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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

 

Les abeilles

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Prédication prononcée le 11 septembre 2016, au Temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

La Bible nous dit que le roi Salomon si plein de sagesse avait fait des proverbes et des sermons sur les arbres, les végétaux, et sur bien des animaux (1 Rois 5:9-14). Il nous est resté quelques proverbes qui lui sont attribués, certains parlent du miel et de sa douceur (Prov. 24:13-14), mais aucun des abeilles, elles qui sont pourtant si importantes pour la vie de l’homme et même dans la Bible. Ou alors il faut aller chercher dans la traduction grecque des Septante qui met un ajout par rapport au texte hébreu avec cette sentence (juste après Prov. 6:6 qui parle des fourmis comme exemples de travail) : « Va voir l’abeille, et apprends comme elle est travailleuse et comme son travail est digne de notre respect, car les rois et les infirmes usent pour leur santé du fruit de son labeur. Or elle est glorieuse et désirée de tous, et si petite qu’elle soit, on l’honore, parce qu’elle apprécie la sagesse. »

L’abeille a sans doute inspiré le roi Salomon et on peut se demander ce qu’aurait été son sermon, mais en dehors du grand roi, ce petit animal a inspiré nombre de penseurs et de philosophes, et ce, depuis l’antiquité.

Ainsi l’abeille et sa colonie ont été considérées souvent comme un modèle social : société bien organisée autour d’un roi (on croyait dans l’antiquité que la reine des abeilles était un roi). On a voulu y trouver l’exemple même de ce que devrait être l’Eglise comme société pacifique et travailleuse unie autour de son pape.

L’abeille a été prise comme modèle moral, on observe en effet qu’elle est travailleuse, courageuse, désintéressée, prête à se sacrifier pour défendre sa colonie.

Mais il est dangereux de vouloir trouver dans la nature des modèles pour nos sociétés humaines, et à ce jeu, on peut être amené à utiliser la nature pour défendre indistinctement ce que l’on veut. Ainsi les abeilles ont-elles été prises à parti pour défendre le modèle communiste. En effet, chacune travaille pour la collectivité sans avoir de salaire ni de propriété personnelle...

Et à l’inverse, certains philosophes ont utilisé à revers les abeilles pour défendre des théories tout à fait subversives. Ainsi la passionnante « Fable des abeilles » de Mandeville (Philosophe anglais du XVIIIe s.) qui montre que les vices privés peuvent être au service de bénéfices publiques. C’est intéressant parce qu’enfin on quitte le registre moralisateur qui a trop souvent été le fait des penseurs voulant récupérer le modèle de la société des abeilles. L’idée de Mandeville est que même les individus les moins moraux ou les plus condamnables finalement, et malgré eux participent aussi au bon fonctionnement de la société et au bénéfice de tous. Ainsi le libertin dont la conduite peut être tout à fait mauvaise, finalement contribue sans le vouloir au bien commun. Ses fêtes et ses dépenses égoïstes donnent du travail à beaucoup de gens, et font fonctionner l’économie. Ainsi ce ne sont pas que les hommes vertueux qui font du bien à la collectivité, mais chacun en suivant son propre égoïsme d’une manière ou d’une autre y contribue, et une société peut très bien être faite d’individus qui cherchent leur bien propre. Il est vrai que si on imaginait que dans l’instant il n’y ait plus dans la société ni de voleurs ni personne de malhonnête ou d’irresponsable, il n’y aurait d’un coup plus besoin de policiers, ni de juges, ni de tribunaux, ni d’avocats, ni de gendarmes, ni de prisons, ni de gardiens... Ce serait une catastrophe économique et sociale. Ainsi, même les voleurs finalement servent la société par leur existence. Laissons à Mandeville la responsabilité de ses propos.

Quant aux contributions plus expressément chrétiennes, les pères de l’Eglise n’ont pas échappé à la tendance moralisatrice. Et le comble de cette récupération malhonnête peut être vu dans le pseudo sermon de saint Augustin (heureux pour la mémoire de saint Augustin que ce sermon ne lui soit plus attribué aujourd’hui) : on y voit les abeilles comme les modèles ultimes de la bonne vie du chrétien : elles font de la cire qui peut être utilisée pour les cierges et la dévotion, la reine se reproduit apparemment sans copulation sexuelle d’une manière virginale (on le pensait alors ne sachant pas qu’elle se faisait féconder en fait une seule fois dans sa vie), et enfin elle vit en communauté à l’image de moines cénobites.

A l’inverse, on a pu justifier la Réforme protestante par le processus d’essaimage des abeilles, puisque c’est ainsi que ce petit insecte peut se développer dans la nature. Une colonie laisse partir une partie d’elle-même fonder une autre colonie un peu plus loin. Il est vrai que cet essaimage est tout à fait positif, il est bien meilleur d’avoir deux colonies plutôt qu’une seule, fut-elle forte.

