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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

La guérison de l'aveugle né à Siloé

Prédication prononcée le 12 octobre  2014, au Temple de l'Étoile à Paris,

par le Pasteur Louis Pernot

 

Ce texte est d’une extrême complexité et peut avoir des entrées multiples. Il faut en choisir une, ce peut être tout simplement qu’il y a là une guérison, c’est-à-dire que l’on voit Jésus permettant à un homme de dépasser un mal qui l’accablait.

Quand à savoir ce que représente le mal en question, on peut préférer de ne pas trop préciser, de façon à ce que chacun puisse se sentir concerné par le texte. Chacun a des difficultés, des problèmes, des handicaps, des poids à porter, des deuils, des épreuves qui le bloquent, l’empêchent de vivre libre et heureux, autonome dans ce monde. Nous voyons ainsi comment Jésus peut aider la personne accablée de ce qui la bloquait, à s’en débarrasser pour aller de l’avant.

Pour cela, examinons la méthode utilisée par Jésus.

Le premier point, on le trouve à la fin du texte en fait, c’est de reconnaître que l’on a un problème, de ne pas le nier. Les pharisiens diront en effet : « nous aussi nous sommes aveugles », montrant par là qu’il faut interpréter la chose bien au delà du problème médical, et Jésus leur dira que leur problème, leur péché, ce n’est pas le fait d’être aveugle, mais ne prétendre voir, c’est-à-dire de nier leur imperfection. Il faut donc reconnaître avec simplicité et humilité les points de faiblesse et de blocage de notre existence. Etre faible et imparfait n’est pas un péché, le péché, ce serait de le nier. C’est, en effet, dans nos failles que le Christ peut agir. Celui qui se croit parfait n’a rien à attendre de Dieu, et ne peut progresser en rien, il se coupe de la puissance créatrice et régénératrice de Dieu. Et puis, se croire parfait ou suffisamment bon est de toute façon dangereux, parce que la vie elle même se chargera un jour ou l’autre de nous prouver le contraire, la vie nous impose des blessures narcissiques qui risqueront de nous clouer au sol comme l’aveugle si nous n’avons pas d’autre ressource que nous-mêmes. Il est donc vital pour nous de prendre conscience de notre faiblesse, de notre incapacité à faire tout bien ou à être auto-suffisant. En ce sens, la confrontation avec le Christ peut agir dans les deux sens, il peut guérir quand nous ne sommes pas bien, certes, mais il peut aussi nous remettre en place quand nous ne nous posons pas assez de questions, ce n’est pas forcément très agréable, mais c’est vital : c’est sans doute le sens de ce qu’il il dit lui-même : « je suis venu... pour que ceux qui ne voient pas voient et que ceux qui croient voir deviennent aveugles ». On pourrait paraphraser cela en disant que certes la foi est faite pour guérir les malades, mais aussi pour rendre un peu malade les gens trop bien portants et contents d’eux !

Ensuite, Jésus invite à réfléchir sur le sens du mal, sur les causes et les conséquences du mal. Les disciples demandent : «est-ce lui ou ses parents qui auraient péché pour qu’il soit né aveugle?» Et Jésus dit que cela n’a rien à voir c’est, dit-il : «afin que les œuvres de Dieu soient manifestées». Jésus nous pousse donc à essayer de comprendre le sens du mal.

