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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Le Magnificat: soyez heureux !

Prédication prononcée le 1er décembre 2013, au temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

 Le Magnificat, c’est cette louange faite par Marie après l’Annonciation, et avant la naissance de Jésus, pendant sa grossesse donc. On l’aime bien parce que c’est sympathique, mais à première lecture on peut avoir du mal à trouver un intérêt réel pour ce patchwork de passages de l’Ancien Testament.

Pourtant, il s’y trouve une vraie leçon de théologie et là se trouve peut-être l’essentiel de l’Evangile.

La première chose, un peu évidente, mais qu’il est bon de rappeler, est que Marie a une théologie forte de la grâce : elle loue le Seigneur parce qu’il lui a offert sa grâce sans condition. C’est donc Dieu qui a l’initiative, et contrairement à ce que l’on entend encore trop souvent, même dans nos temples, le don de la grâce de Dieu, de son pardon de son amour n’est pas conditionné à la foi, fut-elle en Jésus-Christ, elle est un principe premier de la part de Dieu, et c’est parce que nous avons reçus la grâce que nous pouvons l’adorer.

Ensuite on voit rapidement que les choses sont plus complexes qu’elles paraissent. En particulier dans la première affirmation : « mon âme magnifie le Seigneur » c’est-à-dire : « mon âme rend grand le Seigneur ». La question c’est : comment peut-on rendre grand celui qui est déjà le plus grand, comment magnifier le magnifique, hausser celui qui est le très haut ? A priori, c’est impossible.

Les théologiens de l’antiquité se sont posé cette question depuis longtemps, et Origène d’Alexandrie par exemple dit qu’il y a deux solutions possibles.

La première, c’est de dire qu’il ne s’agit pas de grandir Dieu, mais l’image que l’on a de lui. En effet, Marie ne décrit pas l’état dans lequel elle est, elle ne dit pas : « Dieu est grand », mais plutôt : « que mon âme le grandisse ». Elle indique ce qu’elle veut faire, et ce que nous sommes invités à faire à son exemple. Dans le Magnificat, nous n’assistons pas passivement au bonheur d’une jeune fille vierge, il nous y est donné une leçon de bonheur et de vie, il indique une démarche active qui est même comme un devoir. Ce qu’il convient donc, c’est d’grandir l’idée que nous avons de Dieu, et de ne pas le considérer comme une chose mineure.

C’est également ce que nous avons dans la demande du Notre Père : « Que ton nom soit sanctifié » Comment rendre saint celui qui est le summum de la sainteté ? La réponse est qu’en fait, ce dont il s’agit, c’est de sanctifier l’idée que nous avons de Dieu, lui donner la place sainte qu’il mérite dans notre vie. C’est la relation que nous avons à lui qui doit être revalorisée. Dans notre vie, il y a plein de préoccupations, de soucis, il faut que celle de Dieu devienne la plus grande.

La deuxième solution, c’est de penser qu’il faut que Dieu grandisse lui-même, mais dans notre âme, en effet, Dieu, c’est plus qu’une idée, c’est une réalité présente dans notre existence, qui est source de joie, de bonheur et de vie, et on peut désirer faire grandir cette réalité dans son cœur. Que Dieu grandisse dans notre vie, comme une réalité qui finisse par prendre de plus en plus de place.

En fait, et ce n’est certainement pas un hasard, cette démarche, de faire grandir Dieu en soi correspond précisément à ce que représente la grossesse de Marie au moment du Magnificat. Ce dont il est question, ce n’est pas une grossesse physique, mais que nous puissions imiter spirituellement Marie qui accepté que le saint Esprit vienne habiter en elle et qu’il féconde son existence, afin qu’une vie nouvelle germe en elle, grandisse et devienne une réalité christique. Et justement, nous aussi, nous pouvons laisser le saint Esprit féconder nos existences pour que nous puissions être gros du saint Esprit et enfanter le Christ. Et cela ne se fait pas d’un coup, c’est quelque chose qui grandit progressivement. Au départ, ce n’est qu’un germe, puis cela devient une réalité. Et comme pour la femme enceinte, cette réalité nouvelle de la présence de Dieu dans sa vie, c’est au départ une joie intime, personnelle, presque égoïste, mais vient un jour où on ne peut garder pour soi cette vie nouvelle et on l’offre au monde, il faut que cette joie rayonne pour les autres.

Le Christ donnera plusieurs paraboles allant dans ce sens, comme celle du grain de moutarde, montrant la présence de Dieu dans une vie comme la plus petite des graines, mais qui peut grandir et donner finalement une vie nouvelle pouvant même accueillir les oiseaux du Ciel, c’est-à-dire l’Esprit lui-même.

