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Dieu ou César ?

"Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu" (Matthieu 22:21)

Prédication prononcée le 20 mars 2022, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur  Louis Pernot

 

« Rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », cette formule bien connue devenue un proverbe de notre culture, est en fait un passage biblique, citation de Jésus répondant par un tour de passe-passe extrêmement astucieux au piège effroyable dans lequel les hérodiens et les pharisiens avaient essayé de l’enfermer. Ceux-ci lui demandaient en effet s’il fallait on non payer l’impôt à César, or il faut rappeler qu’à ce moment-là, Israël était en situation d’occupation par l’armée romaine. Si bien que si Jésus répondait qu’il fallait payer l’impôt à César, on pouvait le taxer de collabo, de mauvais juif ; mais s’il disait qu’il ne le fallait pas, on aurait pu l’envoyer en prison comme intégriste et zélote. Jésus parvient à trouver une réponse qui n’en est pas une, et qui dit à la fois oui et non. Il n’affirme pas que payer l’impôt soit ultimement important voire un devoir, mais il dit, d’accord, payez-le, mais n’oubliez pas de « rendre à Dieu ce qui est à Dieu ».

Il ne faut, en effet, pas oublier la deuxième partie de la sentence, certes, « rendez à César ce qui est à César », donc payez vos impôts, mais n’oubliez pas de « rendre à Dieu ce qui est à Dieu », c’est-à-dire, ne faites pas de cet acte civil un acte religieux qui serait d’une importance ultime. Il ne s’agit que de quelque chose de secondaire et de moindre importance que ce que vous ferez pour Dieu. Et précisément, payer son impôt, ou accomplir quelque devoir civique que ce soit n’est pas, en soi, servir Dieu.

Laïcité et théologie des deux règnes

On a le plus souvent interprété cette phrase de Jésus comme allant dans le sens de la « théologie des deux règnes » enseignée par Luther : il y a le règne du terrestre et le règne du céleste, il y a le monde matériel avec ses lois, ses règles, sa politique, ses agitations, et le monde spirituel qui est le royaume de Dieu. Et les deux domaines sont séparés. Il y a donc des lois dans la société, auxquelles j’obéis, mais ces lois ne sont pas des lois religieuses, d’elles ne dépendent mon salut, ce ne sont pas des lois divines, des lois qui auraient une importance ultime. Donc théologie des deux règnes, ce qui convient à beaucoup de gens parce qu’elle donne une réponse simple à l’ambiguïté dans laquelle se trouve souvent le chrétien, tiraillé entre sa foi, son idéal, et le pragmatisme que lui impose sa vie concrète. On la présente même souvent comme l’un des fondements de la laïcité : séparation de l’Eglise et de l’état, chacun chez soi, la religion dans la sphère de l’intime, de la vie intérieure ; et les règles de la société pour tout ce qui concerne notre vie matérielle.

Cela dit, je ne pense pas que l’on puisse professer avec brutalité et radicalité cette séparation des deux règnes, et pouvoir trier entre ce qui est à Dieu et ce qui est à César pour rendre à chacun ce qui lui est dû. Peut-on vraiment dire que les deux sont sans lien ? Non.

Pas de séparation entre les deux règnes

En effet, cette distinction radicale des deux règnes pourrait entraîner à dire que quelqu’un pourrait, à la limite, se comporter toute la semaine comme un effroyable gredin, et le dimanche aller à l’Eglise ; ou être totalement impitoyable dans sa façon d’être avec les autres et avoir une vie de prière absolument magnifique et une piété sans égale. On ne peut pas séparer aussi radicalement les deux règnes.

Cette idée de la séparation des deux règnes est fondamentalement opposée à la sensibilité protestante qui, précisément, refuse de faire une distinction entre le sacré et le profane et qui affirme que notre piété ne peut être séparée de la manière avec laquelle on vit dans le monde. Notre manière même d’accomplir notre travail sur terre, si humble soit-il, peut être une façon de rendre gloire à Dieu. Il n’y a ainsi pas de distinction formelle entre un acte religieux et un acte quotidien, parce que la religion, la foi, la piété se vivent dans le quotidien, donc dans la relation aux gens. Ainsi, une théologie qui prétendrait séparer radicalement les deux règnes ne tient pas, ni d’un point de vue théologique, ni du point de vue pratique, ni du point de vue de l’Evangile, ni du point de vue de notre belle tradition réformée.