Quand du mal nous arrive, automatiquement, nous cherchons à comprendre pourquoi et nous nous disons : «qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour qu’il m’arrive cela ». Comme si Dieu y était pour quelque chose ou que ce puisse être de notre faute. Et Jésus nous dit d’arrêter d’aller dans ce sens, d’arrêter de croire que Dieu pourrait être à l’origine de quelque mal que ce soit, et arrêter de se sentir coupable. Bien sûr, parfois nous pouvons être responsables d’un mal, et il est bon de s’en rendre compte pour se corriger et ne pas le répéter indéfiniment, mais on ne peut pas toujours, ce que nous subissons ne dépend pas toujours de nous (c’est le cas de cet handicapé de naissance), et il est parfois trop tard pour éviter des conséquences d’erreurs passées... et en tout cas, le sentiment de culpabilité est toujours stérile et inutile. Il y a du mal qui a été fait, et peu importe qui est coupable, l’important, ce de trouver une issue, une solution, et c’est là que l’œuvre de Dieu peut se manifester. Parce que Dieu n’est pas là pour juger le passé ou culpabiliser, mais pour aider à vivre et à se libérer du mal, à se reconstruire. Il faut se tourner non pas vers le passé, mais vers l’avenir. Le mal, c’est précisément là où il y a quelque chose à faire, c’est là que Dieu peut agir, et ce avec notre aide, comme l’indique le NOUS présent dans le texte (« afin que nous accomplissions... »).

Tout cela est plus important qu’il n’y paraît, le Christ invite à interpréter les événements non pas par rapport au passé, mais par rapport à la question : que peut-on en faire ?

Et cela rejoint la réflexion du grand théologien Thomas d’Aquin qui disait que le mal n’a pas de cause, si ce n’est par accident, pour lui, reprenant les catégories d’Aristote, le mal a une cause efficiente ou matérielle, mais n’a pas de cause formelle ou finale, c’est-à-dire que le mal n’est pas orienté, il n’a pas de sens, pas de but, il ne répond à aucun plan, à aucune finalité. En soi, c’est plutôt une bonne nouvelle, parce que si le mal avait une organisation intelligente, il pourrait être bien plus redoutable, mais le mal est absurde en soi et désordonné, il frappe aveuglément, et par définition, il est bête et injuste. C’est même ça le mal par nature, c’est ce qui n’a pas de sens, c’est du désordre, et tout ce que nous avons à faire, ce n’est pas d’essayer de lui trouver un sens dans ses causes ou sa nature, mais c’est de le prendre comme il est et d’essayer de l’intégrer dans un système plus vaste où il puisse trouver sa place, offrant ainsi un sens à ce qui n’en avait pas au départ. Le mal, c’est une opportunité pour faire quelque chose d’extraordinaire en le transformant en bien. Et faute de pouvoir trouver un «pourquoi» au mal, on peut lui offrir un «pour-quoi» en inventant une manière d’utiliser ce mal comme un matériau de construction de quelque chose de bien.

Et pour parvenir à cela, Jésus utilise trois éléments : la salive, la terre, et le fait d’aller se laver à Siloé.

Que la salive puisse guérir un aveugle n’est pas un grand miracle, les médecins coloniaux expliquent qu’il y a des cas de déshydratation où l’humeur qui est sur l’œil se sèche en formant une croute de sel, rendant la personne aveugle, et qu’il suffit de la dissoudre avec de la salive pour rendre la vue. Mais le sens théologique est autre, la salive, c’est ce que l’on use en parlant, c’est la parole, et en Marc 8:23, quand Jésus guérit l’aveugle en mettant sa salive sur ses yeux, ce que nous comprenons, c’est que nous sommes invités à regarder le monde à travers le filtre de sa parole. Et on voit alors les choses autrement. Parce que c’est le regard que nous avons sur le monde et sur les événements de notre vie qui peut tout changer, et nous conduire vers la mort et l’enfermement s’il est négatif, ou vers la vie et la liberté quand ce regard est inspiré.

Ici, la recette est plus complexe, puisque Jésus mélange cette salive avec de la terre. On peut dire que ce qui nous sauve, c’est un mélange de parole spirituelle et de bon sens terrien, de foi, et de raison. Ou encore qu’il faut, dans notre vie, mêler la Parole de Dieu avec notre propre vie terrestre et c’est quand nous faisons ce lien entre ces deux dimensions dans notre vie que peut se passer quelque chose de créateur. C’est pourquoi il faut sans relâche lire la Bible, pour qu’elle soit un ingrédient permanent de notre vie terrestre, se mêlant aux événements divers et nous permettant d’avoir cette capacité à reconstruire chaque lendemain positivement avec les événements de la veille.

