Le lys dans la vallée
Prédication prononcée le 14 septembre 2014, au temple de l'Étoile à Paris,
par le Pasteur Louis Pernot
Le lys dans la vallée... c’est une image rendue célèbre par le roman de Balzac, mais dont l’origine est dans le Cantique des Cantiques, livre poétique de l’Ancien Testament qui est un chant d’amour entre une homme et une femme. Or on sait que par delà le sens premier, ce livre est théologique, il parle de l’amour entre Dieu et l’humanité. L’époux, c’est Dieu, comme c’est le Christ dans le Nouveau Testament, et la fiancée, la bien-aimée, c’est l’humanité.
Ici nous avons un cri d’amour, la bien-aimée est comparée au narcisse du Saron, à un lys dans la vallée. Cette image n’est pas très difficile à décoder il suffit de s’en donner la peine.
Le Saron d’abord est une vallée sablonneuse parfois mentionnée dans l’écriture, mais dont la tradition juive dit que son sol sablonneux ne permettait pas aux plantes d’avoir de bonnes racines. On disait aussi que les briques que l’on y faisait n’étaient pas solides, entraînant que les maisons du Saron devaient être refaites deux fois en sept ans car elles se détruisaient sous l’action de la pluie. (Talmud Yerouchalmi, Yoma 5,2). Il y a également une mention du Saron dans une des prières pour la fête de Kippour (office Moussaf) « Que ce soit ta volonté, notre Dieu, et Dieu de nos pères, que les maisons des habitants du Sharon ne deviennent pas leurs tombes ».
Le narcisse, est un peu plus compliqué, le mot hébreu est rare et d’une racine incertaine, il n’apparaît en fait qu’à un seul autre endroit dans la Bible : en Esaïe 35:1 : «Le désert et le pays aride se réjouiront; la solitude s’égaiera, et fleurira comme un narcisse ». Admettons donc qu’il s’agisse d’une fleur extraordinaire pouvant fleurir dans les endroits les plus hostiles.
Et c’est ainsi la merveille de l’humanité, de pouvoir fleurir même dans l’aridité dans des situations normalement stériles.
Quant au lys, il s’agit d’une fleur, on ne sait pas très bien laquelle, mais le mot hébreu («ShoShaNah ») vient d’une racine signifiant « exulter », « se réjouir ». L’humain a la capacité de se réjouir même dans la vallée, et la vallée, c’est l’ombre, ainsi qu’évoqué par le Psaume 23 quand il dit : « quand je marche dans la vallée de l’ombre et de la mort, je ne crains aucun mal... » et donc la vallée, c’ est le lieu de l’épreuve. Et c’est même plus que ça, parce que le mot utilisé ici, traduit par « vallée », est en fait la « profondeur », image du séjour des morts, du Sheôl évoqué dans le célèbre Psaume du « de profundis » (Ps 130) : « Des profondeurs je t’invoque, ô Éternel! ».
L’humain est capable ainsi de fleurir, et de trouver du bonheur même dans des situations difficiles d’aridité, de deuil, de noir et de mort.
C’est l’idéal de la philosophie antique disant que l’idéal du sage, c’est que son bonheur ne dépende pas des situations extérieures, mais vienne d’une dynamique intérieure, comme si le sage pouvait avoir une source interne de vie et de bonheur qui est indépendante de ce qu’il subit. Car les événements ne dépendent pas de nous, et il est dangereux de faire dépendre son bonheur de situations hasardeuses et incontrôlables. Heureux donc celui qui parvient à être trouver son bonheur et son équilibre dans toute situation. Et le croyant peut cela parce qu’il n’est pas seul. Sa ressource, c’est la présence de l’Eternel, c’est l’amour qui le lie à son Dieu. Avec Dieu, on peut se réjouir même dans la difficulté, parce que lui seul justement ne dépend pas du monde.Une autre façon de lire est d’entendre cela non pas comme une constatation, mais comme une vocation : le croyant est invité à être comme une belle fleur dans monde aride, obscur, et souvent laid et moche... Nous sommes appelés à être dans ce monde aride comme de jolies fleurs, avoir le courage de rester beau, même au milieu d’un monde moche. C’est là une mission du croyant et aussi son honneur, sa gloire.