Toute la prédication du Christ va également dans ce sens, Jésus lui-même a, maintes fois, montré en exemple de piété ou de foi des êtres ne faisant aucun acte religieux, mais qui simplement faisaient preuve de miséricorde, de générosité, d’humilité. Que l’on pense en particulier à centenier romain (Luc 7:2-10) , à Zachée (Luc 19:1-10), ou à la femme païenne, Syro-phénicienne (Marc 7:24-30). L’évangile de Matthieu conclue la prédication du Christ par la belle parabole du jugement des Nations (Matt. 25:31-46) où ceux qui sont montré comme les élus de son père ne sont montrés comme n’ayant ni prié, ni adoré, ni cru en quoi que ce soit, mais simplement avoir donné à boire à celui qui avait soif et visité celui qui était en prison.

Il faut donc trouver autre chose.

L’opposition des deux règnes est-celle possible ?

Il y a une hypothèse radicale qu’il faut présenter, mais qui semble tout de même très discutable, elle consiste à dire que Jésus ne légitime pas du tout le fait d’accomplir un quelque devoir civique vis-à-vis d’une puissance envahissante et d’occupation, mais qu’il prend au piège les hérodiens en répondant à leur question de savoir s’il faut adhérer à la marche de la politique actuelle. Et plutôt que de leur dire : faites-le parce qu’en fait cela n’a pas grande importance, il leur dit : montrez-moi ce que vous avez dans vos poches. Là ils sortent un denier sur lequel il y a la représentation de César, il leur demande de qui est cette effigie ? De César, alors rendez à César.... On peut comprendre que Jésus prend ses adversaires à leur propre piège, en leur montrant qu’ils sont déjà complices de l’état romain, et qu’en fait, eux qui prétendent être les champions de la pureté, de la vérité, prêts à condamner les autres et à les considérer comme de mauvais croyants, eux, sont déjà coupables de collusion avec l’ennemi, ils sont complices du mode de fonctionnement de cet état scélérat puisqu’ils en ont les pièces dans les poches ! Utilisant les pièces de César, ils sont déjà dans le système et ils en profitent. Jésus leur dit donc que puisqu’ils en profitent, ils n’ont pas à être hypocrites et logiquement ils n’ont qu’à payer pour ce système qu’ils utilisent. Mais, sous-entendu, Jésus affirmerait que, lui, il n’a pas ce type de pièces dans sa poche et que lui au moins ne servant César, choisit de servir Dieu. Comme si les deux étaient opposés, et comme s’il fallait choisir de servir Dieu, ou de servir César. Jésus refuserait ainsi toute concession avec un pouvoir corrompu. Et cela ferait dire à notre maxime le contraire de ce qu’on lui fait dire d’habitude.

Ordinairement, en effet, on lit l’affirmation de Jésus comme une validation de la position des hérodiens, en affirmant qu’on peut très bien contribuer au monde, même si ce monde est extrêmement discutable, tant qu’on conserve une certaine foi et qu’on veille à bien rendre à Dieu ce qui est à Dieu. On pourrait, ainsi, tout au contraire, voir là une condamnation totale de ceux qui rendent à César ce qui est à César, invitant à ne vivre que dans un seul royaume qui est le royaume de Dieu. « Mon royaume, dit Jésus n’est pas de ce monde », le royaume de Jésus n’est pas l’impôt ni la pression des Romains sur le peuple, mais le royaume de Dieu, c’est l’amour, la justice, la paix, la tendresse. Le reste ne doit avoir aucun rapport avec nous. Et il ne faut donc même ne pas avoir de pièces de monnaie de ce pouvoir dans la poche. On ne peut pas à la fois critiquer un pouvoir et en profiter. « Nul ne peut servir deux maîtres, Dieu et Mammon » (Luc 16:13). Si on critique un pouvoir, on n’en profite pas, c’est la base de la cohérence.