On trouve heureusement des contributions plus heureuses, comme Clément d’Alexandrie (IIe S.) qui invite le croyant à se faire sa propre opinion en butinant intellectuellement, comme les abeilles, à plusieurs sources. Ainsi invite-t-il à aller puiser non seulement dans les évangiles, mais aussi chez les philosophes ou les penseurs païens pour en faire quelque chose de cohérent et de bon. Cette idée est extrêmement moderne, il ne s’agit pas pour le croyant d’avoir à prendre une doctrine ou un dogme tout fait que l’on imposerait d’une manière déjà construite, mais que chacun puisse faire sa propre démarche en allant puiser à gauche ou à droite ce qu’il considère comme apte à le nourrir. C’est la démarche protestante proprement dite, d’inviter chaque fidèle à se faire sa propre opinion. Et cela nous indique aussi la manière avec laquelle nous pouvons nous construire spirituellement, il faut aller butiner à diverses sources, écouter des prédications, lire des livres, des passages de la Bible, et le but n’est pas d’être d’accord avec tout, mais de prendre ici ou là quelques gouttes qui constitueront petit à petit notre trésor. Quand une abeille passe sur un détritus, elle ne s’alarme pas, ne s’énerve pas, elle passe juste son chemin jusqu’à ce qu’elle trouve ce qui pourra la nourrir. De même il faut écouter, lire la Bible et ne pas s’agacer sur ce avec quoi on n’est pas d’accord, avec les passages de la Bible qu’on ne comprend pas ou qu’on trouve inadmissibles, il faut laisser tout cela de côté, et prendre ce qui est bon.


Mais dans une démarche protestante, il faut revenir à l’Ecriture et voir quelle place y a l’abeille. Celle-ci y est vue en général pour ce qu’elle produit : le miel, et le miel est vu comme l’image même de la douceur. Ainsi la Terre promise est présentée comme « un pays où coule le lait et le miel » (Exode 3:8). Cette terre promise n’est évidemment pas pour nous un lieu géographique, mais une image de la situation qui nous est promise quand on peut se trouver dans la plénitude de la présence de Dieu. Ce miel nous dit alors que cette présence de Dieu, la foi, est non seulement une nourriture formidable pour nous vie, un carburant particulièrement énergétique, mais aussi une source infinie de douceur et de bien être. Il est vrai que le monde matériel est source de violence, de contrariétés, de souffrances, de haines et de morts, alors qu’il y a en Dieu pour nous une source infinie de vie et de douceur à laquelle nous sommes invités à puiser, c’est extrêmement précieux et même vital.

Mais si l’on prolonge l’image, il faut remarquer que le miel ne tombe pas tout seul sur nos tartines de pain. Il faut aller le chercher. Le miel même, ne se trouve pas dans la nature directement dans des pots en verre, il faut le récolter, et ce n’est pas facile, c’est toute une démarche. De même il ne faut pas attendre passivement que la foi nous arrive, il faut vouloir la chercher. La douceur, le bonheur sont gratuits, comme « le miel du rocher » (Ps 81:17), mais encore faut-il se lever et aller vers lui. Il y a une quête spirituelle à faire dont on ne peut pas faire l’économie.

Où chercher alors ? La langue de la Bible nous donne un indice essentiel : le miel est offert par les abeilles, or l’abeille en hébreu se dit « déborah ». Cela a donné un prénom féminin, mais à l’origine ce mot est le féminin de « dabar » qui signifie la parole. L’abeille, c’est donc LA parole, voire la parole de Dieu si l’on considère que le « h » final renvoie à « Iah » le Dieu des hébreux. Cette douceur, cette présence de Dieu, elle est donc produite par la parole, et plus particulièrement la parole de Dieu. C’est en écoutant, en méditant, en lisant cette parole que notre foi peut progressivement se constituer et grandir. Nous avons la chance d’avoir à disposition dans la Bible les plus beaux et grands textes de l’humanité. Ils sont source vraiment d’une puissance qui peut non seulement nourrir notre vie, mais aussi la changer, la renouveler. Il suffit de s’y frotter.

Cette parole peut sembler petite et de peu de chose, mais il ne faut pas s’y fier, c’est comme ce que dit le proverbe grec attribué à Salomon, l’abeille est toute petite, mais elle a un vrai poids, une gloire, c’est qu’elle produit la sagesse, ce qui au sens antique désigne l’intelligence de la vie.

