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IA vs JC : ChatGPT ne vous remplacera pas

Dimanche 9 novembre 2025
Louis Pernot
Église protestante unie de l'Étoile à Paris

N'ayez pas peur de l'Intelligence artificielle! 

L’intelligence artificielle, IA, ne vous remplacera pas... Vous êtes irremplaçables ! Et je crois pour plusieurs raisons.

1.
D’abord parce que l’IA connaît beaucoup de choses, elle connaît en particulier toutes les pages d’Internet, c’est considérable, mais pas pour autant infini, et il y a beaucoup de choses qui échappent à la connaissance de Chat GPT, et qui échapperont toujours. En particulier parce que tout n’est pas connaissable par l’Intelligence artificielle. Pour savoir une chose, elle doit l’avoir appris, elle sait ce qui a été écrit, publié, mais tout ce qui échappe au langage ou à un media lui est inaccessible. En fait, l’IA se fonde sur la connaissance, la parole, et fonctionne comme un langage. Elle connaît des éléments, soit des mots, des phrases, du contenu, ou pour les images des éléments reconnaissables, et elle assemble ces éléments pour construire quelque chose de statistiquement plausible.

Cela est rassurant, parce qu’elle n’est donc pas toute-puissante, tout n’est pas langage ou connaissance. Mais affirmer cela est aussi une grosse remise en cause théologique pour le calviniste que je suis.

En effet, pour Calvin, la base de tout, c’est la parole. C’est ce qu’affirme l’évangile de Jean dans son prologue : « au commencement était la parole... tout a été fait par elle et rien n’a été fait sans elle ». Or on découvre que ce qui nous sauve de l’hégémonie de l’IA, c’est que précisément tout n’est pas parole ou écrit. Si l’on présente par exemple à une IA une image représentant un terrain de tennis, une balle, une raquette et deux personnes, elle va assembler ces éléments pour en faire comme une phrase : il s’agit d’un match de tennis. Mais peut-être qu’elle se trompe et qu’il s’agit de tout autre chose, parce qu’il y aurait un détail qu’elle ne connaîtrait pas dans l’histoire qui a précédé la prise de vue de cette photo. Et même s’il s’agit bien d’un match de tennis, elle ne pourra rien dire de la beauté de ce match, ou de l’émotion des joueurs, ou des spectateurs.

Donc non, en fait, tout n’est pas qu’information, et Calvin a oublié une bonne partie de l’évangile de Jean. Quand on sort du prologue, on découvre que cet évangile est peut-être avant tout celui de l’amour et de la grâce.

Voilà déjà un domaine dans lequel vous serez toujours irremplaçables : l’IA, c’est de l’information, or tout chez vous n’est pas seulement de l’ordre du langage. Votre richesse est faite de beaucoup d’autres choses : l’amour, la tendresse, l’affection, la compassion. Et cela, l’IA ne le connaît pas, ou seulement de seconde main dans la mesure où quelqu’un a essayé d’en parler. Nous sommes des êtres « intelligents » certes, amis aussi des êtres de relation et d’amour.

Ainsi, même les avocats n’ont pas à craindre que leur métier soit remplacé par une IA. Certes, celle-ci est très douée pour chercher tous les articles de lois, les jurisprudences... mais la justice humaine, c’est beaucoup d’humain, et un avocat qui doit aider un couple dans un divorce, par exemple, a un rôle qui va bien au delà de la jurisprudence ! De même, pour être médecin, il faut savoir beaucoup de choses, et l’IA en saura toujours plus que tout humain, mais il y a une dimension humaine, psychologique, relationnelle absolument essentielle dans le rôle du médecin, et même dans toute maladie.

2.
Ensuite, l’IA ne vous remplacera pas, parce que quel que soit le métier, ou dans toute activité humaine, il y a toujours une personne quelque part. L’IA peut remplacer des tâches, mais pas des personnes. Et puis les tâches que l’IA peut remplacer ne sont, de toute façon, pas les plus intéressantes, ou celles dans lesquelles nous aurions personnellement la plus grande plus-value, or l’humain a toujours une dimension qui échappe à l’IA.