Donc voilà la première leçon de Marie : se remplir de la puissance de vie et de joie qui est Dieu, faire grandir Dieu dans son âme, dans sa vie, afin de pouvoir un jour en offrir au monde.Mais ce n’est pas tout, et il y a un deuxième secret dans le Magnificat, plus original, moins évident, mais tout aussi important. Ce secret de vie, il se trouve dans la deuxième affirmation : « mon esprit se réjouit en Dieu, mon sauveur ». Là aussi, il ne s’agit pas d’une constatation. Ce n’est pas pour dire : « tiens, je suis heureuse, toute gaite »... mais d’une démarche volontaire, d’un principe de vie, d’un choix d’existence. Marie choisit, par principe, de se réjouir, alors que ça ne va pas de soi. Sa situation n’est pas toute rose. Pour elle, devenir mère sans époux est être condamnée à la marginalité et la mendicité, au rejet de la société, et elle a beau dire ensuite que Dieu s’occupe très bien de son peuple, on peut penser le contraire, elle est dans un pays en guerre, occupé très violemment par les romains, dire que tout va bien n’est pas une constatation, mais un angle de vue volontairement choisi.
Là Marie encore est exemplaire par sa volonté de voir le positif et de rendre grâces quelle que soit la situation. Cela est d’ailleurs demandé au croyant, comme dans le Psaume 103 : « mon âme béni l’Eternel et n’oublie aucun de ses bienfaits ». De toute façon il y a des bienfaits de Dieu dans notre vie, il y a aussi de la souffrance et de l’épreuve, mais Dieu nous demande de regarder les bienfaits, et pas le reste.

Marie choisit ainsi de rendre grâces plutôt que de se lamenter, elle opte pour le bonheur par choix personnel.

Ainsi Paul dit-il dans un commandement compliqué : « soyez toujours joyeux » (1 Thess. 5:16). (C’est le verset le plus court de toute la Bible en grec : « pantote chairete » ). Ce commandement est curieux, parce que nous avons l’impression que le bonheur, il ne dépend pas de nous, mais qu’il est un effet de ce que nous subissons, des chances que nous avons. Paul, là radicalement montre le bonheur comme un acte de volonté, un choix, une option de vouloir voir simplement les choses du bon côté et de s’en réjouir. C’est si important que Paul dit même que c’est là la volonté du Christ à notre égard.

Paul reviendra même plusieurs fois là dessus : « Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur; je le répète, réjouissez-vous ».  (Phil. 4:4), et encore : « Au reste, mes frères, réjouissez-vous dans le Seigneur. Je ne me lasse point de vous écrire les mêmes choses, et pour vous cela est salutaire. » (Phil. 3:1). Nous retrouvons là le mode d’emploi essentiel de la vie chrétienne, comme le dit Marie : se réjouir dans le Seigneur, trouver sa joie en Dieu le sauveur.

Ainsi donc, la vie chrétienne réside en deux points principaux : faire grandir Dieu en soi... et se réjouir en Dieu.

Le second point n’est pas sans importance, en effet, Dieu ne grandit que dans le terreau de la joie, pas dans celui de l’aigreur, du ressentiment, de la culpabilité, du remords ou de l’acrimonie. Il faut accepter d’être heureux, d’être libéré, d’être pardonné, d’être sous la grâce. C’est le point de départ pour une construction de vie positive.

Dans le Magnificat, Marie montre son état d’esprit : « Je suis heureuse », et plutôt : « j’ai décidé d’être heureuse ». De là, pourra naître le Seigneur, pas de la tristesse.

La tristesse c’est un péché capital : on l’appelait au moyen-âge l’acédie que l’on a traduit parfois par « paresse ». Les pères de l’Eglise disaient que la tristesse était une « maladie de l’âme ». C’est difficile à comprendre mais pourtant vrai. La tristesse, c’est un poison qui tue et qui tue les autres, une offense à la vie, un barrage à l’amour. Un refus de la grâce. La tristesse, la négativité, ça ne fait que du mal, c’est nocif, nuisible, c’est un poison, c’est une offense à l’espérance, un manque de foi, un tue l’amour, de moi vers les autres, et des autres vers moi. Ne pas choisir le bonheur, c’est ne pas choisir la vie, parce que nous sommes programmés pour le bonheur.