Mais il est vrai que se frotter à cette parole n’est pas si facile. On le sait, les abeilles, ça pique ! Récolter le miel est une activité difficile voire dangereuse. Il faut pour cela de la méthode, un équipement, du courage, et aussi une certaine formation, du savoir faire, et être bien conseillé. Sinon on risque bien de ne rien récolter du tout d’autre que des piqûres !

C’est le cas parfois de ceux qui veulent lire la Bible tous seuls. Nombreux sont ceux qui s’y essayent et qui sont rebutés rapidement si ils commencent par l’Ancien Testament et abandonnent après des pages de généalogies, ou alors dans le Nouveau Testament rebutés par les miracles et autres choses qui leur semblent si éloignés de notre culture et de notre vision actuelle du monde. Il est bon donc d’avoir quelqu’un qui accompagne, aide à trouver dans tous ces textes difficiles la bonne nourriture que l’on pourra emporter avec soi.
Les abeilles dans l’Ecriture sont évoquées pour leur miel, mais aussi parfois pour le fait qu’elles peuvent agresser. Ainsi dans le Psaume 118:12, elles sont comparées aux nations païennes qui environnent le psalmiste en lui voulant du mal et qu’il fait fuir : « les nations m’environnaient comme des abeilles ». Il faut bien reconnaître donc que cette parole qui peut nous donner tant de douceur est une parole qui peut être dérangeante, piquante. Et il est un fait que les prédicateurs en général ne gardent que ce qu’il y a de doux dans cette Bible qu’ils prêchent, ils parlent de paix, de pardon, de grâce et d’amour. Mais il y a aussi des textes qui nous remettent en cause, qui nous contrarient, qui nous dérangent dans notre petit confort. Ainsi quand le Christ dit « va, vends tout ce que du as, donne le aux pauvres et suis moi » (Marc 10:21), c’est tout sauf confortable. C’est une remise en cause importante qui nous force à bouger. Il y a aussi, et même dans l’Evangile nombre de passages qui nous mettent devant nos responsabilités, voire qui nous menacent. Il faut aussi assumer ces passages. Il est bon d’être conforté dans ce monde matériel difficile, mais aussi est-il bon d’être stimulé, aiguillonné par une parole qui nous met en mouvement.

C’est ainsi de même que Jacob luttera avec un ange (messages de la parole) et qu’il en sortira boiteux... mais béni.  (Gen 32 :25ss) Nous devons aussi nous battre avec la parole de Dieu, nous frotter à tous ces textes difficiles, qui parfois nous contrarient, nous dérangent, nous laisser piquer par eux pour aller plus loin et avancer. C’est là un paradoxe, c’est ce qui pique qui donne la plus grande douceur.

On trouve cette même dualité dans l’Apocalypse (Apoc. 10:8-11) quand l’apôtre voit un ange (porteur de la parole encore) tenant dans sa main un livre (l’Evangile) et qu’il lui est demandé de manger ce livre : « dans ta bouche il sera doux comme du miel, mais remplira tes entrailles d’amertume ». On peut le comprendre de deux manières toutes aussi justes : soit que cette parole n’est pas facile à avaler... mais si on accepte cette difficulté, si on la dépasse, elle peut devenir d’une grande douceur pour notre « bouche » c’est-à-dire pour ce qui en nous est de l’ordre de l’humain, de la parole. Ou alors que cette parole est douce... mais pour notre ventre, donc pour la partie la plus animale, matérielle de notre vie, elle est contrariante. Il est vrai que quand le Christ nous demande de donner, de partager, de porter notre croix, que nous serons persécutés, ce n’est pas très confortable. Mais il faut l’assumer, être chrétien est accepter de renoncer à certaines choses de nos vieux désirs terrestres archaïques ou animaux pour aller plus loin, justement parce que nous ne sommes pas que des animaux. L’Evangile est doux pour l’esprit... mais amer pour le ventre « comme l’absinthe ». [Note personnelle, cette dualité se retrouve dans mon histoire familiale puisque moi même apiculteur je produis la douceur du miel, mais que la famille Pernot a brillé en son temps dans la production d’absinthe tout comme nos homonymes « Pernod » qui y ont mieux réussi... ].

Mais cette amertume n’est pas un inconvénient. On peut même penser que l’apiculture n’est vraiment intéressante que parce que les abeilles piquent. Le danger, la difficulté, le fait de savoir maîtriser ou plutôt coopérer avec une réalité qu’il n’est pas facile à dominer est merveilleusement stimulant. Il en est de même pour cette bonne parole de l’Ecriture qui nous nourrit d’autant mieux qu’elle nous aiguillonne pour nous mettre en mouvement, qu’elle nous pousse à agir avec intelligence et attention, et qu’elle n’est, elle-même pas facile à attraper.

