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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Conférences de l'Étoile - novembre-décembre 2002

La vie, le destin et l'amour

 

COMMENT ACCEPTER DE VIEILLIR ?

 

La vieillesse fait peur, beaucoup plus que la mort. C'est ce que dit Jacques Brel : "Mourir cela n'est rien, Mourir la belle affaire, Mais vieillir… ô vieillir."

 

Le poids des ans.

Mais, en fait, que signifie "avoir conscience de vieillir" ? C'est loin d'être évident.
La notion de vieillissement est très différente de celle de maladie. Si mon intestin est malade, je m'en aperçois, même si, dès qu'il est guéri, je n'y pense plus. En revanche, je continue à vieillir sans vraiment m'en rendre compte. 
"Si les autres vous voient vieillir, nous, paradoxalement nous ne le percevons qu'accidentellement dans ces moments où le corps se dérobe aux exigences de l'action. Nous avons toujours le sentiment d'être le même à travers le temps qui passe" (1). C'est un peu comme lorsque l'on est dans un train. Nous avons l'impression d'être immobile et que c'est le paysage qui change. Lorsque nous vieillissons, nous avons l'impression de rester le même et que c'est le monde et les autres qui changent. 
C'est après coup que je réalise que j'ai vieilli, et par comparaison avec ce que j'étais avant. 
Si je me vois sur une photo d'il y a trente ans, je me rends bien compte que j'ai vieilli. Mais c'est comme si cette photo représentait quelqu'un d'autre que moi. Ce n'est que par un effort de mémoire que je peux me comparer à celui que j'étais à vingt ans lorsque je séduisais les filles et montais les escaliers quatre à quatre.
Ainsi, avoir le sentiment de vieillir, c'est d'abord se souvenir de ce que l'on a été. Le sentiment de vieillir, c'est peut-être surtout la tristesse de ce souvenir.
Prendre conscience que l'on vieillit, c'est aussi commencer à calculer son âge non pas par rapport à la date de sa naissance mais plutôt par rapport à la date probable ou possible de sa mort. Ainsi je calcule que, ayant soixante ans et espérant vivre jusqu'à soixante-quinze, il me reste donc quinze ans à vivre, c'est-à-dire la même période qu'entre 45 et 60 ans, ce qui bien sûr me paraît très court (alors que la même période entre l'âge de 10 ans et l'âge de 25 ans me paraît, elle, avoir été très longue !). 

 

Une vie "diminuée" ?

Le fait de vieillir nous fait peur.
Pourquoi ? Parce que vieillir, c'est se sentir "diminué". Une vie "vieille" est une vie "diminuée" (2). C'est vrai : j'entends de moins en moins bien ; je marche moins vite et moins longtemps qu'avant. Mais je ne comprends pas pourquoi cela nous éprouve tellement. En fait, être "diminué" c'est un peu comme conduire une voiture de quatre chevaux après avoir conduit une voiture de huit chevaux. A dire vrai, cela ne me dérange pas. D'abord parce que cela se fait insensiblement, et ensuite parce que cela ne change pas considérablement la qualité de ma vie. Je me souviens de mon père qui était devenu très sourd et qui écoutait toujours autant de musique. Et il n'avait pas l'impression d'y prendre moins de plaisir. 
En fait, les menus plaisirs de la vieillesse nous procurent la même quantité de plaisir que les plaisirs soi-disant intenses de la jeunesse. Certaines dames âgées éprouvent un énorme plaisir à déguster une profiterolle enrobée de chocolat. Et les déplaisirs soi-disant énormes de la vieillesse ne nous affectent pas forcément davantage que les déplaisirs soi-disant sans importance de la jeunesse. Perdre son époux à quatre-vingts ans ne vous éprouve pas forcément plus que de perdre un emploi à trente.
C'est vrai, on est très souvent impressionné par le fait que les personnes âgées ont une vie "diminuée". Jacques Brel dit et chante "Les vieux ne bougent plus ; leurs gestes ont trop de rides ; leur monde est trop petit. Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit". Mais, me semble-t-il, ceci est vrai surtout pour des observateurs extérieurs. Je ne suis pas sûr que les personnes âgées le ressentent aussi fort. Elles ne souffrent sans doute pas autant qu'on pourrait le penser de cette vie étriquée. 
La chanson de Jacques Brel a été écrite par un homme de 40 ans. Et ce qu'elle montre, c'est le regard d'un homme de 40 ans sur la vieillesse. Ce qu'elle montre, ce n'est pas la vieillesse, c'est la peur de vieillir.

