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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Zachée

Prédication prononcée le 16 novembre 2003, au temple de l'Étoile à Paris,

par le Pasteur Louis Pernot

(Évangile selon Luc, chapitre 19:1-10)

L'histoire de Zachée plait d'habitude beaucoup aux enfants, parce qu'ils s'identifient facilement à cet homme petit qui s'élève et qui rencontre le Christ. Or ce texte est par ailleurs essentiel : il nous montre quelqu'un à qui Jésus dit qu'il est sauvé. Or ce n'est pas si souvent que Jésus dit une chose pareille. Nous pouvons donc essayer de chercher pourquoi Jésus a pu dire à Zachée que la salut était arrivé sur sa maison, qu'a-t-il fait pour ça ?

On peut être tenté de chercher la solution dans les paroles mêmes de Zachée : « je donne aux pauvres la moitié de mes biens, et, si j'ai fait tort de quelque chose à quelqu'un, je lui rends le quadruple » est-ce donc par ses oeuvres que Zachée est sauvé ?

Non. La preuve, c'est que Jésus lui dit qu'il est sauvé, c'est vrai, mais ajoute aussi tôt : le fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. Ainsi la conclusion même du récit est que le salut est offert par grâce et non par mérite. On doit donc penser que le Christ écoute avec patience et mansuétude Zachée lui faisant l'énumération de ses bonnes oeuvres, mais en fait, il n'en tient pas compte, il considère plutôt que Zachée, comme nous tous, est par nature condamnable et perdu... et néanmoins il lui donne le salut.

Si ce n'est pas dans ses mérites qu'il faut trouver ce qui fera accéder Zachée au salut, alors on ne peut que le chercher dans sa démarche-même pour rencontrer le Christ, rencontre libératrice qui fait que finalement le Christ viendra habiter chez lui et que le Christ lui déclarera que le salut est arrivé sur lui et sur sa maison. Il faut donc reprendre le texte très en détail, ligne à ligne, et essayer de comprendre ce qui se passe.

Tout d'abord, le texte dit que l'histoire se passe dans un lieu précis : Jéricho. Or Jéricho, c'est la ville qui s'était opposée à l'entrée du Peuple élu dans la Terre promise. Elle représente l'opposition à la promesse, elle est le symbole-même du mal et du refus de Dieu. Ensuite, il nous est dit qu'il était le chef des publicains, c'est-à-dire des péagers, de ceux qui collaboraient avec l'ennemi et prenaient l'argent du peuple pour leur propre profit. Et enfin l'on nous dit qu'il était riche, voilà encore une autre difficulté pour accueillir l'Évangile... Oui, Zachée était bien mauvais dans son rôle d'humain. Pourtant, on nous dit que cet homme s'appelait « Zachée ». Quel intérêt ?. L'intérêt est grand, car « Zachée » veut dire, en hébreu : « celui qui est juste », « celui qui est pur ». Or, dans la Bible, le nom de quelqu'un désigne sa nature profonde. Nous avons donc là une sorte d'auto-contradiction, avec ce personnage qui dans le fond s'appelle le Juste, ou le Pur, mais qui a toutes les apparences et l'attitude de celui qui s'oppose à Dieu. Il est en fait, finalement, comme nous tous, avec beaucoup de mal, d'opposition à Dieu, d'infidélités, mais dans le fonds de son coeur, il est quelqu'un de pur et de juste. Oui, je ne crois pas qu'au fond de nous-mêmes ce soit vraiment le mal qui règne. Je crois que dans le fonds de chaque homme, il y a un trésor de grandeur, de profondeur, de pureté, d'amour, et que souvent ce trésor est voilé, caché par trop de préoccupations humaines, trop de jalousies, de mesquineries qui font que la pureté originelle de notre coeur ne peut pas se révéler. Il y a bien des obstacles entre nous et Dieu, obstacles qui sont les mêmes pour Zachée que pour nous.

