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Les Béatitudes et les « Malédictions » de Luc 6 :20-23

par Louis Pernot (novembre 05)

 

Les Béatitudes de Luc sont moins lues que celles de Matthieu, et on comprend pourquoi. D'abord, il ne s'y trouve pas les quatre béatitudes « positives » qui sont celles que nous préférons : « heureux ceux qui ont le coeur pur, les miséricordieux, les artisans de paix et ceux qui sont doux ou humbles », il ne garde que les quatre béatitudes « négatives » : « heureux... ceux qui sont pauvres, ceux qui pleurent, ceux qui ont faim et soif, et ceux qui sont persécutés ». Et il les fait suivre de quatre malédictions : « malheur à vous les riches... à vous qui riez maintenant etc... ».

Comment comprendre d'abord ces quatre béatitudes négatives ?

La première solution serait de penser qu'il faille pleurer, ou être pauvre pour hériter du Royaume de Dieu. Cela, on peut le rejeter, ce serait incohérent avec le reste de l'Evangile. De toute façon, la pauvreté, pas plus que le malheur, ne sont des mérites et ne donnent nécessairement de la valeur, ou du sens à une vie.

Une autre lecture fréquente est que les malheurs terrestres seront compensés par des récompenses célestes dans l'autre monde. Mais cette idée n'est pas meilleure que la précédente. La Vie éternelle est une réalité qui s'enracine dans notre vie d'ici-bas. Le Royaume de Dieu est déjà présent en prémices dans notre vie terrestre, et ne consiste qu'en l'accomplissement de ce que nous vivons déjà ici dans la foi, nous en donnant la plénitude. Dans ce cadre, alors oui, on peut penser que les malheurs terrestres ne sont pas tout, et qu'il existe un secours, une consolation en Dieu, et ce dès aujourd'hui.

Le message des Béatitudes serait donc plutôt de dire que l'on peut être heureux même si nous devons subir des malheurs terrestres. Il y a là une certaine vision de ce qu'est le bonheur promis, un état qui ne dépend pas des chances ou des malchances humaines, mais un bonheur indépendant des événements et des situations matérielles.

Mais il semble que les Béatitudes aillent plus loin, ne disant pas seulement, « vous pourrez être heureux même si... » mais bien : « heureux serez-vous... si vous avez des malheurs terrestres » en quelque sorte. Peut- être alors pouvons-nous dire qu'effectivement, à condition de ne pas être trop importants, certains malheurs peuvent être une chance, parce qu'ils nous incitent à chercher notre bonheur ailleurs que dans le contingent du quotidien.

Matthieu, lui, a eu une autre idée (était-ce celle du Christ ?) et il a considéré qu'il ne s'agissait pas vraiment de malheurs terrestres, mais d'attitudes spirituelles.. : à «.. heureux ceux qui sont pauvres », il ajoute : «.. en esprit.. », à «.. heureux ceux qui ont faim et soif.. », il ajoute.. : «.. de justice.. ». C'est assez différent apparemment.

Et il est vrai qu'avoir « faim et soif de justice », c'est désirer, c'est vouloir aller plus loin, ne pas se contenter de ce que l'on a. Se considérer comme « pauvre en Esprit », c'est la qualité de celui qui se sait pauvre spirituellement, qui n'est pas arrogant, qui ne compte pas sur le trésor de ses propres qualités ou mérites pour se sauver, celui qui sait qu'il est pécheur, et peu de chose, c'est pourquoi il cherche Dieu, il demande son pardon, son salut à Dieu, ne le cherchant pas en lui- même seulement.

De même, ceux qui pleurent et ceux qui sont persécutés, ce sont ceux qui se sont risqués dans le monde, ce sont ceux qui se sont engagés, ceux qui risquent, ceux qui combattent, ceux qui compatissent, ou ceux qui ont conscience de leur faiblesse, ou de celles des autres.

Et tout cela est bon, essentiel, vital, parce que cela met en mouvement. D'ailleurs le mot « heureux » se dit en hébreu : « Acherei » ce qui vient d'un verbe signifiant : « debout et en marche ». Ainsi pour la Bible, le bonheur n'est pas une réalité statique qu'il faudrait défendre comme une forteresse contre les épreuves, mais une réalité dynamique. Etre heureux, c'est être en marche, c'est avancer, ne pas rester là ou on est, accepter de changer, d'évoluer, de s'adapter, d'aller plus loin. Le bonheur, pour la Bible, c'est la vie.

Là réside peut-être le risque des chances matérielles.. : de mettre sa confiance en elles, de croire que ce sont elles qui vont donner sens à notre vie, ou de ne pas chercher au-delà. Cela dit, le « malheur à vous » de l'Evangile semble un peu fort. Surtout dans la bouche du Christ, lui qui a dit : « Bénissez et ne maudissez pas... ». Cela semble inconcevable. Or une étude du texte original montre que ce « malheur » n'est que le fait de nos traducteurs, il ne se trouve pas dans le grec. Le mot que l'on a ainsi traduit est en grec : « ouaï » ce qui dans l'Ancien Testament traduit le mot hébreu « hoï » et l'un comme l'autre ne veulent rien dire, ce sont des cris : comme en français : « Aïe ». Voilà ce que dit Jésus : «.. Aïe aïe aïe vous les riches, attention, prenez garde, vous avez un risque d'immobilisme ou de vous tromper d'objectif et de préoccupation ». Et contrairement à ce que nos traductions laissent penser, ce « Hoï » n'est pas forcément négatif, il se trouve ainsi par exemple en Esaïe 55 qui ressemble étrangement à nos Béatitudes : «.. Oh (Hoï) vous qui avez soif, venez vers les eaux, sans argent, sans rien payer... » Autrement dit : « Attention, ne restez pas sans rien faire, approchez, avancez, venez à Dieu » parce qu'il est vrai que la pauvreté ou l'épreuve aussi recèle une tentation, c'est celle de se décourager, de ne plus vouloir rien faire.

Mais dans tous les cas, vous êtes heureux si vous savez avancer, si vous savez mettre votre confiance dans ce Dieu qui est un Dieu de consolation, de joie, de force et de vie. Quelle que soit la circonstance, vous êtes heureux si vous savez vous mettre debout, et vous mettre en marche vers votre Seigneur, comptant sur lui et sur lui seul pour donner sens et éternité à votre vie, il est le Dieu de la vie, de la joie et de la paix, pour aujourd'hui et éternellement.

Louis Pernot