On retrouve cette même dialectique dans la Bible avec le personnage de Déborah (qui porte donc le nom de l’abeille). L’une des rares prophétesses de la Bible, seule femme « juge » en Israël, c’est-à-dire ayant eu le pouvoir de gouverner le peuple au nom de Dieu. La vie de Déborah nous est comptée, et on voit que sous son règne il y a eu des violences épouvantables dont elle a été responsable, mais pourtant elle a ramené la paix en Israël pour 4 ans, ce qui est une œuvre considérable...

Il faut ainsi sans doute des deux, de la douceur, et aussi un peu de vigueur. La douceur pure est émolliente, inefficace, la violence brute ne fait que détruire et n’apporte rien... Il faut un peu des deux, ou on ne peut avoir vraiment l’un sans l’autre, mais le fruit attendu, c’est évidemment la douceur.

Ainsi de même en est-il dans la vie. La vie apporte à chacun son lot de piqûres et aussi de miel. Alors il faut se nourrir du miel des bons moments pour mieux supporter les piqûres, et supporter patiemment les difficultés de la vie pour pouvoir récolter le miel quand c’est possible. On n’a pas de miel sans se faire piquer de temps en temps, c’est une évidence d’apiculteur. Mais on peut aussi faire preuve d’intelligence, il faut se protéger tant que possible des épreuves de la vie, il ne sert à rien de souffrir pour rien. Et ce n’est pas une faiblesse que d’éviter les situations où l’on sait qu’on se fera piquer. Mais il ne faut jamais renoncer à aller chercher le bon. La douceur du miel fait oublier toutes les piqûres, et c’est pour ça et orienté vers ça qu’il faut vivre : se nourrir des douceurs de la vie, et comme un bon apiculteur aller soi-même en chercher plus qu’il n’en faut pour soi afin d’en avoir à offrir aux autres.

C’est d’ailleurs une manière possible de voir la mission du Christ : comme l’apiculteur qui accepte de se faire piquer pour apporter le doux miel aux autres sans qu’ils en aient la peine ou le danger d’aller le chercher eux mêmes, le Christ a accepté de souffrir pour nous donner la grâce. Il s’est confronté lui-même au mal, à la violence, à la haine, à la souffrance et à la mort pour pouvoir nous donner gratuitement la grâce, le pardon et l’amour. Il a souffert à notre place, pour que nous ayions gratuitement toute la douceur de Dieu qui soit versée sur nous.

Ainsi n’y a-t-il plus à voir notre vie spirituelle comme un acte d’héroïsme, mais juste de recevoir, d’accepter, de prendre ce pain au miel qui nous est tendu pour que nous en mangions. La mort même est vaincue, il n’y a plus rien pour nous menacer, « La mort a été engloutie dans la victoire. O mort, où est ta victoire ? O mort, où est ton aiguillon ? L’aiguillon de la mort, c’est le péché ; et la puissance du péché, c’est la loi. Mais grâces soient rendues à Dieu, qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ !  ». (1 Cor. 15 :54-56)-

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Prov. 6:6-8
Va vers la fourmi, paresseux ; considère ses voies et deviens sage. Elle qui n’a ni capitaine, Ni officier, ni maître ; Elle prépare en été sa nourriture, Elle amasse pendant la moisson de quoi manger.
[Ou bien encore va voir l’abeille, et apprends comme elle est travailleuse et comme son travail est digne de notre respect, car les rois et les infirmes usent pour leur santé du fruit de son labeur. Or elle est glorieuse et désirée de tous, et si petite qu’elle soit, on l’honore, parce qu’elle apprécie la sagesse.]  (Ajout en Prov 6 :8 LXX)
Paresseux, jusques à quand seras-tu couché ? Quand te lèveras-tu de ton sommeil ? Un peu de sommeil, un peu d’assoupissement, Un peu croiser les mains en te couchant… Et la pauvreté te surprendra, comme un rôdeur, Et la disette comme un homme en armes.

Apocalypse 10:8-13

8Et la voix, que j’avais entendue (venir) du ciel me parla de nouveau en ces termes : Va, prends le petit livre ouvert dans la main de l’ange qui se tient debout sur la mer et sur la terre. 9J’allai vers l’ange, en lui disant de me donner le petit livre. Et il me dit : Prends-le et avale-le : il remplira d’amertume tes entrailles, mais dans ta bouche il sera doux comme du miel. 10Je pris le petit livre de la main de l’ange et je l’avalai : il fut dans ma bouche doux comme du miel, mais quand je l’eus mangé, mes entrailles furent remplies d’amertume. 11Puis on me dit : il faut que tu prophétises de nouveau sur beaucoup de peuples, de nations, de langues, de rois.

Prov. 6:6-8, Apoc. 10:8-13