Même pour les choses simples, cela n’est pas facile, c’est rester honnête au milieu d’un milieu corrompu, généreux dans mode égoïste, spirituel dans monde matérialiste. Parvenir à ne pas se laisser contaminer par le monde, mais avoir le courage de maintenir sa différence. Le chrétien est appelé à être une jolie fleur dans mode obscur.
Cela est essentiel, parce que cela montre le projet de Dieu pour la création. On peut espérer que le monde progresse, mais pense-t-on vraiment qu’un jour il puisse parvenir à son but d’être une image du Royaume de Dieu ? Non certainement, mais cela ne veut pas dire que la création soit condamnée à l’échec, parce que l’important, ce n’est pas que tout le monde devienne beau, mais que dans ce monde fleurisse des beautés de fleurs de transcendance, d’amour de tendresse, de gentillesse, de partage et de grâce. Pour cela il faut que les chrétiens aient le courage d’assumer leur différence par rapport au monde. Cela on le retrouve par exemple dans Paul quand il dit : « ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence afin que vous discerniez ce qui est bon, agréable et parfait » (Rom. 12:2), ou encore dans l’Evangile quand Jésus dit : « vous êtes le sel de la terre... vous êtes la lumière du monde » et « que votre lumière brille dans les ténèbres » (Matt. 5:16) Voilà ce que Dieu attend, qu’il y ait dans ce monde des lumières qui brillent. Pas nécessairement que le monde entier soit lumière, mais qu’il y ait des lumières qui donnent sens au monde, c’est la vocation du croyant.
C’est aussi notre vocation à la sainteté, puisque « saint » dans la Bible ne veut pas dire « parfait », mais « mis à part », celui qui veut être différent du monde en se consacrant à Dieu.Et plus précisément le texte continue en disant : « comme le lys parmi les épines ». Là l’image est simple : un lys, c’est une fleur qui ne donne que du bon et du beau, alors que les épines ne font que du mal. Le croyant est invité à être, dans ce monde d’agressivité et de violence, comme une fleur sans agressivité et sans violence. Comme le Christ qui ne se débat pas lors de son arrestation, et qui empêche Pierre d’utiliser une arme en lui disant « remets ton épée dans son fourreau ». Le chrétien est appelé à vivre ainsi dans une logique qui est autre que celle du monde.
Mais cette image est difficile, parce que cela semble bien difficile à nous. Peut-on prétendre à rester toujours pur, sans agressivité sans violence, et à rester toujours beau, doux et bon ? On peut vouloir ou essayer d’être parfait dans un monde mauvais, mais si c’est ce que nous devrions faire, comment Dieu pourrait-il nous aimer ?
Là vient la tradition juive qui ,encore une fois, offre une très belle solution. Le mot hébreu traduit pas « lys » désigne certes une fleur, mais on ne sait pas laquelle vraiment. La tradition juive dit que c’est en fait une rose. C’est intéressant parce qu’une rose, c’est beau, mais cela a aussi des épines, et c’est donc beaucoup plus réaliste par rapport à ce que nous pouvons être, parce que la rose pique, comme moi j’aurai toujours malgré ma bonne volonté aussi de la violence, de l’agressivité ou de la méchanceté, et que je fais malgré moi du mal aux autres, même à ceux qui veulent m’embrasser. Mais on pardonne à la rose ses épines parce qu’il y a en elle du beau et du bon. Dieu nous aime ainsi, malgré tout notre péché, s’il y a quelque chose de beau en nous, Dieu sauve toute notre vie. Dieu ne demande pas à l’homme de n’avoir aucune épine, ce qu’il demande, c’est qu’au milieu de nos épines, il y ait au moins un peu d’amour qui fleurisse.