Ce qui est positif, c'est que Zachée cherchait à voir Jésus. C'est déjà une chose essentielle, il aurait pu être péager et pécheur et ne rien chercher à voir du tout. Dans ce cas, il n'aurait pas rencontré grand chose. Zachée cherchait à voir Jésus. C'est le point de départ de tout. On pourrait même s'arrêter là, parce que l'Évangile nous dit : celui qui cherche trouvera... Malgré son imperfection, il avait une sorte d'aspiration vers le Christ, vers Dieu, vers le bien. C'est une condition nécessaire, même si elle n'est pas forcément suffisante. Et puis là, nous voyons ce qui s'oppose au succès de sa démarche : deux choses: la foule, et sa petite taille.

L'obstacle de la foule est intéressant, parce que cette foule, c'était une foule de fidèles, de disciples, de gens qui écoutaient le Christ. Il y a donc là une critique très explicite de l'Église, des croyants. Oui, nous pouvons nous demander si parfois, cette foule qui adore le Christ n'est pas un obstacle pour ceux qui voudraient découvrir le Christ en vérité. L'Église n'est-elle pas, parfois, un écran opaque empêchant de découvrir vraiment le Christ ou rendant plus difficile une relation personnelle, originale du fidèle avec son propre sauveur ? Ne masque-t-elle pas, parfois, l'essentiel, c'est-à-dire le Christ, derrière une foule de dogmes, de pratiques ou de mauvais exemples ? Certainement, il y beaucoup plus d'anticléricaux que de véritables athées, et il ne faut pas croire que la rencontre du fidèle avec le Christ soit la relation avec l'Église. Pour échapper à ce piège de l'Église, ce qu'il faut, c'est ne pas regarder à l'Église, ne pas regarder à la foule, mais s'élever au-dessus des critiques que l'on peut avoir vis-à-vis de l'Église, ou même s'élever au-dessus du plaisir que nous pouvons avoir d'être en Église pour aller chercher celui qui est le sens de tout : le Christ lui même.

Le deuxième obstacle, nous dit-on, c'est que Zachée était de petite taille. Il y avait là pour lui le risque du découragement, de se sentir petit par rapport aux autres, de se dire que l'on n'est pas capable d'être aussi bien que les autres, que l'on n'est pas assez intelligent, disponible ou bon.

Voilà donc ces deux obstacles, la foule des adorateurs du Christ qui parfois sont rebutants, et puis le sentiment de sa petitesse.

Alors qu'est-ce qui sauve Zachée dans cette histoire ? Une fois de plus, le texte nous le dit explicitement : il est écrit : il courut en avant. Et cela aussi on l'oublie souvent, on pense que tout de suite il est monté sur son arbre, mais non, d'abord, il courut en avant. Et là il fait une chose essentielle : il ne se décourage pas, il ne reste pas sur place à macérer dans ses aigreurs à l'égard de la foule, ou de sa petitesse, en se disant que c'est de la faute des autres, ou de sa propre faute. Parce que de toute façon, chercher de qui c'est la faute, est une mauvaise attitude, que ce soit en le cherchant chez les autres ou en soi même. Ce qui compte, c'est d'avancer.

Ensuite il est dit qu'il monta sur un sycomore. Il monte... voilà encore quelque chose d'essentiel. Zachée était petit (spirituellement), c'est vrai, mais il cherche à y remédier, il va essayer de trouver quelque chose lui permettant de dépasser son handicap. Il prend conscience de sa faiblesse, non pas pour s'en décourager, ou se trouver une excuse pour ne rien faire, mais pour trouver comment y remédier... Il ne la considère pas comme une fatalité, il a une vraie conscience de sa faiblesse, conscience qui est juste ce qu'il faut, pour ne pas s'en désespérer, et pouvoir chercher à réagir. Alors, il monte dans un sycomore. Le sycomore est une image fréquente de la Bible, c'est une sorte de figuier sauvage, et le figuier, comme le sycomore est le lieu de l'étude de la Bible. (Parce qu'il donne des fruits remplis de pépins, comme les fruits de la Bible qui sont 100% productifs et féconds). Dans la tradition rabbinique, « se mettre sous le figuier », veut dire, se mettre au bénéfice des fruits de l'Écriture. Par conséquent, quand on nous dit que Zachée monta dans un sycomore, cela veut dire que la manière que Zachée trouve pour s'élever, pour avoir une chance de voir passer le Christ, c'est de s'élever dans la lecture de la Bible. Et c'est dans cette étude qu'il va monter en empoignant les unes après les autres les branches des versets bibliques.

