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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Dieu est sa Parole qui est lumière

Prédication prononcée le 23 décembre 2013, au temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

Le prologue de l’Evangile de Jean est bien poétique, mais il est à peu près incompréhensible tel qu’il nous est donné par toutes les traductions : « au commencement était la parole, et la parole était auprès de Dieu, et la parole était Dieu » Certaines traductions mettent « tournées vers Dieu », ce qui n’est pas plus clair, comment la parole de Dieu pourrait-elle être à la fois «auprès » de Dieu et Dieu lui-même, c’est inassimilable. Or il semble que la préposition là présente (« pros » en grec) puisse être traduite comme elle l’est ailleurs par une notion d’appartenance : « la parole était celle de Dieu », ou « à Dieu ». Alors les choses sont cohérentes, et on peut enfin travailler sur ce texte intelligemment. Et on peut voir que par delà son aspect poétique, par delà la réminiscence de la Genèse que tout le monde y  voit, se trouve l’expression d’une théologie incroyablement audacieuse et moderne.

« Au commencement était la Parole, et cette parole était celle de Dieu », certes, la Genèse nous montre que Dieu crée par sa parole. La parole de Dieu est donc son propre acte créateur, et vient l’affirmation audacieuse de Jean : « et cette parole était Dieu lui-même ».

Cela veut dire que Dieu est son propre acte créateur, ou plutôt que l’acte créateur, c’est Dieu. La création n’est pas la conséquence de l’essence d’un Dieu immobile, mais Dieu est cet acte créateur même.

Cela s’oppose évidemment à la conception voltairienne du Dieu horloger qui est la quintessence du déisme. Voltaire disait : « Ce monde m'embarrasse et je ne puis songer que cette horloge existe et n'ait pas d'horloger ». Voltaire fait deux erreurs : la première, c’est de ne voir Dieu comme créateur que dans le commencement, alors que le plus important est que Dieu soit encore créateur, et que la création soit en cours, sous l’action d’un Dieu agissant. Et l’autre, plus subtile, c’est qu’il part d’une vision enfantine d’un Dieu qui serait comme un artisan extérieur à son œuvre.

Or Jean ne voit pas Dieu comme une réalité agissant par une action extérieure à lui, il dit que cet action créatrice, c’est Dieu lui-même, ou plutôt que Dieu est le dynamisme créateur de l’Univers. Dieu n’est pas l’horloger, il est le mouvement même de l’horloge.

Ainsi, l’univers est en évolution, donc il existe un acte créateur dans le monde, et cela n’a pas nécessairement à voir avec un éventuel commencement, c’est un processus. Il ne faut donc pas se demander s’il existe quelque cause de cet acte créateur et qui en soit distinct, il y a une évolution, une création qui est un apport d’information, et c’est cette information que Jean appelle la « parole », et c’est cela même qui est Dieu.

On n’est ainsi pas non plus, dans la conception de Thomas d’Aquin concernant Dieu qui le montre dans ses cinq preuves de l’existence de Dieu comme le premier moteur immobile.
Et la question même de l’existence et de la non existence de Dieu devient obsolète : Dieu n’est pas un objet, pas un être, c’est un mouvement, un processus. Or certes le monde est en genèse, il est en évolution, il a donc un dynamisme créateur interne et c’est cela que, à la suite de Jean, nous pouvons appeler Dieu.

Cela est révolutionnaire, et change toute la conception que l’on peut avoir de Dieu, de son existence ou de sa non existence. Dieu, en effet, n’est pas hétérogène au monde, en pouvant ou non agir dessus, Dieu fait partie du processus d’évolution, il est dynamique. La question même de l’existence et de la non existence de Dieu devient obsolète : Dieu n’est pas un objet, pas un être, c’est un mouvement, un processus. Or certes le monde est en genèse, il est en évolution, il a donc un dynamisme créateur interne et c’est cela que, à la suite de Jean, nous pouvons appeler Dieu.

Cela va dans le sens des affirmations d’un courant théologique américain des années 1980 appelé la « Théologie du Process », il disait que l’essentiel, c’est le processus, le changement, et que c’est à partir de là qu’il faut comprendre le monde et Dieu lui-même qui est « process » et dynamisme créateur.

Cette idée d’ailleurs n’est pas neuve, dès l’antiquité, il y avait opposition entre Héraclite et Parménide. Parménide affirmait que l’essentiel était l’être, réalité fondamentale immobile à la base de tout. Cela a donné ce qu’on appelle l’onto-théologie présentant Dieu comme l’Etre, immuable, éternel, absolu et tout puissant. à l’opposé trouve-t-on un Héraclite qui disait que l’essentiel n’est pas l’immobile, mais le changement, l’évolution. Il disait (en grec) « Panta rei», c’est-à-dire « tout coule », et on ne se baigne jamais deux fois dans la même rivière, parce que la rivière a changé... et soi aussi.

Et tout cela n’est pas que des ratiocinations intellectuelles, il en découle toute une conception de notre existence et de ce que l’on peut attendre de Dieu et de la vie.

S’il en est ainsi en effet, alors on ne peut pas considérer sa vie comme un bien à conserver, à faire perdurer, à protéger, mais comme une réalité en mouvement, on ne peut pas rester figé sur le passé, ou essayer de garder ce qui est, mais il faut aller de l’avant, avancer vers la nouveauté.

