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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Les désastres écologiques

par Alain Houziaux (septembre 06)

 

le Christianisme doit-il plaider coupable ?

 

On a pu considérer que c'était l'apparition et l'extension du Judéo-christianisme qui étaient responsables de l'exploitation de la Nature (ce mot « exploitation » étant compris dans le sens positif de « tirer profit » comme dans le sens péjoratif de « abuser de » et de « détruire »).

Et ce pour trois raisons d'ailleurs liées.

· Le Judéo-christianisme introduit une désacralisation de la Nature. Le Judaïsme s'est construit comme une polémique contre les religions païennes qui étaient des religions de la Nature et des forces naturelles. Pour le Judaïsme, la Nature n'est plus le lieu de la manifestation du divin. Les fleuves, les arbres, les montagnes ne sont pas des figures des puissances divines comme dans les religions païennes. Les êtres vivants ne font pas l'objet de prescriptions particulières visant à les protéger. Et pour le Judéo-christianisme, l'image du Royaume de Dieu, ce n'est pas la Nature vierge retrouvée, mais c'est une Ville : la Jérusalem céleste.

· Les récits de Genèse 1 et 2 instituent l'homme comme le maître de la Création et en particulier de la Nature. L'homme est appelé à l'« assujettir » (Gen. 1,28), la « cultiver » (Gen. 2,15) .

· Le Judaïsme, puis le Christianisme ont donc désacralisé la Nature et l'ont placée sous le règne de l'homme. Ceci, semble-t-il, a eu un effet positif : le développement de la science. Puisque le monde était « profane », puisque la Nature n'avait pas à être vénérée pour ses mystères, le monde et la Nature pouvaient être étudiés, disséqués, analysés scientifiquement. Ainsi, la science, la technique et de façon générale le rapport positif au monde moderne « laïque » se sont développés dans la culture occidentale parce que celle-ci était judéo-chrétienne. Mais cette désacralisation de la Nature a eu aussi vraisemblablement un effet « anti-écologique ». Puisque la Nature cessait d'être considérée comme une déesse mère parée de toutes les vertus et de tous les droits, et puisque l'homme était considéré comme la finalité de la création du monde naturel, cet homme devenait le Maître de ce monde naturel, ayant, par-là même, le droit d'en user et la possibilité d'en abuser à son seul profit.

Au sujet de cette responsabilité du Christianisme dans l'exploitation de la Nature, il serait utile de savoir s'il faut faire une différence, à l'intérieur de la culture occidentale chrétienne, entre les pays de culture catholique et les pays de culture protestante. En effet, la théologie catholique, à la différence de la théologie protestante, considère que l'on peut venir à Dieu par la nature. La nature sous toutes ses formes (non seulement la Nature mais aussi la nature humaine) est bonne en elle-même. En revanche, le Protestantisme, lui, insiste plutôt sur la liberté de l'homme (« la nature de l'homme, c'est d'être libre ») et par là-même sur son droit à transformer la Nature, et ce parce que la Nature est elle-même inscrite dans une forme de « péché ». Et c'est la raison pour laquelle le Protestantisme serait, en théorie du moins, moins « écolo » que le Catholicisme. (Et pourtant, dans les faits, les pays à forte densité protestante sont plus « écolo » que les autres.)

Ainsi, l'homme est le maître de la création. Mais cela ne signifie pas qu'il puisse impunément « se servir ». Cela signifie aussi qu'il doit « servir » et « desservir » la création. Pour caractériser la mission de l'homme, Calvin a dit que l'homme est appelé à gérer la nature en « bon père de famille ». L'expression me paraît excellente car elle allie gouvernement, droit de correction, responsabilité et sollicitude. Jean Bottéro, lui, dit que l'homme est le « fermier » de Dieu. Ainsi l'homme a le droit et le devoir de dire à la Nature : « Silence ! Tais-toi », comme Jésus l'a fait pour apaiser la tempête. Mais il doit aussi accomplir un travail d'amélioration, de soins et de prévention vis-à-vis de la Nature et de sa « souffrance », pour reprendre l'expression de Romains 8,22.

Il faut d'ailleurs ajouter que c'est bien ainsi que le Judaïsme a compris la mission de l'homme et que la réputation d'anti-écologisme qu'on lui a faite est loin d'être justifiée.

Qu'on en juge. Citons le livre du Lévitique (25:2-4 et 26:34) : « La terre fera sabbat pour Dieu. Six années tu sèmeras ton champ et six années tu tailleras ta vigne et récolteras leurs fruits. Mais la septième année sera sabbat des sabbats pour Dieu ». Ainsi la jachère n'est pas seulement une nécessité économique ; elle caractérise en soi le mode de relation du croyant avec la terre.

Et Dieu avertit explicitement les Hébreux que s'ils n'observent pas cette loi, ils seront exilés « dans le pays de leurs ennemis ». Et qu'ainsi « la terre retrouvera ses sabbats tout le temps qu'elle restera en friche ».

Nous avons là le résumé de la conception de l'écologie par le Judéo-christianisme : appel à maîtriser la Nature dans ce qu'elle peut avoir de chaotique, appel à la cultiver et à la rendre féconde, mais aussi devoir de respecter ses rythmes propres et de l'aider à accoucher d'un monde nouveau et pacifié où le loup dormira avec l'agneau (Esaïe 11,6).

Espérons que nous ne serons pas contraints à l'exil sur une terre étrangère ou sur une planète lointaine, et que, grâce à nos bons labours, le germe du Royaume pourra croître et fleurir.

Alain Houziaux