 

Comment accepter de vieillir ?

Comment accepter de vieillir ? Je répondrai : en s'y prenant très tôt. 
De façon générale, il faut "faire son deuil" avant d'être effectivement en deuil. Ainsi, pour se préparer à perdre son père et sa mère, il faut s'y prendre bien avant leur mort et faire son deuil de leur mort à venir pendant qu'ils sont encore vivants. Il faut penser sans cesse au fait qu'ils seront plus là alors qu'ils sont encore là. Et lorsque leur mort vient effectivement, cela est beaucoup plus supportable parce que le travail de deuil a déjà été fait.
Et, me semble-t-il, c'est la même chose pour ce qui est du deuil de sa jeunesse. Il faut "travailler à vieillir" avant d'être vieux. Il faut vivre en se sachant vieux et en se sentant vieux bien avant d'être effectivement vieux. Et lorsque l'on deviendra effectivement vieux, cela sera moins pénible parce que on aura été "vieux" depuis longtemps. 
Je sais bien que ce que je dis là s'oppose à toute l'idéologie actuelle. On dit "Il faut rester jeune le plus longtemps possible, il faut se sentir jeune le plus longtemps possible, il faut prendre la pilule Viagra, il faut retarder le vieillissement, il faut apprendre les mille et une façons de préserver son capital jeunesse, il faut porter des jeans après cinquante ans passés. 
Eh bien non ! Il faut, très tôt, travailler à devenir vieux comme on fait un travail de deuil. Cela peut commencer très tôt. Je me souviens d'une catéchumène de seize ans qui disait à ma fille de quatorze ans : "Qu'est-ce que je me sens vieille !". Eh bien, cette jeune fille supportera sans doute mieux d'être vieille quand elle sera effectivement vieille. 
Et l'on peut également "travailler à vieillir" lorsque l'on a trente ans, lorsque l'on a cinquante ans... Ce travail de deuil à propos des pertes subies à chaque âge de la vie est essentiel. Il permet d'aborder la vieillesse en douceur, comme si de rien n'était.
Le deuil d'avoir à vieillir et à devenir vieux, on ne le vit vraiment qu'une seule fois dans sa vie. Et mieux vaut le faire le plus tôt possible.

 

La peur de vieillir.

La peur de vieillir, c'est un peu comme la peur de la retraite. On a peur avant la retraite. Mais, quand on est à la retraite, cela ne se passe pas si mal que cela. 
Ce qui est éprouvant, ce n'est pas tant le fait de vieillir, c'est plutôt la peur de vieillir. Mais, comme on dit, il y a sans doute plus de peur que de mal. 
En fait, je le dis tout net, je considère que la vieillesse a des avantages considérables sur l'adolescence, la jeunesse et l'âge mûr. Ainsi, à mon avis, lorsque l'on a trente-cinq ans, le plus dur est derrière soi. Et à plus forte raison lorsque l'on en a soixante ou quatre-vingt.
En fait, on peut éprouver des souffrances physiques considérables à 30 ans, et aussi et surtout des souffrances psychologiques et relationnelles intenses, d'abord avec ses parents, puis à l'intérieur du couple, puis avec les enfants-adolescents, et aussi avec les collègues, les concurrents, les supérieurs hiérarchiques. 
Contrairement à ce que l'on pense, quand on est jeune, on n'a pas "tout pour soi". On peut être très malade, très malheureux et se sentir très exclus.
Et lorsqu'on est jeune, on a un inconvénient supplémentaire : on n'a pas le droit d'être malheureux et surtout pas le droit de se plaindre. Au contraire, lorsqu'on est vieux, on a le droit non seulement d'être plaint mais aussi d'être à plaindre. On n'a plus besoin de "porter beau". On n'a plus besoin de "faire semblant" ni de jouer un rôle. Alors que, lorsqu'on est jeune, on a presque le devoir d'être ambitieux et de réussir, lorsqu'on est vieux, on peut, enfin, être sans prétentions et sans ambition. On a enfin le droit d'être ce que l'on est. Et on peut se donner le droit d'avoir des défauts. 
En fait, me semble-t-il, la vieillesse autorise une certaine liberté. Car l'homme est libre lorsqu'il considère sa vie comme un manteau qui ne tient que par un cordon et qui peut à tout instant se défaire. Il est libre parce qu'il n'a plus rien ni à perdre, ni à gagner, ni même à conserver. 
Dernièrement, un livre a paru sous le titre " Le désir de vieillir " (3). Ce titre peut paraître scandaleux. Et pourtant, c'est vrai. De même que l'enfant a un désir de grandir et de devenir plus vieux, l'adulte peut avoir aussi un "désir de vieillir", et ce même s'il le refoule. 
C'est en particulier vrai sur le plan sexuel. Désirer ne plus désirer. Mais c'est aussi vrai sur d'autres plans. Ne plus avoir le devoir de rester jeune, de faire jeune, de penser jeune. En fait il y a un désir de vieillir comme il y a un désir de la retraite. 