Et si la religion est au service de cette réalité, alors elle ne devrait pas être là pour faire perdurer une forme, mais pour aider les gens à aller de l’avant, à évoluer. Il y a là un antidote essentiel contre le traditionnalisme. On le voit en particulier dans le rapport du Christ avec les Pharisiens. Ceux-ci pensaient que Dieu avait parlé du temps de Moïse, donnant la loi, puis encore un peu par les prophètes, mais qu’après eux la parole avait cessé. Ils imposaient alors une religion qui n’était que la répétition de rites et de traditions fixées et immobiles. Mais Jésus lui montre que l’on peut être libre par rapport aux traditions, parce que Dieu peut être encore à l’œuvre dans la vie de chacun apportant du neuf et permettant à chacun d’être une « nouvelle créature ».

Lors de la Réforme, l’Eglise Réformée a suivi ce chemin en prenant pour mot d’ordre : «Ecclesia reformata, semper reformanda», donc une Eglise devant être toujours en réforme et à réformer, une Eglise ne mouvement, s’adaptant et cherchant des voies nouvelles .

Et Jean va encore plus loin par une seconde identité : si Dieu est sa propre parole créatrice, celle ci est aussi lumière.

Or il y a là une sorte de paradoxe : normalement la lumière et la parole sont opposées : la lumière, c’est la liberté, l’ouverture, le choix, alors que la parole semble être une injonction, une loi, et imposer l’obéissance.

Mais justement, Jean explicite là le mode de fonctionnement de cette parole créatrice de Dieu: c’est une parole qui n’impose rien. Elle est comme une lumière dans la nuit qui rassure réjouit, oriente certes, mais plus en indiquant qu’en imposant, elle permet de se diriger, d’avoir un repère. Jean opérant cet écrasement entre Parole et lumière nous montre la fonction de la parole de Dieu, qui est d’éclairer, de faire voir plus loin. C’est une Parole qui ouvre des voies, fait voir des réalités, un aspect des choses, des issues, des solutions qu’on n’envisageait même pas. Ce n’est pas une parole qui restreint le réel, mais qui l’ouvre, qui crée du neuf.

Ainsi évite-t-on un deuxième écueil, le premier était le traditionalisme, le second est le fondamentalisme : la parole créatrice n’est pas une parole contraignante imposant une morale, une vérité ou une doctrine, elle n’est même pas figée, elle est comme une lumière qui ouvre des horizons et permet le libre choix. C’est même une parole qui sans doute nous déstabilise pour nous forcer à avancer, à chercher autre chose, elle crée un espace devant nous nous permettant d’avancer avec une vraie liberté. Elle sape nos certitudes comme on creuse devant la roue d’une voiture qui patine pour la remettre en mouvement. Ainsi Jésus, quand il guérit un aveugle, lui donne la lumière, mais il ne lui impose rien, il ne lui donne pas de chemin à suivre, il lui donne la lumière faisant de lui un être neuf, dans la liberté.

La religion en nous doit nous ouvrir des portes, pas nous enfermer dans l’obéissance ou les interdictions, elle doit instruire, ouvrir les yeux, être audacieuse, prendre le risque de la liberté.
La religion, ou notre foi doit avant tout être inventive : nous aider à trouver du neuf, quelque chose que nous ne pouvions pas deviner, ni déduire de notre passé, nous ouvrir sur une vie nouvelle et un futur qui est en train de s’inventer.

Or notre tendance naturelle, c’est de vouloir nous accrocher à l’immobilité, de vouloir que les choses restent comme elles sont, de refuser le temps et la dimension dynamique de la vie, nous voudrions que  surtout rien ne change. Mais ce serait là une négation grave de la foi dans un Dieu créateur qui est le changement lui-même. Croire dans ce Dieu dynamique, c’est croire que la vie elle-même est dynamique, et que le changement, loin d’être un problème est une chance, une possibilité d’avancer vers une vie nouvelle. Ce que nous appelons des «épreuves » dans notre vie sont en fait des événements inattendus qui empêchent que les choses restent comme elles sont. Or si Dieu peut nous aider dans ces épreuves, ce n’est pas en nous permettant de revenir en arrière, ni d’accepter de se contenter des restes d’une vie ancienne amputée par ce que l’épreuve a retiré, mais c’est en nous montrant qu’une voie nouvelle peut s’ouvrir devant nous. Avec son esprit créateur, nous pouvons inventer une nouvelle manière d’être.

Cela nous rapproche du concept de « nouvelle créature » : la création n’est pas finie. Dieu peut encore faire en nous bien des choses : un neuf insoupçonnable peut sortir de l’ancien, de l’abîme de notre vieillesse sclérosée peut surgir, avec son esprit une vie nouvelle toute différente, et peut être encore meilleure que la précédente.

Et cette puissance créatrice, s’est incarnée en Jésus. Nous l’avons par l’Évangile, et là, Dieu est encore à l’œuvre... Noël est là pour nous rappeler que cette parole créatrice de vie et de lumière se rend pré- sente dans notre monde, et peut naître dans nos vies, même quand elles nous semblent les plus sombres et les plus froides.

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Jean 1:1-14

Au commencement était la Parole, et la Parole était celle de Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement celle de Dieu. Tout a été fait par elle, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas accueillie...

C'était la véritable lumière qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme. Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l'a pas connue.

Elle est venue chez les siens, et les siens ne l'ont pas reçue ; mais à tous ceux qui l'ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom et qui sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu.

La Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme celle du Fils unique venu du Père....

Personne n'a jamais vu Dieu, le Fils unique, qui est dans le sein du Père, lui, l'a fait connaître.

Jean 1:1-14