Il n’est pas nouveau qu’il y a des tâches ou certains travails qui puissent être remplacés par des machines, que ce soit mécaniques, technologiques, ou d’Intelligence artificielle. Mais il faut bien dire que tout travail remplaçable par une machine n’a jamais été un travail vraiment épanouissant ou intéressant ! On peut regretter que certains métiers aient été remplacés par des machines, mais en fait c’est plutôt une libération qu’un remplacement humain. Ainsi, doit-on regretter que l’invention de la machine à laver empêchent les mères de famille de passer des heures dans un lavoir glacé à laver le linge ? Non. Et peu de personnes regrettent que le tracteur ait remplacé les travaux des champs infiniment pénibles. C’est sans doute un peu la même chose aujourd’hui, l’IA est capable de consulter en un temps records des masses de documents, travail préliminaire à une vraie réflexion, et travail qui n’a en soi aucun intérêt. Mais ce travail peut être une aide considérable, elle permet de gagner du temps, d’avoir beaucoup plus d’éléments pour pouvoir ensuite faire une synthèse réellement intelligente et adaptée à des situations réelles, humaines et complexes.

Il y a de nombreux métiers qui ne seront jamais remplacés par des IA : tous les métiers qui touchent l’humain, ou tout simplement le contact direct avec la réalité, ou ceux qui demandent une adaptation continuelle à des situations complexes. Pour le reste, l’IA remplacera probablement certaines tâches peu intéressantes, peut-être même certains métiers, en tout cas en partie, mais elle permettra aussi d’accéder à beaucoup d’activités infiniment intéressantes, parce qu’elle peut nous aider à aller plus loin et plus vite. L’IA peut, évidemment, menacer certains métiers, ou en tout cas de les faire évoluer, mais elle est aussi en train d’ouvrir des portes absolument incroyables et passionnantes, de nouveaux métiers deviennent possibles, de nouvelles façons de faire, et elle ouvre des horizons passionnants. Mais il est vrai que pour profiter de ces opportunités il faut être capable de s’adapter, de se réinventer. Mais il en a toujours été ainsi dans l'histoire du vivant : « s’adapter ou mourir ». Celui qui reste sur les modèles passés risque de se voir condamné à s’exclure de l’histoire, mais celui qui sait s’adapter, saisir les opportunités, se trouve sur une trajectoire passionnante de développement positif.

Ce qui est irremplaçable, c’est de toute façon l’individu. Pour l’IA, vous n’êtes personne, vous vous résumez à l’historique de vos interactions avec elle et ce qu’on trouve sur Internet à votre sujet. C’est très limité, et vous êtes infiniment plus que ces quelques données éparses. Il n’y a donc pas à avoir peur d’être remplacé par une IA. Au pire, ce qui peut être remplacé c’est ce que vous faites, mais pas ce que vous êtes. Ainsi dans le travail à la chaîne, beaucoup d’ouvriers peuvent être remplacés par une machine, et les employés sont interchangeables, remplaçables, mais chacun est en dehors de cette tâche limitée quelqu’un d’irremplaçable pour ses enfants, ses amis ou son conjoint. Peut-être que quelqu’un lui a dit une fois « je t’aime, c’est toi que j’aime et je veux vivre avec toi ». Il y a là quelque chose qui montre la valeur unique de tout individu. C’est ce que nous célébrons particulièrement dans nos églises avec le mariage, quand quelqu’un donne une importance unique à une autre personne en disant qu’elle est irremplaçable. Et ce choix n’a rien à voir avec aucun critère objectif, matériel, d’efficacité ou autre. Il n’y a là aucune « intelligence » qu’elle soit naturelle ou artificielle. Pourquoi aime-t-on son conjoint, ou un ami... c’est comme disait Montaigne : « parce que c’était lui, parce que c’était moi ».

L’IA n’est personne et se fiche de tout le monde. Vous vous êtes une personne, unique et irremplaçable !