 

L'ennui.

Ce qui fait peur dans la vieillesse, ce n'est pas tellement la souffrance (les médicaments peuvent la diminuer), ce n'est pas tellement la solitude (on peut s'en accorder), c'est surtout l'ennui.
Mais je voudrais dire ceci. Il ne faut pas confondre l'ennui avec la solitude. La solitude est tout à fait supportable et même agréable, lorsqu'on ne s'ennuie pas. Elle ne devient pénible que lorsqu'elle suscite l'ennui. Ainsi l'ennui est le seul véritable problème. 
A propos de l'ennui, je ferai quelques remarques.

> Première remarque. L'ennui n'est pas l'apanage de la vieillesse. On s'ennuie à tous les âges. Châteaubriand prétendait s'être ennuyé dès le ventre de sa mère. L'enfant s'ennuie beaucoup : l'école, les vacances, les "je ne sais pas quoi faire!". Les jeunes aussi s'ennuient et pas seulement pendant les heures de cours. On sait que la délinquance n'est qu'une forme d'ennui. Et l'on s'ennuie aussi beaucoup à l'âge mûr en couple, au travail, en week-end, en famille, sans famille... Il n'est pas du tout certain qu'on s'ennuie d'avantage quand on est vieux.

> Deuxième remarque. On ne s'ennuie pas forcément quand on est vieux. En effet, l'ennui procède souvent d'une énergie qui ne trouve pas à s'employer. Et c'est pourquoi, si l'on a moins d'énergie (comme c'est le cas lorsque l'on vieillit), on s'ennuie moins. Il est rare que les personnes âgées disent qu'elles s'ennuient, et ce parce qu'elles font les choses beaucoup plus lentement.

> Troisième remarque. Il existe peut-être un "remède" à l'ennui. Ce n'est pas le divertissement. Et ce n'est pas non plus l'activité, contrairement à ce que tout le monde pense ("si tu t'ennuies, fais quelque chose, remue-toi" entend-on dire). Bien au contraire, le remède à l'ennui, c'est le contraire même de l'activité. En effet, c'est la paresse. 
Je m'explique. L'ennui, c'est souffrir de ne rien faire. La paresse, c'est jouir de ne rien faire. Au fond, lorsque l'on s'ennuie, il suffit peut-être de se dire : "Et si, au lieu de m'ennuyer, je me mettais à paresser un peu !".

> Quatrième remarque. En fait, l'ennui peut aussi être une chance. Parce qu'il vous incite à trouver des palliatifs. Et ces palliatifs, c'est tout ce qu'on n'a pas trouvé le temps de faire dans votre vie. En fait, ces palliatifs, c'est l'essentiel. C'est regarder un coucher de soleil, regarder des enfants jouer, écouter de la musique. On peut enfin s'adonner à l'essentiel de la vie. Et l'essentiel de la vie, c'est de vivre ce qui vous plaît vraiment. Plus on vieillit, plus on comprend que la vie est belle.


Le sentiment d'inutilité.