Cela dit, il faut nuancer. Il ne s’agit pas là de ceux qui sont frappés par une épreuve, et qui, momentanément peuvent être dans le désarroi. Leur tristesse est là un état transitoire, pas un état permanent, il normal d’avoir une dépression dans un deuil quelque que soit sa forme, mais cela ne touche pas le fond de l’être. Il ne s’agit pas non plus de viser ceux qui souffrent de dépression. Tout ne dépend pas toujours de la volonté, et la dépression peut être une sorte d’état pathologique qui n’a rien à voir avec l’âme, la foi ou l’espérance. Alors il y a nécessité de traiter, la volonté ou la prière ne peuvent pas tout guérir, il faut accepter de se faire aider par une forme de thérapie.

Et puis il faut bien dire qu’on n’y arrive jamais parfaitement, comme le dit Paul, « je suis à même de vouloir le bien, mais pas de l’accomplir ». Je peux donc vouloir choisir le bonheur, mais avoir du mal à m’y tenir. Certes, mais ce n’est pas une raison pour ne pas essayer, ni pour renoncer à son idéal, et en tout cas de ne pas chercher à progresser dans ce sens.
Mais ce à quoi il faut tendre, c’est gaité. C’est un devoir, ou plutôt un mode de vie. C’est de vouloir chercher à voir le bien et non le mal, de considérer le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Tout autour de nous est un mélange de positif et de négatif, chacun est aussi comme ça, et chaque événement est aussi du même type. L’idée, c’est de se nourrir du bien et de laisser de côté le mal. C’est d’ailleurs ce que dit Paul dans cette même épître aux Thessaloniciens et au même endroit : « Examinez toute chose et retenez ce qui est bon ». Ce n’est pas à interpréter comme par rapport à des doctrines, mais par rapport aux événements de la vie, et de même : « ne rendez pas le mal pour le mal, mais recherchez ce qui est bien ». Là encore il ne s’agit pas d’un petit conseil de morale, mais d’un chemin de vie : ne pas rester dans la négativité, mais aller vers le bien. Et il dit encore : « rendez grâces en toute chose », c’est parce que dans chaque chose on doit chercher le bien, ce pourquoi on pourrait rendre grâces.

Dieu d’ailleurs, agit ainsi avec nous, il garde le bien et oublie le mal. Il garde dans son grenier les bons grains, et la mauvaise herbe, il la jette à au feu, le mal, il ne le garde pas, il est jeté à la décharge publique de Jérusalem qui s’appelait la Géhenne. Et nous, nous sommes invités à faire de même.

Et cette démarche, elle est essentielle, c’est même le fondement de l’amour : aimer, c’est regarder le positif, et non le négatif. Dans toute personne il y a du bien et du mal, aimer, c’est un choix de vie, vouloir ne pas tenir compte du mal.

C’est aussi le sens du pardon : pardonner, c’est accepter de ne pas garder en compte l’offense, c’est effacer la dette. Et c’est essentiel, sinon, on reste soi-même sous la puissance maléfique du mal qui a été fait. Pardonner, c’est désamorcer la puissance du mal en choisissant de ne pas en tenir compte. C’est refuser de se laisser rendre malheureux par le mal subit.

Et le bonheur, on en parle, on essaye de trouver quel est le chemin du bonheur, en fait, il n’y a pas de chemin, c’est juste un choix de vie. Choisir d’être heureux, plutôt que malheureux, choisir d’être content de ce que l’on a plutôt que de toujours désirer plus, se suffire de ce que l’on possède, s’accepter comme on est, et juste se nourrir des joies que l’on a.

Et même si on n’a pas beaucoup de joies terrestres, ou si on a peu de plaisirs dans la vie, au moins on peut se réjouir dans le Seigneur. Parce que en lui il y a plein de causes de bonheur. En lui nous sommes aimés, en lui nous sommes sauvés, pardonnés, en lui nous avons l’espérance, la richesse, la paix, l’abondance. Donc déjà, quoi qu’il arrive, nous pouvons vivre de la grâce. Accepter de ne pas être coupables et d’être aimés.

On reproche aux liturgies de rabâcher la grâce, le salut et le pardon. Mais pourtant, de quoi avons nous besoin d’autre ? Et si Dieu nous offre tous ces cadeaux et que nous ne les voulons pas que pourra-t-il faire pour nous ? C’est en ce sens que l’acédie est un péché, c’est le refus de la grâce. Si Dieu me pardonne, je dois me sentir pardonné, s’il me donne quelque chose dans sa grâce, la moindre des choses, c’est de l’accepter avec simplicité et d’en faire ma joie.