Et puis les théologiens du Moyen Âge ont, vu, eux, dans cette terre une allusion à l’acte créateur de Dieu qui a fait l’homme en le façonnant avec de la terre. On peut dire en effet qu’avec sa parole, Jésus invite le malade à entrer dans un processus de re-création. Le mal, l’épreuve que l’on a subi change la donne de notre existence. Et ce n’est pas en voulant revenir en arrière que nous trouverons une solution, mais en créant quelque chose de neuf à partir de cette nouvelle situation, et c’est là que Dieu peut nous aider.

Ensuite, il invite l’aveugle à aller se laver dans le bassin de Siloé. Peu importe peut-être où il l’envoie, déjà il lui demande de prendre part au processus, il lui demande de participer à sa propre guérison, et de ne pas tout attendre passivement de Dieu. Il lui demande aussi de ne pas s’enfermer dans sa dépendance au Christ, mais de s’en éloigner pour devenir autonome dans sa vie. Mais l’Evangile prend le soin de nous dire que Siloé (Shaloah en hébreu) signifie «l’envoyé», on peut le comprendre comme le fait que Jésus lui demande, pour être guérit, de passer par l’étape « envoyé », c’est-à-dire de se sentir lui-même envoyé, d’aller vers les autres. C’est la clé de tout : ne plus voir les choses par rapport à soi, mais se demander ce que l’on peut apporter aux autres en se décentrant soi-même.

C’est ce que va faire l’aveugle qui va aller vers les autres, et se confronter à eux pour leur parler de son expérience, et c’est dans ces dialogues qu’il va progressivement comprendre qui est Jésus et grandir dans une foi qui le rendra vraiment libre et autonome. Au départ, il dit simplement « un homme... Jésus », puis il dira de lui « c’est un prophète », puis qu’il est «envoyé par Dieu », et enfin il dira « je crois Seigneur », le reconnaissant comme le fils de l’homme. Ainsi, par delà le problème particulier qui était le sien, il va y avoir tout un itinéraire de conversion pour le recréer et lui permettre de pérenniser cette action bienfaisante du Christ en lui. Au départ il a bénéficier de Jésus qui est la lumière, et c’est dans cette rencontre extraordinaire qu’il va pouvoir faire ce mouvement initial le mettant en marche vers un être neuf. Le temps de cette rencontre est un temps qui appartient à l’histoire personnelle de chacun, il n’est pas imposé par les religions, les rites ou les pratiques, contrairement aux pharisiens qui voudraient imposer des temps de sabbat, chacun a son rythme, et le moment opportun où il pourra découvrir cette lumière qu’est le Christ pour se mettre en marche. Et  ensuite il va être invité à vivre d’une façon permanente de cette lumière, et surtout à être lui-même « lumière du monde ».

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Jean 9

 
Jésus vit, en passant, un homme aveugle de naissance. Ses disciples lui demandèrent : Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle ? Jésus répondit : Ce n'est pas que lui ou ses parents aient péché ; mais c'est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui. Il nous faut travailler, tant qu'il fait jour, aux œuvres de celui qui m'a envoyé; la nuit vient où personne ne peut travailler. Pendant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.

Après avoir dit cela, il cracha par terre et fit de la boue avec sa salive. Puis il appliqua cette boue sur les yeux de l'aveugle et lui dit : Va te laver au réservoir de Siloé — ce qui se traduit par Envoyé — . Il y alla, se lava et, quand il revint, il voyait.

 

Ses voisins, et ceux qui auparavant avaient vu qu'il était un mendiant, disaient : N'est-ce pas là celui qui se tenait assis et qui mendiait ? Les uns disaient : C'est lui. D'autres disaient : Non, mais il lui ressemble. Et lui-même disait : C'est bien moi. Ils lui dirent donc : Comment tes yeux ont-ils été ouverts ? Il répondit : L'homme appelé Jésus a fait de la boue, me l'a appliquée sur les yeux et m'a dit: Va te laver à Siloé. J'y suis allé, je me suis lavé et j'ai recouvré la vue. Ils lui dirent : Où est cet homme ? Il répondit: Je ne sais pas.

