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Aimer Dieu et son prochain

par Florence Blondon (décembre 2015)

 

Aimer Dieu et son prochain 

Le double commandement d’amour est présent dans les évangiles de Matthieu, Marc et Luc. En puisant dans la Torah, en mettant deux versets en écho, l’un tiré du Deutéronome et l’autre du Lévitique, Jésus va leur donner une dimension nouvelle.

« Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée.

C'est le premier et le grand commandement. Et voici le second, qui lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépendent toute la loi et les prophètes. » (Matthieu 22,37-40)

La subversion de l’amour

Le premier commandement, l’appel à aimer Dieu est le cœur de la confession de foi du judaïsme encore aujourd’hui : « Écoute, Israël ! L'Éternel, notre Dieu, l'Éternel est un. Tu aimeras l'Éternel, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. » (Dt. 6,4-5) On ne peut que s’étonner de ce « tu aimeras », en effet comment obliger à aimer ! Tous les amoureux vous diront combien c’est impossible. Mais, ici l’amour auquel nous sommes appelés n’est pas un sentiment, il s’agit plutôt d’une invitation au respect, à la loyauté, voire à la crainte et à l’obéissance. Car, cette exhortation s’inspire des termes des traités de vassalité assyriens où le grand roi doit être « aimé » par ses vassaux. Les auteurs bibliques, ont su reprendre le modèle assyrien, mais non pour se soumettre, au contraire pour le subvertir, et affirmer que quel que soit le maitre du monde, il n’accepte que l’autorité du Dieu d’Israël. Il est l’unique Dieu, l’unique à aimer. La Bible n’aura de cesse de résister et de subvertir. Pourtant cet « amour » indispensable, mais  minimum, ne saurait suffire. Et Jésus en reliant ce verset à un autre du Lévitique (19,18) va redéfinir l’amour.

Par de légers glissements, Jésus va révolutionner le sens des citations.

Un simple mot supplémentaire, et il ajoute une quatrième dimension, aux trois déjà présentes dans le verset du Deutéronome : aimer de toute « sa pensée », autrement dit avec son intelligence. En réalité l’intelligence est déjà présente dans la Torah, puisque le cœur, dans l’anthropologie hébraïque, est le centre de la personne où prennent forme les sentiments et également les pensées, les décisions, les projets, les discours. Jésus énonce de manière explicite, qu’aimer Dieu fait aussi appel à notre intelligence, à notre perspicacité. Notre intelligence, notre raison sont des dons de Dieu et nous devons les mettre en œuvre pour croire comme pour aimer. Le chrétien est appelé à prier à méditer et à s’instruire, à réfléchir, à discerner. La spiritualité se tisse avec l’étude et la réflexion. Jésus en questionnant sans cesse ceux qui l’accompagnent leur demande de croire et de penser, de réfléchir. Il ne s’agit jamais d’être des témoins et des lecteurs crédules, mais bien d’être des interprètes crédibles. D’ailleurs c’est un magnifique travail d’interprétation que fait ici Jésus, en accolant ces deux versets pour les mettre sur le même pied : aimer Dieu c’est aimer son prochain. Quel programme ! Et surtout quelle subversion dans cet énoncé. Aimer Dieu s’est s’engager pour l’autre, c’est construire un monde meilleur, non pas avec des bons sentiments qui parfois peuvent avoir des effets plus que pervers, mais avec confiance responsabilité et discernement.

Le plus subversif c’est que ce commandement n’en n’est pas un.

Il autorise l'égarement. Ici aucun impératif, mais un futur, un horizon. Dieu sait combien la nature humaine est corruptible. Nous avons tous fait l’expérience de nos limites, des conséquences de nos manques. Aussi nous donne-t-il une direction. Son amour pour nous accepte nos erreurs, nous invite à les reconnaître, pour avancer et essayer encore et encore d’aimer avec tous nos sens et toutes nos capacités. Si Dieu nous aime malgré notre imperfection, c’est qu’il y a en chacun de nous quelque chose à aimer, cette bonne nouvelle nous invite à nous aimer nous-même et à aimer les autres, à chercher la bonne part qui est en soi et en son prochain.

Florence Blondon