Accéder au contenu principal
56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Dieu = Parole = Lumière

par Louis Pernot (décembre 2013)

 

Le prologue de l’Evangile de Jean est bien poétique : « au commencement était la parole... et la parole était Dieu... et elle était la lumière qui éclaire tout homme ».

On a dit que c’était une sorte de commentaire de la Genèse : « au commencement Dieu créa les cieux et la terre...». Certes, mais en même temps, Jean opère des déplacements théologiques essentiels, qui amènent à des affirmations tout à fait audacieuses. Il présente trois réalités qui sont distinctes dans la Genèse : Dieu, sa parole et la lumière, et il opère un écrasement en les affirmant être une seule chose.

Dieu = sa Parole créatrice

Cela veut dire que Dieu est son propre acte créateur, ou plutôt que l’acte créateur, c’est Dieu. La création n’est pas la conséquence de l’essence d’un Dieu immobile, mais Dieu est cet acte créateur même. Cela s’oppose à la conception voltairienne du Dieu horloger qui pose deux problèmes : d’abord de voir la création comme un résultat et non comme un processus, ensuite de dissocier Dieu du processus. Pour Voltaire, Dieu est immobile et il n’y a plus de création. C’est ce qu’on appelle le « déisme » : Dieu a agi une fois et n’agit plus.

A la suite de Jean, je dirais plutôt : « ce qui m’intéresse : ce n’est pas l’horloge, ni l’horloger, mais le fait qu’elle soit en mouvement et j’appelle Dieu ce mouvement, c’est en ça que je crois ».

Ainsi, l’univers est en évolution, donc il existe un acte créateur dans le monde, et cela n’a pas nécessairement à voir avec un éventuel commencement, c’est un processus. Il ne faut donc pas se demander s’il existe quelque cause de cet acte créateur et qui en soit distinct, il y a une évolution, une création qui est un apport d’information, c’est ce que Jean appelle la « parole », et c’est cela même qui est Dieu. On n’est pas non plus, comme dans Thomas d’Aquin avec son « moteur immobile ».

Cela est révolutionnaire, et change toute la conception que l’on peut avoir de Dieu, de son existence ou de sa non existence. Dieu, en effet, n’est pas hétérogène au monde, en pouvant ou non agir dessus, Dieu fait partie du processus d’évolution, il est dynamique.

Et du coup, on ne peut pas considérer sa vie comme un bien à conserver, à faire perdurer, à protéger, mais comme une réalité en mouvement, on ne peut pas rester figé sur le passé, ou essayer de garder ce qui est, mais il faut aller de l’avant, avancer vers la nouveauté. Et si la religion est au service de cette réalité, alors elle ne devrait pas être là pour faire perdurer une forme, mais pour aider les gens à aller de l’avant, à évoluer.

Deuxième écrasement : Parole = lumière

Normalement la lumière et la parole sont opposées : la lumière, c’est la liberté, l’ouverture, le choix, alors que la parole semble être une injonction, une loi, et imposer l’obéissance.

Là, c’est une parole créatrice, qui n’impose rien. Elle est comme une lumière dans la nuit qui rassure réjouit, oriente certes, mais plus en indiquant qu’en imposant, elle permet de se diriger, d’avoir un repère. Jean opérant cet écrasement entre Parole et lumière nous montre la fonction de la Parole de Dieu, qui est d’éclairer, de faire voir plus loin. C’est une Parole qui ouvre des voies, fait voir des réalités, un aspect des choses, des issues, des solutions qu’on n’envisageait même pas. Ce n’est pas une parole qui restreint le réel, mais qui l’ouvre, qui crée du neuf.

La religion en nous doit nous ouvrir des portes, pas nous enfermer dans l’obéissance ou les interdictions, elle doit instruire, ouvrir les yeux, être audacieuse, prendre le risque de la liberté.

Cela nous rapproche du concept de « nouvelle créature » : la création n’est pas finie. Dieu peut encore faire en nous bien des choses : un neuf insoupçonnable peut sortir de l’ancien, de l’abîme de notre vieillesse sclérosée.

Cette puissance créatrice, s’est incarnée en Jésus. Nous l’avons par l’évangile, et là, Dieu est encore à l’œuvre… Noël est là pour nous rappeler que cette parole créatrice de vie et de lumière se rend présente dans notre monde, et peut naître dans nos vies, même quand elles nous semblent les plus sombres et les plus froides.

Louis Pernot

4 commencements pour un Noël

Nous avons tous en tête une histoire de Noël, joyeux mélange d’Évangiles, voire de traditions orales. Je vous propose de débroussailler cela en nous focalisant sur le premier verset de chaque Évangile. Le choix est un peu radical, mais il s’avère fructueux. Dès le commencement, se mettent en place les signaux qui vont éclairer le récit.