On dit par ailleurs, dans la tradition rabbinique, que le figuier était l'arbre de la connaissance (du bien et du mal), ce qui revient au même : monter dans la Bible, c'est monter dans la connaissance de Dieu, vers une meilleure compréhension du monde et de nous-mêmes. Or l'interdiction de la Genèse n'était pas de monter dans l'arbre, au contraire, mais de manger l'arbre. Il n'était pas non plus interdit de manger « le fruit » de l'arbre, mais l'arbre lui-même : il est interdit de s'approprier l'Écriture pour la réduire à son propre niveau et lui ôter toute élévation. Nous n'avons pas à faire descendre la Bible vers nous en la rabaissant à un texte que nous dirions connaître et avoir en nous, mais nous devons garder à la Bible une espèce d'élévation et de hauteur qui nous dépasse, afin que nous puissions toujours nous élever en elle. Monter, s'élever dans la méditation et dans la réflexion, non pas pour être le plus grand, mais pour avoir une chance d'apercevoir le Christ.

Mais ce n'est pas dès qu'il monte que Zachée aperçoit le Christ, il y a une attente, le Christ ne se rend pas présent comme ça, immédiatement, dès qu'on lit la Bible. Et au bout d'un certain temps, le Christ vient à passer, et alors tout-à-coup il y a une vraie rencontre et tout change. Est-ce là la fin de cette histoire merveilleuse ? Est-ce que le but de la vie chrétienne, c'est de s'élever dans la Bible pour se trouver dans cette espèce de face-à-face avec le Christ ? Eh bien non !

En effet, la première chose que lui dit le Christ dès qu'il l'aperçoit, c'est : Zachée, descend. C'est étrange. Pourquoi le Christ lui dit de descendre de son arbre ? Sans doute parce que justement, l'élévation par la lecture, la réflexion, la prière, c'est bien pour un temps, mais ce n'est pas un pas un but en soi. Nous devons dépasser toutes ces pratiques pour aller trouver sur terre la véritable rencontre avec le Christ. Là est le stade ultime de la mystique. Il y a d'abord cette démarche un peu héroïque, ou l'on monte par ses propres forces pour s'élever dans les choses spirituelles, c'est un premier temps, mais ensuite, il convient de redescendre sur terre, pour vraiment rencontrer les autres et le Christ. Le Christ lui dit : descend, parce qu'il faut que j'aille chez toi. Oui, la présence de Dieu n'est pas une chose qui se gagne par la force en s'élevant, en progressant, en se perfectionnant, en se purifiant, au contraire, dans l'Évangile, la présence de Dieu se reçoit dans l'humilité, dans la faiblesse. On ne cherche pas à gagner Dieu comme on monterait à un mat de cocagne, ce Dieu qui nous donne la vie n'est pas vraiment dans la hauteur inatteignable, il est en bas, il nous attend. Il vient vers nous et nous dit : « descend de ton arbre, descend de tes prétentions, et ces fausses hauteurs que tu te donnes, et simplement descends en bas, et ouvre les bras pour m'accueillir »