Mais, cette explication radicale ne me paraît pas juste. Il ne semble d’abord pas certain que Jésus n’ait jamais eu de pièce de monnaie dans sa poche. En particulier, l’évangile de Jean parle de la bourse qu’avaient les disciples de Jésus, bourse tenue par un trésorier, certes mal choisi puisqu’il s’agissait de Judas, mais ils avaient quand même un trésorier (Jean 12:6). On peut discuter l’historicité de Jean, mais à un autre moment, Jésus va payer le statère trouvé dans le ventre du poisson (Matt. 17:27)... En tout cas Jésus ne semble pas être un prédicateur radical s’opposant au pouvoir occupant, il ne s’est jamais frontalement opposé à la puissance romaine, contraiement à ce qu’espéraient de lui les zélotes, et probablement même Judas, ce qui pourrait expliquer sa trahison. Cette explication allant dans le sens d’un intégrisme religieux ne semble pas juste, et en tout cas pas cohérente avec l’attitude générale de Jésus.

Articulation entre les deux règnes

Ce qu’il faut, c’est, évidemment, garder cette idée de la séparation des deux règnes : « il faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César », mais en même temps, chercher comment les deux peuvent s’articuler. Comment pouvons-nous, nous qui sommes dans les deux règnes, mettre ensemble ces exigences contradictoires du service de Dieu et du service de César ou de la société ? Il n’y a, en effet, pas forcément d’opposition. Et même du temps de Jésus où le peuple juif était occupé par un pouvoir romain oppresseur, voire corrompu, Jésus n’a jamais invité à la révolte contre le système. Certes, il est bien qu’il y ait parfois des révolutionnaires qui se lèvent qui combattent un système pervers, mais Jésus ne le fait pas Il a pu dénoncer des injustices, des oppressions, mais c’est toujours à titre individuel, et pour un individu.

L’attention à l’individu ! Là se trouve la clé de tout cela.

Attention à l’individu

On trouve cette question partout dans le texte. D’abord dans la manière avec laquelle Jésus répond à ses adversaires, en les renvoyant à eux-mêmes : vous, là qu’avez-vous dans votre poche ? Jésus refuse de donner une réponse qui soit un absolu, un universel, mais il renvoie à ce que sont ceux qui s’adressent à lui : vous participez à règne de César, pourquoi pas, faites le... mais n’oubliez pas de rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Oui, on peut vivre dans le monde, mais ce qui est à Dieu, il ne faut pas oublier de le lui rendre. Il ne faut pas oublier la deuxième partie de la sentence, on entend bien ce « rendez à César... » mais on met de côté trop souvent qu’il y a aussi cette injonction formelle de « rendre à Dieu ce qui est à Dieu ».

Et qu’est-ce qui est à Dieu qu’il faille lui rendre ? La solution se trouve dans la réponse même de Jésus, quand il parle de ce qui est à César, et pour cela, il montre une image de César. Donc rendez à César ce qui le représente, et rendez à Dieu ce qui est son image. Et qu’est-ce qui est l’image de Dieu, ce qu’il faudrait rendre à Dieu ? La réponse se trouve dans les premiers versets de la Bible, ce qui est fait à l’image de Dieu, c’est l’homme, l’humain. L’homme est fait à l’image de Dieu (Gen. 1:27). Il faut donc rendre l’homme à Dieu. Autrement dit, faites votre devoir du point de vue de la société, faites ce que vous voulez, mais n’oubliez jamais l’attention à la personne.

