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Eldad et Médad: "aimé par Dieu pour aimer"
Prédication prononcée le 24 avril 2022, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot
Un corps de prophètes officiels pour aider Moïse
Voici une histoire très curieuse dans l’Ancien Testament qui est peu connu, mais fort instructive. Moïse dirige le peuple après avoir quitté l’Egypte. Il chemine dans le désert vers la Terre promise, mais ce trajet est plein de difficultés. A un moment, Moïse n’en peut plus, il demande de l’aide à Dieu. Celui-ci lui dit d’accord, et lui suggère de choisir 70 anciens pour l’aider, anciens sur lesquels il mettra une part de l’Esprit de Moïse. Moïse fait ainsi, il rassemble les 70 autour de la tente de la Rencontre (le Tabernacle). Dieu prend une part de l’Esprit de Moïse pour le mettre sur eux, ils prophétisent, tout va bien, mais cela ne dire pas et ils ne font plus rien. Or voici que deux avaient été oubliés : Eldad et Médad, qui étaient restés dans le camp avec tout le monde. L’Esprit était bien allé sur eux, et ils prophétisaient, mais ils n'avaient pas été convoqués par Moïse près de la tente de la Rencontre. Jaloux, Josué veut les en empêcher, mais Moïse dit que non, il n'y a pas de problème et il conclue par : « Puisse tout le peuple de l’Éternel être composé de prophètes, et veuille l’Éternel mettre son Esprit sur eux ! » (Nb. 11:29).
Moïse donc s’entoure d’anciens pour l’aider dans sa charge et pour servir le peuple, Dieu est invoqué et ils prophétisent comme on le leur demandait. « Prophétiser », dans la Bible, signifie, non pas prédire l’avenir, mais dire la Parole de Dieu publiquement. Pour les chrétiens, c’est témoigner des valeurs de l’Evangile, dire le projet créateur de Dieu, le secret de son plan. Prophétiser, c’est parler sous l’inspiration de l’Esprit, mais dire des choses clairement, en étant comme porte-parole de Dieu.
Contre le cléricalisme et l’institutionnel
La solution trouvée pour aider Moïse peut sembler très cléricale : il doit mettre en place une sorte d’institution définissant clairement qui peut et doit dire la Parole de Dieu, ce seront les 70 « anciens » donc « prêtres » (le mot « prêtre » venant du grec « presbytéros » signifiant « ancien ») qui ont reçu l’Esprit et qui ont le droit de parler pour Dieu.
Mais en même temps, notre texte est une critique redoutable du système clérical, ces 70 anciens prophétiseront un temps puis s’arrêteront, ils ne feront plus rien et on n’entendra plus jamais parler d’eux ! Les deux seuls actifs seront Eldad et Médad qui n’avaient pas été accrédités, ni invités à jouer un rôle !
On peut voir là une critique de toute institution : on essaye d’organiser, mais ce n’est pas toujours efficace. On organise des commissions, des sous-commisions, des responsables de ceci ou de cela. Mais souvent cela ne mène à rien. Et puis il faut bien dire que les institutions ne savent pas toujours choisir les meilleurs pour avoir un rôle important.
Attention aux critères de sélection
Quand on essaye de fixer des critères objectifs pour sélectionner qui pourrait avoir telle responsabilité, il arrive que le critère ne parvienne pas à sélectionner les meilleurs, ou exclue ceux qu’il aurait fallu choisir. Que l’on pense aujourd’hui au système de sélection scolaire qui risque toujours de sélectionner des personnes capables d’apprendre, mais écarte tant de génies moins conventionnels. Ou que l’on pense à nombre de romans refusés par les éditeurs et qui sont devenus des succès planétaires. Jésus de même a été écarté par la société de son époque, il n’était pas « comme il faut » par rapport aux critères de bonne religiosité de son temps, mais « la pierre rejetée par les bâtisseurs est devenue la principale, celle de l’angle » (Matt. 21:42, Actes 4:11).
Nous ne devons donc pas nous décourager quand nous subissons des rejets de telle ou telle institution, les critères utilisés, bien souvent, ne permettent pas de juger de la vraie valeur d’une personne. Ainsi, dans notre texte, Eldad et Médad avaient été oubliés, pourtant ils étaient les meilleurs, les seuls d’ailleurs dont on ait conservé le nom ce qui est un paradoxe.