3.
Et puis les spécialistes de l’IA disent que malgré l’efficacité extraordinaire de l’IA, ce qui est curieux, c’est qu’en effet, elle est évidemment très intelligente, au moins dans le sens où elle connaît beaucoup de choses, pourtant, d’une certaine manière, elle est moins compétente dans les circonstances qui le concernent qu’un chat. Un chat ne sait pas parler, il n’a pas le langage, pas même vraiment d’intelligence rationnelle, pourtant il a une véritable intelligence des situations et est capable d’appréhender énormément de choses pour adapter une réponse adéquate.

On pourrait même aller plus loin dans ce sens en remarquant qu’un enfant de 4 ans, qui a un langage très réduit, qui ne sait pas lire, qui a très peu de connaissances intellectuelles, est déjà capable d’infiniment de choses dont une IA auxquelles une IA restera toujours étrangère. Ou encore un nouveau-né, un tout petit bébé. Il ne sait absolument, rien intellectuellement, il ne sait rien faire. Ne vaut-il rien ? Est-il remplaçable par une IA ? Non. C’est ce que nous disons dans cet autre geste important de notre vie d’Eglise : le baptême. Quand on présente ainsi un petit enfant, on affirme bien qu’il a une valeur infinie, qu’il n’est jamais trop petit pour compter, ni pour ses parents, ni pour Dieu, qu’il est unique, aimé et sauvé.

Jésus lui-même a accueilli les petits enfants les prenants en exemple alors qu’ils en connaissaient infiniment moins que les pharisiens, champions de l’intelligence, de la connaissance et de l’efficacité des œuvres bonnes. Il dit même : « je te loue Père de ce que tu as caché cela au sage aux intelligents et que tu l'as révélé aux petits enfants. » (Matt. 11:25)

Oui, tout ne passe pas par le langage ou la connaissance, ce qui fait la valeur d’un être, c’est ce qu’il est, l’unicité de sa personne, et le fait d’aimer et d’être aimé.

4.
Mais cela ne veut pas dire que notre seule valeur serait hors de la pensée, de ne pas réfléchir, de n’avoir rien dire. Bien sûr, en tant qu’humain, nous avons une dimension intellectuelle, et même là, nous pouvons rivaliser avec IA ! En particulier dans le domaine de l’inventivité et de la nouveauté. En fait, l’IA est assez prévisible, elle ne dit pas grand-chose d’autre que ce qui a été déjà dit. En ce sens elle est très limitée, et pas si bien adaptée au monde que cela, car le monde est imprévisible et l’IA est incapable dans bien des domaines de savoir ce qui va se passer. Et même, ce qui est le plus intéressant dans le monde est souvent ce qui était imprévisible. Le présent n’est pas directement déductible du passé. Ainsi le Requiem de Mozart n’est pas déductible de toute la musique écrite avant. L’IA peut faire du pseudo Mozart ou du simil-Bach au kilomètre, mais sans aucun génie, sans surprise. Alors que Bach précisément a une part de son génie dans le fait qu’il a sans cesse inventé, fait du nouveau, de l’inédit, du surprenant, du « nouveau », c’est ce qui est intéressant. Le « nouveau » n’appartient pas à l’IA. Et chacun de nous avons un génie propre. Tous nous sommes capables d’inventer, d’innover, sortir du déterminisme. C’est en cela que l’humain est supérieur, il a une capacité d’inspiration, d’intuition, de créativité. Il peut choisir librement.

Ainsi un pasteur peut faire une prédication IA, ce serait une sorte de digest de tout ce qui se dit majoritairement sur un texte, il exposerait une opinion raisonnable que l’on peut trouver partout. Mais l’attente de celui qui va écouter un prédicateur, ou de celui qui va lire un livre autre qu’un ouvrage pédagogique, c’est d’entendre ce que l’on n’entend pas ailleurs, de trouver une idée originale, nouvelle, créative. Le prédicateur a une plus-value irremplaçable quand il apporte une dimension originale, soit intellectuellement, ou par une approche particulière, ou sa sensibilité. Cependant on ne peut nier que l’IA peut aider le prédicateur à ne rien oublier, elle est capable de lui résumer des milliers de pages, à faire le point de ce qui a été dit, et stimuler sa propre réflexion.