Ils menèrent vers les Pharisiens celui qui avait été aveugle. Or c'était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux. A leur tour, les Pharisiens lui demandèrent comment il avait recouvré la vue. Et il leur dit : Il a mis de la boue sur mes yeux, je me suis lavé et je vois. Sur quoi, quelques-uns des Pharisiens disaient : Cet homme ne vient pas de Dieu, car il n'observe pas le sabbat. D'autres disaient : Comment un homme pécheur peut-il faire de tels miracles ? Et il y eut division parmi eux. Ils dirent encore à l'aveugle : Toi, que dis-tu de lui, qu'il t'a ouvert les yeux ? Il répondit : C'est un prophète.

Les Juifs ne crurent pas qu'il avait été aveugle et qu'il avait recouvré la vue, avant d'avoir appelé ses parents. Ils leur demandèrent : Est-ce là votre fils, dont vous dites qu'il est né aveugle ? Comment donc voit-il maintenant ? Ses parents répondirent : Nous savons que c'est notre fils et qu'il est né aveugle ; mais comment il voit maintenant, nous ne le savons pas, ou qui lui a ouvert les yeux, nous ne le savons pas non plus. Interrogez-le, il est assez âgé pour parler de ce qui le concerne. Ses parents dirent cela, parce qu'ils craignaient les Juifs, car les Juifs s'étaient mis d'accord : si quelqu'un confessait que Jésus était le Christ, il serait exclu de la synagogue. C'est pourquoi ses parents dirent : Il est assez âgé, interrogez-le.

Les Pharisiens appelèrent une seconde fois l'homme qui avait été aveugle et lui dirent : Donne gloire à Dieu ; nous savons nous que cet homme est pécheur. Il répondit : S'il est pécheur, je ne le sais pas ; je sais une chose : j'étais aveugle, maintenant je vois. Ils lui dirent : Que t'a-t-il fait ? Comment t'a-t-il ouvert les yeux ? Il leur répondit : Je vous l'ai déjà dit, et vous n'avez pas écouté ; pourquoi voulez-vous l'entendre encore ? Voulez-vous aussi devenir ses disciples ? Ils l'insultèrent et dirent : C'est toi qui es son disciple ; nous, nous sommes disciples de Moïse. Nous savons que Dieu a parlé à Moïse ; mais celui-ci, nous ne savons d'où il est. Cet homme leur répondit : Voilà ce qui est étonnant, c'est que vous ne sachiez pas d'où il est ; et il m'a ouvert les yeux ! Nous savons que Dieu n'exauce pas les pécheurs ; mais si quelqu'un honore Dieu et fait sa volonté, celui-là il l'exauce. Jamais encore on n'a entendu dire que quelqu'un ait ouvert les yeux d'un aveugle-né. Si cet homme n'était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. Ils lui répondirent : Tu es né tout entier dans le péché, et c'est toi qui nous enseignes ! Et ils le jetèrent dehors.

Jésus apprit qu'ils l'avaient jeté dehors. Il le trouva et lui dit : Crois-tu au Fils de l'homme ? Il répondit : Qui est-il, Seigneur, afin que je croie en lui ? Tu l'as vu, lui dit Jésus, et celui qui te parle, c'est lui. Alors il dit : Je crois, Seigneur. Et il l'adora.

Puis Jésus dit : Je suis venu dans ce monde pour un jugement, afin que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles. Quelques Pharisiens qui étaient avec lui, après avoir entendu ces paroles, lui dirent : Nous aussi, sommes-nous aveugles ? Jésus leur répondit : Si vous étiez aveugles, vous n'auriez pas de péché. Mais maintenant vous dites : Nous voyons ; aussi votre péché demeure.

 

Jean 9