Nous devons donc particulièrement être vigilants dans nos Eglises, les critères généraux peuvent être globalement justes, mais ils peuvent être faux individuellement. Nous devons prendre garde de ne pas réglementer notre Eglise en voulant définir qui est digne de recevoir la communion, ou d’être baptisé, ou marié, ou enterré, ou même de se dire chrétien, ou protestant. Ce n’est pas à nous d’imposer des conditions artificielles et générales trop strictes. Il faut toujours être attentif aux individus, aux personnes, et Dieu seul connaît les cœurs.
L’attention à la personne
Et ces deux qui avaient été oubliés, faisaient-ils partie des 70 ? Non, ils sont en plus. Au total, cela fait donc 72 anciens capables de prophétiser. Or 72 est le nombre normal : ça en fait 6 par tribu, 6x12=72. Et donc dès le départ il en manquait deux ! C’est évident, il aurait dû sauter aux yeux de Moïse que cela n’allait pas. Mais il n’a rien vu. Et pour nous non plus d’ailleurs, en lisant le texte, personne ne tique devant ce nombre arbitraire de 70 qui est clairement incomplet !
Toute société, et nous tous, avons une grave difficulté à voir ceux que la société oublie, ceux que nos lois condamnent ou excluent, ou même, ceux que nos a-priori ou nos principes veulent mettre de côté.
Et ce sont ces deux-là qui feront plus de bien que les 70 autres. Une fois de plus, et c’est une idée constante de l’Ancien Testament, ce n’est pas le nombre qui compte, mais la qualité.
Des prophètes dans le monde, plongés dans l’Ecriture
Et intéressons-nous à Eldad et Médad, qu’avaient-ils de spécial pour être ainsi montrés par le texte comme étant les seuls de qualité ? Il est dit qu’ils étaient bien inscrits, mais qu’ils n’étaient pas allés vers la tente de la Rencontre. Cette tente, appelée Tabernacle était, pour le peuple dans le désert, comme un temple transportable. La tente abritait l’Arche d’alliance renfermant les tables de la Loi et symbolisant la présence réelle de Dieu. Aller vers la tente de la Rencontre était l’équivalent pour nous aujourd’hui du fait d’aller au temple ou à l’église. Edlad et Médad donc n’étaient pas de bons pratiquants. Pas très religieux pour les rites, il est dit qu’ils étaient dans le camp. Ils étaient donc avec tout le monde, comme tout le monde dans la société. Mais quand le texte dit qu’ils étaient « dans les inscrits » mot-à-mot en hébreu, on lit qu’ils étaient « dans les écritures » ? Or les « Ecritures », c’est la Bible ! Donc peut-être qu’ils n’allaient pas beaucoup vers les lieux saints, mais ils lisaient la Bible, ils étaient plongés dans la Parole de Dieu.
Et ainsi le texte ne se contente pas, comme nous l’avons dit, de critiquer un modèle clérical, il propose une autre vue. Il montre que les personnes les plus intéressantes dans la communauté ne sont pas nécessairement celles qui à qui l’institution donne un pouvoir particulier en les mettant à l’écart des autres, mais des personnes bien dans le monde, impliquées dans la société, tout en étant plongées dans l’Ecriture. Pas besoin d’être dans une sorte de clergé pour avoir le droit de « prophétiser », ou bien proclamer la Parole de Dieu et d’en témoigner. Pour faire cela au mieux, il faut être dans la société et non pas à part. Eldad et Médad, par ailleurs, ne cherchaient pas les honneurs, ni le pouvoir, ils étaient humbles, avec et au milieu des autres, et c’est de là qu’ils prophétisaient. C’est le sacerdoce universel.
C’est une conviction que partagent les protestants depuis la Réforme, que ceux à qui l’on confie prioritairement la prédication et l’annonce de la Parole soient des personnes dans le monde et non pas retirées du monde. Si les pasteurs sont autorisés à se marier, ce n’est pas une licence, comme pour abaisser la difficulté afin d’en avoir plus, c’est une conviction que le ministre de Dieu doit être dans le monde et non pas un être à part ayant une vie différente des autres, il partage avec tous les joies et les difficultés de la vie courante. Ce qui n’est d’ailleurs sans doute pas une facilité... mais bien souvent une difficulté supplémentaire.
Ainsi se réduit la séparation entre le sacré et le profane. L’important n’est pas d’être dans l’Esprit quand on est au temple, puis de ne plus l’être, il faut conserver cette inspiration spirituelle dans la durée, et l’avoir en tout temps et en tout lieu. Il n’y a donc plus de temps sacré et de temps profane, ni de lieu sacré ou de lieu profane, tout temps, tout lieu est le temps ou le lieu où l’Esprit peut souffler, où Dieu est présent, et où l’on peut vivre et proclamer la parole de Dieu. Le sacré est partout, et l’Esprit peut sacraliser toute vie.