Regarder au visage de l’homme, image de Dieu

Cette piste est certainement juste parce qu’elle rejoint une curiosité du texte. Quand les hérodiens s’adressent à Jésus, les traductions mettent : « rabbi, toi qui ne regardes pas à l’apparence des hommes », mais ce n’est pas ce qui est écrit, il est écrit : « toi, tu ne regardes pas le visage des hommes » (οὐ γὰρ βλέπεις εἰς πρόσωπον ἀνθρώπων). Ce visage qui est précisément l’image de Dieu ! Ils disent là la chose la plus fausse qui soit, parce que, si, Jésus regarde le visage de l’homme et il ne fait même que cela. En parlant ainsi, les hérodiens veulent prendre Jésus au piège en l’accusant arbitrairement d’intégrisme. L’intégriste, en effet, ne s’intéresse pas aux personnes, mais seulement aux règles, aux traditions. Et pour eux, soit Jésus est dans cette option, ou alors c’est qu’il serait dans un relativisme total, une permissivité coupable. Le « rendre à Dieu ce qui est à Dieu » pourrait être compris dans le sens de cet intégrisme, comme s’il fallait obéir à des espèces de loi totalement hors sol, à des rites d’une autre époque et coupant de la société. Au contraire, le « rendre à César ce qui est à César » pourrait justifier une compromission totale, un abandon de souveraineté et de liberté, une allégeance intéressée à un pouvoir humain discutable et sclélérat. Mais Jésus ne défend pas l’un opposé à l’autre, ni même les deux indépendamment, il associe les deux. Il refuse l’alternative.

Il refuse une séparation totale des deux règnes, contraiement aux hérodiens qui, certainement se donnaient bonne conscience en se disant que certes ils contribuaient à quelque action déplaisante vis-à-vis du peuple juif en soutenant Hérode, roi à la solde des Romains, mais néanmoins étaient tout à fait en règle concernant les pratiques religieuses, appliquant les rites, obéissant aux différentes sortes de lois, de tout ce qui pouvait les mettre ne règle avec Dieu.

Mais Jésus précisément montre qu’il n'est pas dans cette logique de séparation ou d’intégrisme, et que sa première attention, c’est précisément la personne. Il leur donne ainsi, nous l’avons vu, une leçon illustrée par sa manière de s’adresser à eux : qu’avez-vous dans votre poche ? Comment payez-vous l’impôt ? Comment vous comportez vous aujourd’hui, quel est votre lien avec le pouvoir ? Et bien écoutez, je ne juge pas, mais vivez en cohérence et en honnêteté, mais n’oubliez, pas, rendez à Dieu... soyez attentifs aux personnes.

Ce n’est pas à personne de juger, en effet. Faut-il voter pour l’un ou l’autre des candidats à l’élection présidentielle ? Faites ce qui vous semble bon, pas la peine de discuter à l’infini, mais en tout chose, soyez attentifs à la personne, et comme Jésus, quand vous vous adressez à quelqu’un essayez de savoir qui il est, et ce qu’il y a en lui.

On retrouve là l’injonction évangélique du non justement : ne juge pas ton frère (Luc 6:37), tu ne peux pas le juger parce que tu ne sais pas ce qu’il a dans ses poches, ou ce qu’il trimballe dans sa mémoire, dans ses expériences, ses traumatismes passés. Tu ne sais pas quelles valises il traîne derrière lui et qui peuvent justifier, ou excuser d’une certaine façon ses engagements d’aujourd’hui, ses comportements d’aujourd’hui. Tout est compliqué dans ce monde, mais moi je vous adjure : regardez le visage de l’homme. Regardez la personne, regardez l’individu, soyez attentif, regardez au visage, et c’est cela le « rendez à Dieu ce qui est à Dieu ». Cela ne veut pas dire faites vos rites, mais cela veut dire, rendez à Dieu l’image de l’homme, autrement dit rendre à Dieu ce qui est à Dieu, c’est se préoccuper de l’humain.

Nous ne sommes donc pas dans une véritable séparation des deux règnes, avec le matériel d’un côté et le spirituel de l’autre, mais au contraire, nous avons une invitation à faire entrer le royaume matériel, ou tout au moins humain, dans le royaume de Dieu. La manière avec laquelle je me comporte avec mon frère, ma sœur, mon conjoint, mes enfants, mes collègues ou amis, c’est cela qui appartient à Dieu, c’est cela auquel je dois faire la plus grande attention.

