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Alors Jésus fut emmené par l'Esprit au désert

par Florence Blondon (mars 2015)

 

Alors Jésus fut emmené par l'Esprit au désert, pour être mis à l'épreuve par le diable  (Mt 4,1)

 

Les 11 premiers versets du quatrième chapitre de Matthieu sont presque trop connus pour susciter encore notre curiosité.

Pourtant, lorsque nous lisons attentivement, il apparait que derrière ce que la plupart des éditeurs de nos Bibles ont appelé « la tentation de Jésus-Christ », une autre réflexion se profile, qui nous interroge sur notre rapport au texte biblique. Je vais essayer de partager avec vous quelques idées.

De l’identité

Dès le début le lecteur est transporté dans la grande scène théâtrale qu’est le désert. La tension dramatique est intense. Deux personnages s’affrontent. L’identité du premier vient d’être révélée, mais l’autre reste pour le moins énigmatique. Dans l’épisode qui précède, Jésus est baptisé, l’Esprit de Dieu descend sur lui, une voix retentit : « Celui-ci est mon fils bien aimé » (3,17). Le second acteur est identifié au diable, mais à y regarder de plus près ce n’est pas si simple. Et, bien que l’identité de Jésus soit connue, il lui faudra nous dire ce que signifie « être fils bien-aimé de Dieu ». Quant à l’autre, c’est nous qui sommes amenés à trouver qui il est. Le diable ? Le tentateur ? Satan ? Qui sont-ils ?  

- Le diable : celui qui divise. Les lecteurs d’Astérix connaissent Tullius Détritus, celui qui arrive au village gaulois et sème la zizanie. A peine quelques heures de sa présence néfaste et tout le monde s’étripe. C’est cela le diable, celui qui apporte le chaos en divisant.

- Le tentateur : le titre est significatif, on peut le traduire également par « celui qui éprouve », donnant ainsi une dimension plus large à son rôle.

- Et enfin Satan : la présence d’une majuscule, nous fait penser à un personnage mais satan, vient d’une racine qui signifie entre autre l’adversaire, l’accusateur. Il s’agit plus d’une fonction que d’un individu.

Alors, diable ? Tentateur ? Satan ? Ces différents titres nous invitent à découvrir les multitudes de visages que peuvent prendre les épreuves, le mal, parfois difficile à identifier. Pourtant, le plus étonnant, dans ce passage c’est le premier verset : celui qui amène Jésus à l’épreuve, en le transportant dans le désert c’est l’Esprit, ce même Esprit qui vient de reconnaître en lui le fils de Dieu. Au lieu de céder à la tentation, en évitant ce qui est choquant dans le texte, nous pouvons nous laisser interpeller par ce qui nous semble scandaleux.

Du jeu d’écho

Et pour cela, nous pouvons entendre un jeu d’écho dans les Écritures. Ce passage est truffé de références à l’Ancien Testament. Les versets invoqués ne sont pas sans lien avec l’enjeu de notre récit, en particulier dans les trois citations des chapitres 6 et 8 du Deutéronome (4,7,10), qui nous renvoient aux 40 ans d’errance dans le désert, durant lesquels Dieu éprouve son peuple. L’épreuve nous est rappelée, mais son interprétation n’est pas négative. Comment en effet vivre si on ne peut résister à l’adversité ? Le peuple va découvrir que dans la difficulté, l’Eternel est à ses côtés. Il n’est pas un talisman qui protège de tout mal. Il est Celui qui guide et qui enseigne pour que nous découvrions et affrontions la vie. C’est ce qu’expérimente le Christ pendant ces 40 jours au désert. Il comprend que la grande question à laquelle le diable le confronte est celle de savoir comment être fils de Dieu : dans la toute puissance, ou en consentant à la mission de son Père, en acceptant sa condition humaine ?

Dans ce théâtre se joue également une autre dimension, le texte nous invite à être interprète de l’Écriture.

De l’autorité de l’Écriture

«  Il est écrit », (4,5,7,10) cette sentence revient quatre fois. Nous assistons à une sorte de joute, à coup de versets bibliques entre Jésus et son adversaire. Ainsi, le recours aux Écritures ne saurait donc suffire, car cette référence peut prendre un caractère démoniaque. « Il est écrit », cette courte phrase répétée au long des évangiles nous questionne. Elle est une porte d’entrée sur la réflexion autour de « l’autorité de l’Écriture », ces Écritures si chères aux protestants et qui pourtant utilisées de manière littérale, sans aucune distance se révèlent être bien plus dangereuses que salutaires, quelques soient les religions et le texte de référence. L’actualité n’a de cesse de nous le rappeler.

Nous sommes donc invités à lire, à nous laisser interpeler, et à transformer ces écrits en parole vivante.

Florence Blondon