Chez les personnes âgées, le sentiment d'inutilité et sans doute plus important et plus intense que l'impression d'ennui. En tout cas, il est plus fréquemment exprimé. 
A ce propos, je dirais ceci : ce sentiment d'être inutile, certes on peut le ressentir. Mais il n'est pas justifié.
Lorsqu'un de nos proches disparaît, il nous manque. Mais ce n'est pas parce qu'il nous était utile. Ce n'est pas à cause de ce qu'il faisait pour nous. Il nous manque tout simplement parce qu'il n'est plus là. C'est pourquoi il faudrait rassurer les personnes âgées. Il n'est pas nécessaire qu'elles fassent quelque chose d'utile pour être utiles. Il leur suffit d'exister. 
Je dirais aussi ceci. Plus une personne est dépendante et inutile, plus elle est utile. Parce que, de la sorte, elle permet à d'autres de devenir utiles.
Je constate souvent, à quel point, dans une maison de retraite, une personne de quatre-vingt cinq ans donne l'opportunité à des personnes de quatre-vingts ans de se rendre utiles, en lui rendant visite, en la conduisant à table (4)…
Je dirais encore ceci aux personnes âgées : "Si vous vous sentez inutiles, n'ayez crainte, les lis des champs le sont aussi, ainsi que les oiseaux du ciel, et bien des nocifs coûtent plus cher à la société que vous.
La vie est un cahier dont chaque jour tourne la feuille. Le matin, vous écrirez au bas de la page encore blanche ce petit mot : Amen.
Et au-dessus de cette signature, laissez s'écrire les lignes de votre journée avec leurs pleins et leurs déliés, leurs plaintes et leurs sourires. Et votre consentement préalable ôtera à ce jour son poison d'amertume et d'inutilité".

 

La mort.

Je n'ai pas encore parlé de la mort. En effet, pour moi, vieillir ce n'est pas se préparer à mourir. C'est d'abord profiter de la vie qu'il vous reste à vivre et ce d'autant plus intensément que l'on sait que l'on va mourir. Comme le dit Gide : "c'est une constante pensée de la mort qui donne du prix au plus petit instant de la vie". 
J'aime beaucoup cette phrase. Et j'aime beaucoup aussi cette parabole du Cardinal de Richelieu. Il écrit à peu près ceci.
Je descends le fleuve de ma vie comme si j'étais embarqué sur un esquif léger et fragile. Un jour, je le sais, je déboucherai dans l'océan sauvage, et ma petite embarcation, renversée et culbutée, me jettera dans la mort. Mais d'ici là, il m'est donné de descendre de tout son long le fleuve de ma vie.
Il y a deux manières de descendre ce fleuve. La première, c'est de rester à l'avant de la barque, les yeux fascinés par le moment où tout culbutera vers la mort. Je ne pense pas que ceci soit souhaitable. 
La deuxième manière, c'est de s'asseoir à l'avant de la barque mais en tournant le dos à la mort qui vient, c'est-à-dire à l'aval du fleuve vers lequel on descend. Ainsi, adossé à la mort, je regarde la barque qui est là devant mes yeux. Et dans la barque, il y a ceux qui sont embarqués avec moi. Je m'accule à la mort qui vient pour mieux ouvrir les bras au présent de la vie. Et je me hâte de vivre l'essentiel au milieu des futilités. 

 

Mourir guéri.

