon fondement pour une communauté humaine telle que Dieu l’entend.

Ce serait une erreur de vouloir fonder l’Eglise sur la pureté, sur le juste et le vrai. C’est ce que tentent de faire les intégristes, et ça ne génère que du mal, du jugement, de l’intolérance, de l’exclusion, et parfois pire : des guerres, des morts. L’Eglise est une communauté humaine. Ce qui la constitue, c’est d’être à la fois dans la relation à Dieu, à l’écoute du Christ, et en confessant sa foi, et en même temps d’être consciente de sa faiblesse, de ses erreurs, de sa pleine humanité en ne prétendant pas se présenter en modèles aux gens. L’Eglise et notre foi reposent sur la tension permanente entre notre péché et le pardon de Dieu, entre notre égoïsme et notre capacité à aimer, entre notre bonne volonté et notre paresse. Aucun de nos défauts ne sont des obstacles à la foi ou à notre approche du royaume de Dieu, au contraire, ils sont des portes ouvertes par lesquelles la grâce de Dieu peut s’approcher de nous. C’est dans la faiblesse assumée, comprise, acceptée que la grâce de Dieu peut faire son œuvre en nous : comme le dit Paul : « la où le péché abonde, la grâce surabonde» (Rom. 5 :20), ou encore :  « quand je suis faible, c’est alors que je suis fort car la grâce s’accomplit dans ma faiblesse » (2 Cor. 12 :10).

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Matthieu 16:13-23
13Jésus, arrivé sur le territoire de Césarée de Philippe, posa cette question à ses disciples : Au dire des gens, qui suis-je, moi, le Fils de l’homme ? 14Ils répondirent : Les uns disent Jean-Baptiste ; d’autres, Élie ; d’autres, Jérémie, ou l’un des prophètes. 15Mais vous, leur dit-il, qui dites-vous que je suis ? 16Simon Pierre répondit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. 17Jésus reprit la parole et lui dit : Tu es heureux, Simon, fils de Jonas ; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux. 18Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront pas contre elle. 19Je te donnerai les clefs du royaume des cieux : Ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. 20Alors il recommanda sévèrement aux disciples de ne dire à personne qu’il était le Christ.
21Jésus commença dès lors à montrer à ses disciples qu’il lui fallait aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens, des principaux sacrificateurs et des scribes, être mis à mort et ressusciter le troisième jour. 22Pierre, le prit à part et se mit à lui faire des reproches en disant : A Dieu ne plaise, Seigneur ! Cela ne t’arrivera pas. 23Mais Jésus se retourna et dit à Pierre : Arrière de moi, Satan ! Tu es pour moi un scandale, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes.

Esaïe 22:20-24

20En ce jour-là,
  J’appellerai mon serviteur  Éliaqim, fils de Hilqiya ;
  21Je le revêtirai de ta tunique,
  Je le ceindrai de ton écharpe,
  Et je remettrai ton pouvoir entre ses mains ;
  Il sera un père pour les habitants de Jérusalem
  Et pour la maison de Juda.
  22Je mettrai sur son épaule la clé de la maison de David :
  Quand il ouvrira, nul ne fermera ;
  Quand il fermera, nul n’ouvrira.
  23Je l’enfoncerai comme un piquet dans un lieu sûr,
  Et il sera un siège de gloire pour sa famille.
  24Tout ce qui fait la gloire de sa famille y sera suspendu,
  Branches principales et rameaux secondaires,
  Toute la petite vaisselle depuis les bassines jusqu’aux jarres.

Matt. 16:13-23, Esa. 22:20-24