Etre malheureux, c’est une offense à Dieu, c’est un manque de foi. Manque de foi en Dieu qui donne toute chose, et par rapport à qui on devrait dire : « sa grâce me suffit ». Donc en Dieu j’ai tout ce qu’il me faut, il ne me manque rien. Donc je suis heureux. Et je crois aussi qu’il y a en Dieu une puissance de bonheur réelle qui peut me transformer et me rendre heureux.
C’est pour ça qu’il faut qu’il grandisse en nous, pour qu’il soit de plus en plus une source de joie.

Mais il est vrai que cela non plus n’est pas toujours facile. Alors il reste une ressource essentielle. Elle se trouve dans le deuxième verset le plus court de la Bible en grec : (deux mots aussi), et qui est le suivant du précédent : « priez sans cesse ». La prière, c’est justement apprendre à se tourner vers Dieu qui n’est que source de joie et de vie, c’est lui demander son aide et l’accueillir en nous pour qu’il grandisse et fasse sa demeure en nous.
Et si nous lui laissons de la place, alors il viendra nous donner la vie, et le bonheur, même si notre vie est faible et pauvre, il nous dit chaque jour comme il l’a dit à Paul : « ma grâce te suffit... car ma force s’accomplit dans ta faiblesse... ».  Marie n’était pas puissante, ni riche, elle n’était pas un exemple de piété, mais elle a choisi d’accueillir l’Esprit de Dieu dans sa vie, elle a dit « oui » à Dieu , « oui » à la vie, et « oui » au bonheur et à la joie. Heureux celui qui suit son chemin.

Luc 1:46-55

Et Marie dit : Mon âme exalte le Seigneur
Et mon esprit a de l'allégresse en Dieu, mon Sauveur,
Parce qu'il a jeté les yeux sur la bassesse de sa servante. Car voici: désormais toutes les générations me diront bienheureuse.
Parce que le Puissant a fait pour moi de grandes choses. Son nom est saint,
Et sa miséricorde s'étend d'âge en âgeSur ceux qui le craignent
Il a déployé la force de son bras ; Il a dispersé ceux qui avaient dans le cœur des pensées orgueilleuses,
Il a fait descendre les puissants de leurs trônes, Élevé les humbles,
Rassasié de biens les affamés, Renvoyé à vide les riches.
Il a secouru Israël, son serviteur, Et s'est souvenu de sa miséricorde,
— comme il l'avait dit à nos pères —, envers Abraham et sa descendance pour toujours.

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1Thess. 5:14-22

Nous vous y exhortons, frères : avertissez ceux qui vivent dans le désordre, consolez ceux qui sont abattus, supportez les faibles, usez de patience envers tous. Prenez garde que personne ne rende le mal pour le mal ; mais recherchez toujours le bien, soit entre vous, soit envers tous.

Soyez toujours joyeux.

Priez sans cesse.

En toute circonstance, rendez grâces ; car telle est à votre égard la volonté de Dieu en Christ-Jésus.

N'éteignez pas l'Esprit ; ne méprisez pas les prophéties ; mais examinez toutes choses, retenez ce qui est bon ; abstenez-vous du mal sous toutes ses formes.

Que le Dieu de paix vous sanctifie lui-même tout entiers ; que tout votre être, l'esprit, l'âme et le corps, soit conservé sans reproche à la venue de notre Seigneur Jésus-Christ !

Psaume 30

Je t'exalte, Éternel
Tu m'as relevé !
Tu m'épargnes les rires de l'ennemi !
Quand j'ai crié vers toi, Éternel,
Mon Dieu, tu m'as guéri !
Éternel, tu m'as fait remonter de l'abîme
et revivre quand je descendais à la fosse
Fêtez L'Éternel, vous ses fidèles
Rendez grâce en rappelant Son Nom très Saint !
Sa colère ne dure qu'un instant
Sa bonté, toute la vie
avec le soir viennent les larmes
mais au matin, les cris de joie !
Dans mon bonheur, je disais
Rien, jamais ne m'ébranlera !
Dans ta bonté, Éternel, tu m'avais fortifié
sur ma puissante montagne
Pourtant tu m'as caché Ta Face
et je fus épouvanté !
Et j'ai crié vers toi, Éternel
j'ai supplié mon Dieu
" A quoi te servirait mon sang
si je descendais dans la tombe ?
La poussière peut-elle te rendre grâce
et proclamer ta fidélité ?
Écoute, Éternel, pitié pour moi !
Seigneur, viens à mon aide ! "
Tu as changé mon deuil en une danse
mes habits funèbres en parure de joie !
Que mon cœur ne se taise pas
qu'il soit en fête pour toi
et que sans fin, Éternel, mon Dieu
je te rende grâce !

I Thess. 5:14-22, Ps. 30