Ce qui importe, à mon avis, c'est de "mourir guéri" (5).
"Mourir guéri", l'expression peut surprendre. Mais elle est parlante par sa forme paradoxale. Guéri de quoi ? Je répondrai "guéri de la vie", de ses souffrances et de ses blessures. Mourir guéri, c'est mourir réconcilié avec la vie et avec sa vie. 
Mourir guéri, c'est mourir en ne gardant de la vie que le parfum de bonté de quelques visages rencontrés. Mourir guéri, c'est mourir en ayant, bien longtemps avant sa mort, remisé à jamais le bâton des rancunes, et vidé ses poches des colifichets et des broutilles qui les encombraient, pour pouvoir aller ainsi vers une mort claire et limpide. 
Dans la Bible (Prov 16,31), la vieillesse n'est pas considérée comme une punition pour ce qui a été vécu pendant la vie, comme s'il fallait tôt ou tard "payer" les fautes et les excès que l'on a commis pendant sa vie. Bien au contraire, elle est considérée comme une récompense, comme si, à la fin de sa vie, on "rattrapait", par le bonheur d'une pacification et d'une sérénité, tous les malheurs et les souffrances de la jeunesse et de l'âge mûr.
Sans doute faudrait-il concevoir la vieillesse non comme la phase terminale d'une maladie, celle des souffrances de la vie, mais plutôt comme une forme de convalescence, afin de mourir guéri des épreuves que l'on a dû endurer pendant son existence. 
Mourir guéri, c'est mourir "consolé" de sa vie. Cette "consolation", l'Evangile de Luc (Luc 2, 25-28) l'évoque comme une forme de promesse faite au vieillard Siméon. Il lui est promis qu'il ne mourra pas avant d'avoir connu la "consolation", c'est-à-dire avant d'avoir trouvé le Consolateur (le Messie). 
Mourir guéri, c'est mourir consolé d'avoir vécu sa vie. 
Dans le grec du Nouveau Testament, "consolateur" et "consolation" ont un sens très fort. Le "consolateur", c'est l'avocat (cf. I Jean 2, 1), celui qui vous "défend" lorsque vous êtes accusé. 
Mourir guéri, c'est mourir en ayant trouvé ce qui peut "défendre" la vie que l'on a vécue. Cela nous est quelquefois difficile. Lorsque l'on devient amer, en vieillissant, cela n'est pas forcément vis-à-vis des autres, cela peut être aussi vis-à-vis de soi-même et de la vie que l'on a vécue. 
Plût au ciel que l'on puisse alors découvrir qu'un Autre, le Consolateur, défend notre vie à notre place. 
Oui, mourir guéri, cela peut être mourir en étant guéri d'avoir eu une vie que l'on trouve indéfendable. Cela peut être mourir guéri d'avoir eu une vie que l'on juge absurde et qui n'a été vécue que pour rien. Et c'est peut-être cela l'ultime forme de la sagesse, ou l'ultime forme de la foi en la grâce. 
Mourir guéri, lorsque l'on est vieux, c'est mourir en ayant découvert ceci : tu as le droit d'être vieux, tu as le droit d'être triste, tu as le droit d'être inutile. Et c'est aussi découvrir ceci : tu as le droit d'avoir eu, même avant d'être vieux, la vie que ta as eue, même si tu la trouves peu reluisante. Et tu as ce droit par grâce. 
En fait, la vieillesse, c'est le moment où nous avons la possibilité d'éprouver toute la force de cette maxime de St-Paul et de Luther : Notre vie, quelle qu'elle soit, a une justification et cette justification lui est donnée par grâce seule. Lorsque, étant vieux, nous sommes tentés de considérer notre vie comme inutile et sans justification, nous pouvons nous écrier : Mais si !, mais cette justification, ce n'est pas à moi de m'ingénier à la trouver ; cette justification, elle lui est donnée et conférée, gratuitement, pour rien, sans raison, sans justification et par grâce seule. 
C'est lorsque nous ne pouvons plus fournir aucun justificatif pour justifier notre vie que nous pouvons découvrir la liberté de pouvoir dire : je vis pour rien, je vis par grâce. 
La vie est un cadeau. Tu as le droit de vivre de tout son long le fleuve de la vie, même si tu ne sais pas pourquoi il t'a été donné de vivre. Oui, sache-le, même maintenant que tu es vieux, la vie est encore un cadeau qui t'est fait, même si elle ne t'a pas fait de cadeaux.

Alain Houziaux


(1) Bernard Andrieu, in Le besoin de vieillir, sous la direction de J.C. Reinhardt et J. Bouisson, L'Harmattan, 2001, page 31.

(2) Lorsque tu seras vieux, "tu seras dans l'obscurité comme lorsque la lumière du soleil pâlit. Tu ressembleras à un gardien qui tremble de peur devant la maison, à un homme vigoureux qui se courbe, à une servante qui arrête de moudre, à une femme qui cesse de paraître à sa fenêtre" (Eccl 12,5-7).

(3) Op cit.

(4) Une étude de l'Université du Michigan montre que les personnes âgées qui consacrent au moins une partie de leur temps à aider les autres présentent un risque de mortalité de 60% inférieur aux séniors qui se replient sur eux-mêmes. Quotidien du Médecin, mardi 19 novembre 2002.

(5) Nous tenons cette expression de André Comte-Sponville.