Dialectique entre les deux règnes

Ce lien entre les deux règnes peut être ce qui permet de sortir de la dialectique impossible d’une apparente opposition entre les deux. En effet, le problème, c’est que, même sans être dans une société fondamentalement scandaleuse, nous sommes toujours tiraillés entre les deux règnes. Nous devons contribuer au monde, au cours du monde, nous devons obéir aux lois, nous devons nous conformer à la constitution du pays dans lequel nous habitons, et suivre ses usages et ses coutumes. Donc nous sommes bien dans le monde, et nous ne pouvons pas prétendre en être coupés, ou vivre pour Dieu seul. Donc nous sommes dans le monde, mais en même temps nous sommes sans cesse confrontés aux exigences du Royaume, exigences infinies de générosité, de tendresse, d’amour, d’accueil inconditionnel, de pardon.

Mais cela est impossible ! Je ne peux pas accueillir tous les pauvres de la rue dans ma maison, je ne peux pas donner à manger à tous ceux qui ont faim. Je suis donc sans cesse écartelé, crucifié même, entre cette dimension humaine, horizontale de ma vie et cette dimension verticale d’un appel absolu et d’un idéal transcendant. Or je sais qu’il ne m’est pas possible de vivre dans ce monde selon les lois du Royaume. Ou alors le boulanger vendant son pain ne le vendrait plus en disant : mais je te le donne mon ami, parce que tu es mon frère. Le juge n’enverrait personne en prison, parce qu’il dirait : mon fils je t’accueille à bras ouvert comme le père de l’enfant prodigue, et le professeur mettrait 20/20 à toutes le copies de son concours parce qu’il aurait peur de faire de la peine à un élève. Pourquoi donc devons-nous à un moment faire payer le pain, contrarier l’un et peiner un autre ?

La solution, c’est l’attention à la personne, et ne pas se tromper sur ce qui lui est nécessaire.

D’abord il faut savoir que ce qui est du monde n’est pas d’une ultime importance. Que quelqu’un paye le pain 1 euro, 2, ou pas, ne conditionne ni son bonheur, ni son salut éternel. Ensuite, il faut bien qu’il y ait des lois et des règles d’échange dans la société, c’est la condition même de pouvoir vivre ensemble durablement. Or la société est une nécessité pour chacune des personnes qui la composent. Personne ne peut vivre seul, aucune personne n’est isolée. Chacun est en lien avec son prochain, et la vie avec son prochain suppose que des lois, des règles, admises par tous, permettent de vivre ensemble. Ainsi, même par attention pour l’autre, je lui ferai payer son pain, parce que sinon, la société ne fonctionne plus, l’ordre social, et donc le lien, sont menacés. Si le boulanger ne vit plus de son travail, si le malfaiteur est laissé en liberté, la société elle-même ne fonctionne plus et je crée un chaos, un désastre un malheur plus grand encore que le fait de payer sa baguette 1 euro ou plus.

Et puis il y a d’autres manières d’être attentif à la personne que de lui faire échapper aux règles du jeu de la société. On peut payer un objet, même cher, mais être accueilli, reçu, écouté. Un patron peut mettre un employé au chômage, mais ce n’est pas une raison pour le traiter comme un bien de consommation, et un bon pédagogue ne se contentera pas de sanctionner un élève sans lui parler, l’accompagner et lui expliquer la situation.

Et puis il peut y avoir des cas où l’attention à la personne peut primer sur l’obéissance à une loi aveugle ou inhumaine. Oui, nous l’avons dit, il faut obéir aux lois de son pays, de sa collectivité, mais il faut toujours avoir en tête cette possibilité de correctif qui est qu’au-dessus même des lois : l’attention à la personne. Il y a un arbitrage permanent à faire entre l’équilibre de la société dont dépend la vie pacifique des individus, et la personne individuelle qui est sans doute plus importante encore. Ce qui est à l’image de Dieu, en effet, ce n’est pas le peuple, mais la personne. Le peuple lui-même n’a de sens que dans la mesure où il sert la personne. Lorsque le peuple devient un groupe qui asservit, maltraite, il n’a plus la légitimité de l’adhésion du chrétien.