Dieu a une mémoire sélective, il ne garde que le meilleur et oublie le reste, mais notre vie, elle, reste dans l’ambiguïté : un mélange de générosité et d’égoïsme, d’espérance joyeuse et de deuil, de douceur et de violence, il faut assumer le tout, mais ce qui fait le sens de la rose, c’est le beau et le bon, le reste est oublié.Et puis ce lys dans les profondeurs de l’obscurité, cette fragile beauté dans l’aridité d’un monde brutal, c’est tout ce que Dieu aime parce que ça change le monde, ça donne du sens au monde. Une seule fleur de tendresse ou d’amour qui fleurit dans le monde suffit à justifier le monde. Et suffirait à dire que le projet de Dieu de créer un monde n’a pas été vain. Et une rose c’est beau aussi parce que c’est peu de chose, le monde n’est pas justifié forcément par les grandes choses, mais par des petites. Le croyant n’est pas justifié s’il parvenait à être comme un Taj Mahal au milieu du désert. Moi, ma vie n’est pas un Taj Mahal, pas une merveille spectaculaire du monde. Mais il lui suffit d’être comme une petite rose et c’est elle que Dieu recueille. Une seule fleur annihile le désert parce que la vie en est victorieuse.
Et Dieu est un moissonneur de fleurs, il garde dans son cœur dans sa mémoire divine et éternelle souvenir de tout le beau, l’amour, la grâce qui a fleurit dans chaque vie et dans tout le monde.Et encore autre chose, il y a une difficulté dans notre court passage, c’est de savoir qui parle au premier verset. Nous avons en effet au départ : « Moi je suis le narcisse, le lys dans la vallée », puis c’est bien Dieu qui dit : « ma bien-aimée est comme un lys parmi les épines ». Habituellement, les commentateurs pensent qu’il y a un changement de sujet : c’est la bien-aimée qui dit au départ : « je suis un lys... » et ensuite l’époux confirme : « tu es bien un lys ». Mais on peut penser qu’il n’y a pas de changement de sujet que c’est toujours Dieu qui parle de sa création, et c’est beaucoup plus intéressant. D’abord parce qu’on évite ainsi une redite qui n’ajoute rien, et parce que cela nous apprend quelque chose de Dieu et de notre relation à lui.
C’est parce que Dieu est le lys dans la vallée que nous pouvons être comme lui lys parmi les épines. Avant de se penser soi-même, il faut penser Dieu, et nous ne devenons vraiment que ce en quoi nous croyons. Nous devenons plus ou moins à l’image du Dieu que nous avons.
Et l’homme peut devenir une source de joie dans les épines du monde, parce que pour lui Dieu est une source de joie dans ses vallées obscures. Je peux devenir tout ce que Dieu attend de moi et que nous avons évoqué, parce que pour moi Dieu est lumière dans ma ténèbre, parce que Dieu est comme la joie dans mon deuil, une force dans ma faiblesse, un amour dans la solitude, une espérance dans le désespoir. Dieu est pour moi quelle que soit ma vie une source d’espérance de paix, d’amour, de lumière et de beauté.
Il y a une sorte de contamination positive où l’homme peut apporter au monde ce qu’il reçoit lui-même de Dieu. Et c’est quelque chose de constant dans toute l’Ecriture, Dieu est pour nous lumière (Ps 27) et le croyant est invité à devenir lumière pour le monde (Matt. 5 :13-16).
Ce qui est en Dieu est transmis au croyant, et le stade ultime est l’union parfaite entre Dieu et le croyant : « Père saint, garde en ton nom ceux que tu m’as donnés, afin qu’ls soeint un avec toi comme nous nous sommes un » (Jean 17 :11)
Le croyant peut devenir pour le monde ce que Dieu est pour lui, et donner aux autres ce qu’il attend de Dieu. Mais la mission du croyant n’est possible que si la grâce est première et si Dieu lui offre tout en premier ce qu’il est invité lui-même à être.
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Cantique des Cantiques 2:1-2
Je suis un narcisse de Saron,
Un lis des vallées.
Comme un lis au milieu des épines,
Telle est mon amie parmi les jeunes filles.