Parfois néanmoins l’IA peut se montrer créative, mais toute seule, elle peut tomber dans l’absurde ou le faux. Il est impératif qu’il y ait un humain pour contrôler ! Dans tous les cas, la synergie humain-IA est la plus efficace, les deux ayant des talents complémentaires.

5.
Et puis si l’IA est raisonnable et consensuelle, moi, je suis capable de prendre des décisions folles, contre toute prospective ou tout logique ! L’homme est capable de folie ! Or la folie est créatrice, elle est invention, nouveauté, liberté totale par rapport aux cadres. L’art est folie, le génie humain est d’être disruptif. Chat CPT est toujours raisonnable, il ressasse ce que la majorité dit sur Internet. C’est un bon point de départ, mais ne mène nulle part ailleurs que ce qui a déjà été dit. Ce peut être un bon point de départ, mais la vie, n’est pas répétition, elle est sans cesse nouveauté, invention et imprévu.

C’est ce que développe Paul dans son beau passage sur « la folie de la croix » (I Cor.1:17-31) ce message de l’Evangile qui est incompréhensible pour les gens normaux ! Par exemple que Dieu sait tout de moi, (plus que Chat-GPT ne sait) et pourtant il m’aime ! C’est fou, illogique, irrationnel. Pourtant ça m’ouvre des horizons nouveaux et change ma vie, plus que de tout savoir ce qu’Internet sait moi.

La nouveauté et la créativité est un des points forts de la parole de la Bible : ainsi dans l’Apocalypse (21 :5) Dieu dit-il : « Voici, je fais toute chose nouvelle » Jésus est appelé le « premier né de la nouvelle création », il nous dit : « Je vous donne un commandement nouveau » et cela pour que nous soyons des êtres neufs !

Et encore l’Evangile commence par l’appel à la repentance de Jean Baptiste, repris par le Christ, il marque la possibilité d’une vie nouvelle par le baptême dans le Jourdain, l’individu, lavé du passé peut devenir un être neuf et libre. C’est l’absolu contraire de l’IA qui n’oublie rien !

Quant à Jésus, il dit : « je vous donne un commandement nouveau ... aimez-vous les uns les autres » (Jean 13:34)Cela n’est pas nouveau pour de vrai, le commandement d’amour est déjà dans l’Ancien Testament. Mais la nouveauté réside dans la suite : « ... comme je vous ai aimés », ça c’est nouveau : je suis aimé, pour aimer, c’est une vie nouvelle !

6.
Et donc... l’IA ne pourra jamais se passer de nous ! Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas que des êtres de parole ou d’intelligence, mais des êtres incarnés. Or notre civilisation tendance à oublier notre incarnation, à dévaloriser même nos fonctions organiques. Or le message central du christianisme, c’est que le Christ s’est incarné. Et cette réalité de l’incarnation n’est pas présentée comme une chute de l’idéal dans le moindre bien ainsi que l’on présenté les penseurs gnostiques ou néo-platoniciens. L’incarnation n’est pas une dégradation, mais une force et une puissance : elle permet une synergie de deux modes d’approche du monde qui sont différents.

Or en soi, l’IA n’est pas incarnée, elle est une réalité purement théorique et intellectuelle. Elle ne peut l’être que par l’utilisateur. Et c’est quand elle s’incarne qu’elle peut être vraiment positive. Ce que l’IA peut remplacer éventuellement n'est que ce qu’il y a de moins intéressant dans ce qu’elle essaye d’imiter de l’esprit humain. On peut donc lui laisser sans crainte faire la partie de travail qu’elle peut faire et même faire mieux que nous. Cette part du travail est loin d’être tout, et nous laisse à nous tout le plus intéressant, nous permettant d’aller encore plus loin dans la véritable plus-value qui est l’humain. Et il nous faut nous rappeler la parole qui a peut-être été dite sur notre vie, la parole la plus importante, la plus fondatrice qui est celle du jour de notre baptême : vous êtes aimé pour aimer.

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