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Le mal, pourquoi ?

par Alain Houziaux (mars 07)

 

Je vois quatre formes du mal: les maladies et les catastrophes naturelles, la dégradation qui conduit à la mort, la méchanceté de l'homme, et peut-être aussi l'absurdité de l'existence.
 

1 Pourquoi les catastrophes naturelles et les maladies ?

Les catastrophes naturelles (les raz-de-marée, les avalanches, les sécheresses), les « monstres », et même les maladies sont une désorganisation d'un équilibre et d'un ordre naturels, qui, en eux-mêmes, sont bons. Le monde est naturellement bon. Le mal n'est qu'une perturbation du bon. Les maladies, en particulier, constituent une perturbation dans l'équilibre naturel de l'organisme entre microbes et anticorps.

Comment expliquer ces perturbations ? Le récit biblique de la création, à la suite de la mythologie babylonienne, explique que notre monde a été créé par Dieu, non pas ex nihilo (à partir de rien) mais à partir d'un chaos primitif (le «tohu-bohu» de Gn. 1 :2) qui lui-même n'a pas été créé par Dieu. Or ce tohu-bohu primitif continue à désorganiser notre monde, un peu de la même manière que le magma chaotique et en feu qui est à l'intérieur de la terre perturbe notre monde en suscitant volcans, cataclysmes, tremblements de terre. Ainsi la puissance du tohu-bohu se manifeste sous la forme d'une force de désorganisation et de perturbation à l'intérieur des équilibres du monde tel qu'il est voulu par Dieu. De fait les raz-de-marée, les ouragans, et aussi les fièvres et les maladies procèdent de déséquilibres à l'intérieur des équilibres naturels.

Le mal n'est donc pas quelque chose en soi. C'est une désorganisation du monde tel qu'il est créé par le travail organisateur de Dieu. De même, dans la troisième partie de la Faust-Symphonie de Gounod, le thème de Méphistophélès n'est pas un thème en soi. Il est la désagrégation des thèmes de Faust et de Marguerite qui expriment le Bien.
 

2 Pourquoi la mort ?

II y a, en toute vie, une double tendance, l'une positive vers l'organisation, la vie et la résurrection, et l'autre, négative (entropique) vers la dégradation irréversible, la désorganisation, la mort, la poussière, le néant et le froid. Tôt ou tard, tout retourne à la poussière, à la mort et au néant.

Cette propension irréversible vers la dégradation, la désorganisation et la mort peut être considérée comme la conséquence de l'emprise du tohu-bohu désorganisateur sur les différentes formes de vie, d'énergie et d'existence. A la fin des temps, nous promet la Bible, le tohu-bohu (c'est-à-dire l'empire dont Satan est le maître) sera définitivement vaincu. Et de ce fait, la mort sera vaincue.
 

3 Pourquoi la méchanceté de l'homme ?

Pourquoi l'homme est-il méchant ? Pourquoi est-il pécheur? Pourquoi veut-il le mal ? La Bible identifie le péché à la consommation du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Cela se comprend tout à fait. C'est la «connaissance» du fait que l'on agit mal qui fait que l'on agit mal. L'animal, le bébé, l'idiot, qui sont sans «connaissance» du mal, ne peuvent pas être considérés comme mauvais et méchants.

Mais une question se pose : pourquoi Dieu a-t-il placé le fruit de l'arbre de la connaissance à portée de l'homme ? Et pourquoi a-t-il créé l'homme tel qu'il puisse être tenté par le serpent et par le fruit de l'arbre ?

Dieu avait le choix. Il pouvait créer un homme qui reste un homme-bébé sans connaissance et par là même sans méchanceté. Il pouvait aussi créer un homme qui puisse conquérir la connaissance et la puissance. Et Dieu a fait ce deuxième choix. Il a fait exprès de placer l'arbre de la connaissance à portée de l'homme. Le propre du père (du Père) est de vouloir que son enfant cesse d'être enfant, qu'il grandisse, lui désobéisse, et acquière une forme d'autonomie.

On peut aussi donner une autre explication à la méchanceté et au péché de l'homme. L'homme n'est pas uniquement fait du souffle de Dieu. Il est aussi fait de la poussière. Et cette poussière, c'est celle du chaos, c'est-à-dire du tohu-bohu qui désorganise l'équilibre du monde. Ainsi l'homme est un mixte d'Esprit et de tohu-bohu. Et c'est pour cela qu'il peut être tenté par le serpent qui est l'"esprit du tohu-bohu". C'est cette puissance satanique du tohu-bohu qui, en agissant dans l'homme, désorganise les capacités vertueuses qui lui viennent de l'Esprit de Dieu. En effet, les vices et la méchanceté ne sont qu'une corruption des vertus, tout comme le mal des catastrophes cosmiques n'est qu'une désorganisation de l'ordre et de l'équilibre naturels du monde. L'avarice est une corruption de la prudence, la témérité une corruption du courage...

Mais on peut se demander : Pourquoi Dieu a-t-il fait l'homme à partir d'un mixte de souffle et de poussière ? Pourquoi ne l'a-t-il pas fait uniquement de son souffle ? Parce que, s'il l'avait fait uniquement de souffle et d'amour, sans une once de dureté de coeur et de carapace, l'homme n'aurait pas résisté à la morsure des épines du monde. Ainsi Jésus, parce qu'il a été fait du seul souffle de Dieu, meurt prématurément sous les assauts du monde.
 

4 Pourquoi l'absurde et le non-sens ?

Bien souvent, nous nous disons : Tout est vanité, « l'homme se promène comme une ombre et tout le bruit qu'il fait n'est que vanité » (Psaume 39,7). La vie est absurde.

Qu'est-ce que l'absurde ? Est absurde ce qui laisse sans réponse la question: Pourquoi ou pour quoi? actions et vie de la paroisse page 4 numéro 200 février-mars 2007 Pourquoi la vie? Pourquoi le monde ? Pourquoi y a- til quelque chose plutôt que rien ?

Comment répondre à la question: pourquoi la vie ? On peut répondre que la vie est « pour rien», c'est-à-dire sans justification, sans raison, sans explication et qu'il n'y a pas de "mal" à cela. La vie est "pour rien", tout comme la fleur fleurit "pour rien". « La rose est sans pourquoi », dit Angélus Silésius. On voit ainsi que l'absurde (l'absence de sens et de raison d'être) n'a rien à voir avec le mal. L'absurde va plutôt de pair avec la gratuité et même avec la grâce. Dieu nous donne la vie pour rien, sans justification, on peut même dire de manière absurde. Et c'est pourquoi la vie est ellemême pour rien, sans justification, sans raison d'être.

La vie est faite pour être vécue comme Dieu nous l'a donnée, c'est-à-dire pour rien, gratuitement. Nous avons le droit de jouir de la vie sans avoir besoin de lui trouver une justification ou une raison d'être. La seule justification de la vie, c'est la grâce qui nous l'a donnée. Ainsi l'absurde (selon Nietzsche et Camus) serait le corollaire de la justification par grâce seule (selon Luther).

Alain Houziaux