Pourquoi alors avoir tant insisté sur l'importance de monter dans le figuier ?... c'est que le Royaume de Dieu est une chose bien complexe. On ne peut pas dire que la relation à Dieu c'est seulement de le recevoir, ou de le chercher dans l'étude. Il faut sans cesse passer de l'un à l'autre. Il est vrai que si Zachée n'était pas monté dans le figuier, le Christ ne lui aurait pas adressé la parole, si Zachée n'avait pas eu conscience qu'il était petit, il ne serait pas monté. De même, quand nous avons dit de la Bible il fallait s'élever en elle, mais ne pas la manger, on pourrait opposer que le Christ lui-même, qui est la Parole, a dit lors de la Cène prenez et mangez, de même que l'ange de l'Apocalypse nous a invité à prendre le livre et à le manger. Alors, ce livre, faut-il le manger ou s'élever dedans ? On peut penser que quand le Christ dit mangez ce n'est pas au début de son Évangile. C'est dans la Genèse, au début qu'il est dit de ne pas manger le livre de la vie, l'ordre d'avaler l'écriture ne viendra que dans l'Apocalypse, tout à la fin. Il ne faut pas remplacer l'Évangile par seulement prenez et mangez, ceci est mon corps, cela, c'est le but, c'est l'accomplissement. On ne peut le faire, et mettre la Bible en soi qu'après s'être élevé en elle.

La vie Chrétienne, ce n'est pas de rester en bas, passivement, en attendant que la présence de Dieu nous tombe dessus, ce n'est pas non plus de monter en essayant de gagner des points de paradis, mais c'est, sans cesse, monter dans l'arbre et en descendre, c'est sans cesse ne pas manger de l'arbre pour lui garder cette altérité, et aussi descendre de l'arbre pour le mettre en soi. C'est monter dans la lecture, et descendre en étant soi-même, c'est aspirer la présence de Dieu et souffler l'action de grâce et la bénédiction. La relation à Dieu, c'est comme l'Échelle de Jacob avec les anges qui montent et qui descendent. Une rencontre suppose un mouvement des deux. C'est dans le mélange subtil de la dialectique de ces différents mouvements que nous pouvons recevoir le Christ, et à ce moment, là, indépendamment de toute mérite, mais en ayant conscience que dans le fond nous sommes perdus, et que Dieu nous donne son salut. Alors, nous recevons cette nouvelle comme Zachée, qui nous est dit être tout joyeux. Oui, nous avons alors à la fois le salut et la joie, la joie d'appartenir au peuple de Dieu, comme Jésus lui dit: celui-ci est aussi un fils d'Abraham. ce qui veut dire: celui-ci est héritier de la promesse, or, le propre d'un héritier c'est qu'il gagne quelque chose qu'il ne méritait pas. Ce qu'il gagne, c'est d'être dans le peuple de Dieu, d'être un enfant de Dieu, d'être dans la joie, pour la vie, pour l'éternité.

Amen.

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Luc 19:1-10

1Jésus entra dans Jéricho et traversa la ville. 2Alors un homme du nom de Zachée qui était chef des péagers et qui était riche 3cherchait à voir qui était Jésus ; mais il ne le pouvait pas, à cause de la foule, car il était de petite taille. 4Il courut en avant et monta sur un sycomore pour le voir, parce qu’il devait passer par là. 5Lorsque Jésus fut arrivé à cet endroit, il leva les yeux et lui dit : Zachée, hâte-toi de descendre ; car il faut que je demeure aujourd’hui dans ta maison. 6Zachée se hâta de descendre et le reçut avec joie. 7A cette vue, tous murmuraient et disaient : Il est allé loger chez un homme pécheur. 8Mais Zachée, debout devant le Seigneur, lui dit : Voici, Seigneur : Je donne aux pauvres la moitié de mes biens, et si j’ai fait tort de quelque chose à quelqu’un, je lui rends le quadruple. 9Jésus lui dit : Aujourd’hui le salut est venu pour cette maison, parce que celui-ci est aussi un fils d’Abraham. 10Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu.

Luc 19:1-10