« Livre de la généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham. »(Mt 1,1)

Deux premiers mots essentiels pour l’ouverture de Matthieu et du Nouveau Testament : Livre,  Biblia en grec, qui donnera Bible, et ensuite « généalogie  » qui peut se traduire également par « genèse  ». Ce premier verset peut être traduit de plusieurs façons. Conservons la surabondance de sens. « Genesis », peut se traduire par généalogie, genèse, histoire, récit, s’agit-il donc d’un livre d’histoire, d’un livret de généalogie ou  l’annonce de la création nouvelle inaugurée par Jésus-Christ ? Jésus, fils de David, puisqu’il est le Christ. En nous présentant ensuite le Christ dans la fragilité d’un enfant, Matthieu met en place un thème qui traverse son Évangile, le souci des plus petits, des précaires. 

« Commencement de l’évangile de Jésus-Christ, fils de Dieu. » (Mc 1,1)

Ici pas de fioriture. L’essentiel est dit : commencement. On s’inscrit dans une nouveauté absolue. Évangile, c’est à dire bonne nouvelle. Désormais nous sommes sous le signe de la joie. Marc nous décline l’identité du héros qui sera renforcée au moment du baptême « tu es mon fils bien aimé ». Alors que L’Évangile tout entier est rempli de questions et de malentendus qui se rapportent à l’identité de Jésus et à sa mission, les réponses sont données dès le prologue. Cette ouverture est à l’image de l’Évangile de Marc qui est on ne peut plus abrupt. Sa radicalité nous invite à entrer tout de suite dans l’essentiel, la rencontre avec le Christ. Ainsi l’auteur nous met dans une ambiance où il n’y a pas de place pour le merveilleux. Aussitôt le baptême ! Il nous bouscule, comme les disciples seront sans cesse désarçonnés par Jésus. Et ce ton dure jusqu’à la fin, où la résurrection se dit à partir du vide du tombeau.

« Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des faits qui se sont accomplis parmi nous, tels que nous les ont transmis ceux qui, dès le commencement, en ont été les témoins oculaires et sont devenus serviteurs de la Parole… « (Lc 1,1)

Luc commence de manière beaucoup plus classique un récit plein de douceur et de rencontres. Il se présente comme historien, certes il ne nous raconte pas l’histoire comme nous l’entendons aujourd’hui, il relate une histoire, son histoire. Cette introduction un peu technique est là pour donner du poids à ce qui suit. Le merveilleux entre en scène dès le début, pour nous rassurer, comme le pardon que le Christ n’a de cesse de prêcher et de vivre. D’emblée il y a une nette sincérité,  les témoins oculaires sont devenus serviteurs de la Parole donc impliqués dans l’histoire, nous entraînant à leur suite.

« Au commencement était la Parole ; la Parole était auprès de Dieu ; la Parole était Dieu. » (Jn 1,1)

L’évangile de Jean s’inaugure comme la Genèse. En employant le langage poétique, langage de la foi par excellence, l’auteur s’inscrit dans le champ de la symbolique.  Pratiquement aucune référence historique, elles n’ont  aucune importance.  Il nous propulse dans un hymne  hors-temps, hors-espace, en amont de l’histoire de l’humanité, dans l’abîme insondable de l’origine. Il s’agit d’un cantique célébrant une naissance, une double naissance. De motifs en motifs, par touches successives, l’identité de celui qui va venir est progressivement révélée : la parole faite chair !

Mais il s’agit également de notre propre naissance : « devenir enfant de Dieu » Pour le dire autrement lorsque le Fils de Dieu se fait homme, c’est alors qu’il nous est offert de devenir enfant de Dieu. 

4 commencements 

Les écarts entre ces quatre commencements ne sont en rien divergences, mais des voix qui viennent donner de l’ampleur et du relief.  Ils renferment même des convergences. La question du début de l’histoire de Jésus, est la question de son origine. « Commencement », « Genèse». Or la question de son origine est également la question de son identité. Question qui sera débattue dans tous les Évangiles : Qui est Jésus ? La réponse est multiple car on ne peut le contenir dans de simples appellations : Jésus-Christ, Emmanuel, la Parole, le fils de Dieu… ?

C’est à travers une polyphonie de témoignages que nous pourrons rencontrer le Christ : celui qui nous bouscule, celui qui nous console, celui qui nous invite à nous soucier des petits, celui qui nous invite à croire et à aimer.

Celui que nous nous apprêtons à accueillir :
Joyeux Noël

Florence Blondon

Vous pouvez lire d'autres réflexions dans les Archives Réflexions