Les mauvais pratiquants ne font de tort qu’à l’Eglise et pas à Dieu !
Quant aux bien-pensants de la communauté ils critiquent cela et disent qu’il faut empêcher Eldad et Médad de prophétiser. Ils voudraient réserver le pouvoir spirituel à ceux qui sont accrédités comme il faut, la religion établie veut toujours empêcher qu’on puisse avoir la présence de Dieu ailleurs que dans la pratique de l’Eglise. On a exactement la même situation dans l’Evangile lorsque Jean dit à Jésus : « Maître, nous avons vu un homme qui chasse les démons en ton nom et qui ne nous suit pas, et nous l’en avons empêché, parce qu’il ne nous suit pas. Jésus dit : Ne l’en empêchez pas, car il n’est personne qui fasse un miracle en mon nom et puisse aussitôt après parler mal de moi. En effet, celui qui n’est pas contre nous est pour nous. » (Mc 9.38–41).
Moïse lui-même répond parfaitement en disant que cela ne peut nuire qu’à lui, et pas à Dieu. En fait, cela nuit à qui, que des gens biens et non pratiquants soient dans le monde ? Seulement aux Eglises. Pas à Dieu.
Et il n’est même par certain que cela nuise vraiment aux Eglises. Quand Dieu prend de l’Esprit qui était sur Moïse pour le mettre sur les anciens, la question des commentateurs antiques était de savoir si alors une part de l’Esprit avait été enlevée à Moïse. Mais non, Dieu ne prélève pas de l’Esprit donné à Moïse. C’est comme l’amour, un couple ne s’aime pas moins parce qu’il donne de l’amour à ses enfants. Et l’Esprit, comme l’amour ne s’enlève pas pour le donner à d’autres, il se communique. Comme la bougie centrale de la menora lors des fêtes de Hanoukka, elle allume les autres, elle communique sa lumière aux autres sans perdre la sienne. Ainsi Moïse ne perd rien, au contraire, il n’est plus seul et d’autres partagent son rôle et l’aident dans l’accomplissement de la tâche.
Moïse répond bien : dans le service de Dieu, il n’y a pas de jalousie à avoir, la réussite de l’un ne nuit pas à l’autre. Moïse voit le seul intérêt que la parole de Dieu soit propagée, et ne se préoccupe pas de sa propre position, il se montre par là bien différent de tant d’hommes d’Eglise qui confondent leur pouvoir avec celui de Dieu.
Pour une Eglise ouverte et accueillante
Pour nous aujourd’hui, prenons garde ! Qu’est-ce que cela peut bien nous faire que quelqu’un se déclare chrétien sans notre accord, ou sans être dans notre propre Eglise, et qui sommes-nous pour statuer qui aurait le droit de se dire « protestant » on non ? Acceptons que tout ne se passe pas selon nos propres critères qui sont humains. Acceptons que deux personnes puissent vivre en couple même sans notre autorisation ou notre bénédiction. Et si quelqu’un fait ce qui n’est pas absolument dans les règles de l’Eglise, en conformité avec le droit canon ou la constitution, à qui cela nuit-il ? A l’Eglise peut-être, mais à Dieu, pas forcément !
Moïse dit que ce serait bien que tout le peuple soit plein de l’Esprit, plein de paix, d’amour, de pardon et de grâce, et témoigne de tout cela avec ou sans son autorisation. Il y exhorte même, encourageant par là une forme de sacerdoce universel au-delà même des limites d’une Eglise particulière.
Pour nous dans notre communauté, il est bon, au moment où nous élisons des conseillers presbytéraux, de rappeler à tous que si ces conseillers sont effectivement appelés à être particulièrement témoins et actifs au sein de la communauté, cela ne leur est pas réservé, d’autres aussi le font, peuvent le faire, et doivent le faire. Il faut accueillir toutes les initiatives. Si c’est pour le bien du Seigneur, il ne faut pas empêcher ceux qui ont envie de faire. Toute personne qui témoigne dans sa vie des valeurs essentielles de l’Evangile est prophète, c’est-à-dire donc témoin de la grâce, de la fraternité, du pardon, de la générosité et de la compassion.
Aimé par Dieu pour aimer !
Mais donc qui étaient Eldad et Médad, et pourquoi nous donne-t-on leur nom ? Cela doit attirer notre attention parce que les noms propres ont toujours un sens en hébreu et ne sont jamais donnés au hasard. Dans ces deux noms on trouve « DaD » qui signifie l’« amour ». « eL », c’est Dieu, et donc « Eldad » signifie : « amour de Dieu ». Le « Mem » désigne l’origine, ou l’instrument, « Medad » signifie donc « de l’amour », ou « pour l’amour ».