C’est pourquoi on peut voir dans cette phrase de Jésus non pas tellement une invitation à séparer les deux règnes qu’une sorte de mise en garde visant à relativiser le règne humain, à relativiser les lois et le fonctionnement de la société en enseignant que cette société n’est pas Dieu. Ce qui est représenté ici par la monnaie n’est qu’une image avec laquelle on peut fonctionner tant que cela convient, mais qui n’est pas l’image de Dieu, il n’y a donc pas d’absolu ou d’indiscutable en elle. La société si elle est représentée par sa monnaie n’est pas l’image de Dieu, image qui est seulement dans mon prochain. Donc j’obéis aux lois, mais je suis même prêt à désobéir aux lois s’il me semblait que l’attention à la personne devait l’autoriser, le permettre, voire l’exiger.

Dans nos débats actuels sur la laïcité, on a condamné fermement ceux qui affirmaient que la loi de Dieu pouvait être au-dessus de la loi des hommes. Mais moi je suis prêt à le dire ! Et les protestants ne le savent que trop bien, eux qui ont été pourchassés, condamnés par le pouvoir lors de la révocation de l’édit de Nantes, eux qui ont dû fuir, échapper de la France comme certains de mes ancêtres, pour aller se réfugier, en Suisse, en Allemagne, aux Pays Bas, ou en Angleterre, voire plus loin. Ces gens-là ont transgressé la loi au péril de leur vie pour pouvoir lire la Bible. Et plus proche de nous, tant de chrétiens, comme mes propres grands-parents, ont risqué leur vie pour héberger et sauver des enfants juifs pendant la guerre, transgressant les lois imposées, et même la règle évidente de l’égoïsme naturel... ils n’ont fait que ce qu’il fallait !

Donc oui j’obéis aux lois parce que je crois que les lois de la société sont essentielles, et chacun de nous avons besoin d’une société qui vive en paix avec des lois globalement admises par tout le monde. Mais ensuite, ce que je mets au-dessus de tout, c’est l’attention à la personne individuelle, et je serai toujours prêt à transgresser une loi pour sauver une personne. C’est même clairement ce qu’a affirmé quelqu’un qu’on ne peut ni soupçonner d’intégrisme, ni de terrorisme, l’Abbé Pierre : « Il y a une loi avant les lois, pour venir en aide à un humain sans toit, sans pain, sans soin, il faut braver toutes les lois ».

Dans sa prière pour ses disciples, Jésus a dit d’eux : « Ils sont dans le monde, mais ne sont pas du monde. Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les garder du mal » (Jean 17:15) ! Oui, nous sommes dans le monde et nous devons y être, nous y engager, y agir, y combattre, et avec les lois du monde. Mais notre royaume est au-delà du monde. Notre espérance est au-delà de ce que nos politiciens nous promettent. Quel que soit le monde où nous sommes plongés, nous vivons déjà dans le Royaume de Dieu qui est un royaume de paix, d’amour, d’espérance et de vie.

Louis Pernot

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Matthieu 22:15-22

15Alors les Pharisiens allèrent se consulter sur les moyens de prendre Jésus au piège de ses propres paroles.
16Ils envoyèrent auprès de lui leurs disciples avec les Hérodiens : Maître, lui dirent-ils, nous savons que tu es véridique, et que tu enseignes la voie de Dieu en toute vérité, sans redouter personne, car tu ne regardes pas à l’apparence des hommes. 17Dis-nous donc ce que tu en penses : Est-il permis, ou non, de payer le tribut à César ? 18Mais Jésus qui connaissait leur malice répondit : Pourquoi me mettez-vous à l’épreuve, hypocrites ? 19Montrez-moi la monnaie avec laquelle on paie le tribut. Et ils lui présentèrent un denier. 20Il leur demanda : De qui sont cette effigie et cette inscription ? 21De César, lui répondirent-ils. Alors il leur dit : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. 22Étonnés de ce qu’ils entendaient, ils le quittèrent et s’en allèrent.

Jean 17:15-19

15Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les garder du Malin. 16Ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde. 17Sanctifie-les par la vérité : ta parole est la vérité. 18Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde. 19Et moi, je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu’eux aussi soient sanctifiés dans la vérité.

Matt. 22:15-22