Bien vieillir
par Alain Houziaux (février 03)
Vieillir : une récompense
On considère souvent la vieillesse comme une punition ou une expiation, comme s'il fallait tôt ou tard « payer » les excès et les fautes que l'on a commis pendant sa vie.
Mais, dans la Bible (Prov 16,31), c'est le contraire. La vieillesse est considérée comme une récompense. Comme si, à la fin de sa vie, on pouvait « rattraper », par une période de paix et de sérénité, toutes les épreuves et les conflits que l'on a dû endurer pendant sa vie active.
La Bible n'a peut-être pas tout à fait tort ! En effet, c'est lorsque l'on commence à être âgé que l'on peut voir la vie de manière nouvelle et se dire : « Ma vie commence aujourd'hui. Ce qu'était hier ne peut être changé. Mais aujourd'hui, c'est le premier jour du reste de ma vie. J'ai encore du temps devant moi. J'ai encore une chance ».
Oui, bien vieillir, c'est se décider à profiter, enfin et pleinement, de la vie qu'il nous reste à vivre.
Et c'est possible. La vieillesse autorise une certaine liberté. Quand on commence à être âgé, on a enfin le droit d'être sans prétention et sans ambition, on a enfin le droit d'être ce que l'on est, on est libre parce qu'on n'a plus rien à perdre, à gagner, à conserver de force.
Et, de plus, bien souvent, les menus plaisirs de la vieillesse peuvent nous procurer la même qualité de plaisir que les plaisirs soi-disant intenses de la jeunesse.
Mourir guéri
Pour dire les choses autrement, je dirais que « bien vieillir », c'est se préparer à « mourir guéri ». C'est vivre le reste de la vie de telle sorte que l'on puisse « mourir guéri ».
« Mourir guéri », l'expression peut surprendre. Mais elle est parlante par sa forme paradoxale. Guéri de quoi ? Je répondrai « guéri de la vie », de ses souffrances et de ses blessures. Mourir guéri, c'est mourir réconcilié avec la vie et avec sa vie.
Et pour cela, sans doute faut-il concevoir la vieillesse non comme la phase terminale d'une maladie, celle des souffrances de la vie, mais plutôt comme une forme de convalescence, comme une période pendant laquelle on a la possibilité de « se remettre » de la vie que l'on a vécue avec ses échecs, ses hontes et ses fautes.
La vieillesse, c'est le moment où l'on peut se décider à remiser à jamais le bâton des rancunes et à vider ses poches des soucis et des mesquineries qui les ont encombrées pendant la vie active. La vieillesse, c'est le moment où l'on peut se guérir des tourments que l'on a supportés et aussi suscités. Et ce pour pouvoir aller vers une mort claire et limpide qui apportera la guérison éternelle.
Bien vieillir, c'est ne garder de la vie que le parfum de bonté de quelques visages rencontrés, de quelques moments de joie et de communion.
Le sentiment d'inutilité.
Ce qui oppresse souvent les personnes âgées, lorsqu'elles sont vraiment très âgées, c'est le sentiment qu'elles sont devenues inutiles.
Mais il faudrait tenter de les rassurer. Il n'est pas nécessaire qu'elles fassent quelque chose pour être utiles. Il leur suffit d'exister. Leur utilité, c'est d'exister. Et de fait, lorsqu'un de nos proches disparaît, il ne nous manque pas parce qu'il nous était utile. Il nous manque tout simplement parce qu'il n'est plus là.
On peut aussi ajouter ceci : plus une personne est dépendante et inutile, plus en fait elle est utile. Parce que de la sorte, elle permet à d'autres de devenir utiles.
Cela se voit quand on visite une maison de retraite. On constate à quel point une pensionnaire de quatre-vingt cinq ans donne l'opportunité à des personnes de quatre-vingts ans de se rendre utiles, en lui rendant visite, en la conduisant à table...
Et puis, il faut peut-être aussi rappeler le beau message de St-Paul et de Luther à celles et ceux qui considèrent que leur vie n'a plus de justification : notre vie, quelle qu'elle soit, a une justification et cette justification lui est donnée par grâce seule ; notre vie a une justification, mais cette justification, ce n'est pas à nous de nous ingénier à la trouver ; cette justification, elle nous est donnée et conférée, gratuitement, pour rien, sans raison, sans justification et par grâce seule.
C'est lorsque nous ne pouvons plus fournir aucun justificatif pour justifier notre vie que nous pouvons découvrir la liberté de pouvoir dire : « Je vis à la grâce de Dieu ; et cette grâce me suffit ».
N'ayez crainte
Je conclus par cette exhortation : « Si vous vous sentez inutiles, n'ayez crainte, les lis des champs le sont aussi, ainsi que les oiseaux du ciel, et bien des nocifs coûtent plus cher à la société que vous.
La vie est un cahier dont chaque jour tourne la feuille. Le matin, vous écrirez au bas de la page encore blanche ce petit mot : Amen.
Et au-dessus de cette signature, laissez s'écrire les lignes de votre journée avec leurs pleins et leurs déliés, leurs plaintes et leurs sourires. Et votre consentement préalable ôtera à ce jour son poison d'amertume et d'inutilité ».
Alain Houziaux