Voici donc deux choses essentielles : l’amour de Dieu, et l’amour tout court, l’amour du prochain. C’est le résumé de toute la vie chrétienne telle qu’enseignée par le sommaire de la Loi : « tu aimeras Dieu de tout ton cœur... et ton prochain comme toi-même » (Marc 12:30). Ou on pourrait préciser en disant que le sens de la vie chrétienne est explicité par ces deux noms propres signifiant : « aimé par Dieu » et « pour aimer ». Cela ressemble un peu à la belle devise de l’Armée du Salut : « sauvé pour servir », mais plus générale et plus profonde : « aimé par Dieu pour aimer ». Cela n’est pas éloigné de ce célèbre verset de l’épître de Jean : « pour nous, nous aimons, parce que Dieu nous a aimé le premier » (I Jean 4:19). « Aimé par Dieu pour aimer » ce devrait être le mot d’ordre de tout chrétien, c’est le résumé de tout l’Evangile : la grâce première, et l’invitation à en vivre et de la vivre pour aimer.
Voilà ce qui avait manqué à la belle organisation de Moïse, il avait bien tout fait... mais il avait oublié l’amour. Ca ne pouvait pas marcher. C’est le risque quand on organise une Eglise, et quoi qu’on fasse, il ne faut jamais oublier l’amour, sans quoi rien n’ira. Dans toute notre organisation, dans tout ce que nous décidons pour le fonctionnement de notre Eglise n’oublions jamais l’accueil de l’autre, la préoccupation et l’attention à l’autre, si petit qu’il soit, n’oublions jamais de convoquer l’amour. C’est la seule chose qui donne sens à tout ce que nous pouvons faire : l’amour de Dieu et l’amour du prochain.
Quoi que vous fassiez, invitez qui vous voulez, mais n’oubliez jamais d’inviter Eldad et Medad, les deux merveilles !
Louis Pernot
(Merci au pasteur James Woody qui m'a mis sur la piste!)
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Nombres 11: 14-17 et 24-29
14Je ne puis pas, à moi seul, porter tout ce peuple, car il est trop lourd pour moi. 15Plutôt que de me traiter ainsi, tue-moi donc, si j’ai obtenu ta faveur, et que je n’arrête pas ma vue sur mon malheur.
16L’Éternel dit à Moïse : Rassemble auprès de moi soixante-dix des anciens d’Israël, de ceux que tu connais comme anciens et officiers du peuple ; amène-les à la tente de la Rencontre et qu’ils s’y tiennent debout avec toi. 17Je descendrai, et là je te parlerai ; je prendrai de l’esprit qui est sur toi et je le mettrai sur eux, afin qu’ils portent avec toi la charge du peuple, et que tu ne la portes pas à toi seul.
24Moïse sortit et rapporta au peuple les paroles de l’Éternel. Il rassembla soixante-dix des anciens du peuple et les plaça autour de la tente. 25L’Éternel descendit dans la nuée et lui parla ; il prit de l’esprit qui était sur lui et le mit sur les soixante-dix anciens. Et dès que l’Esprit reposa sur eux, ils se mirent à prophétiser, mais ils ne continuèrent pas.
26Deux hommes, l’un nommé Éldad, et l’autre Médad, étaient restés dans le camp, et l’esprit reposa sur eux ; car ils étaient parmi les inscrits, cependant ils n’étaient pas sortis vers la tente ; et ils se mirent à prophétiser dans le camp. 27Un jeune homme courut l’annoncer à Moïse et dit : Éldad et Médad prophétisent dans le camp. 28Josué, fils de Noun, assistant de Moïse depuis sa jeunesse, prit la parole et dit : Moïse, mon seigneur, empêche-les ! 29Moïse lui répondit : Es-tu jaloux pour moi ? Puisse tout le peuple de l’Éternel être composé de prophètes, et veuille l’Éternel mettre son Esprit sur eux !
Marc 9 :38-41
38Jean lui dit : Maître, nous avons vu un homme qui chasse les démons en ton nom et qui ne nous suit pas, et nous l’en avons empêché, parce qu’il ne nous suit pas. 39Jésus dit : Ne l’en empêchez pas, car il n’est personne qui fasse un miracle en mon nom et puisse aussitôt après parler mal de moi. 40En effet, celui qui n’est pas contre nous est pour nous. 41Et quiconque vous donnera à boire un verre d’eau en mon nom, parce que vous êtes au Christ, en vérité, je vous le dis, il ne perdra point sa récompense.