Où est donc Emmaüs ?
Prédication prononcée le 24 avril 2011, jour de Pâques, au Ttemple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot
Le récit des pèlerins d'Emmaüs est l'un des plus beaux de ceux qui mettent en scène le Christ ressuscité. Mais un problème, c'est ce nom de village « Emmaüs » : personne, en fait, ne sait où cela pouvait se trouver. Il n'en est jamais mention dans l'Ancien Testament, et aucune villa n'a jamais porté ce nom. Aujourd'hui, on l'attribue à plusieurs villes possiblement, en fonction de leur distance par rapport à Jérusalem : 60 stades selon le texte, ce qui fait à peu près 10km.
Pourquoi Luc mentionne-t-il un nom de ville si il ne représente rien ?
Dans toute recherche de ce genre, il faut d'abord de pencher sur le texte, et en particulier sur les variantes qu'il peut avoir. Or à cet endroit, certains manuscrits, parmi les plus fiables, donnent non pas « Emmaüs », mais « Oulammaüs », et là on a une piste : c'est un nom de ville cité dans l'Ancien Testament, plus particulièrement dans le récit du rêve de Jacob où il voit une échelle entre le Ciel et la Terre et des anges qui y montent et descendent (Gen. 28:10-21).
Or ce récit a des ressemblances frappantes avec le nôtre. Tous deux se passent au coucher du soleil. Il y est fondamentalement question d'un lien entre le Ciel et la Terre, pour Jacob, c'est une échelle avec des anges, et dans l'Evangile, c'est le Christ lui-même qui vient de Dieu, et donc descend du Ciel, et qui y remonte. Dans les deux cas, il y a une présence de Dieu qui n'est pas comprise tout de suite : les disciples d'Emmaüs diront : « notre cœur ne brûlait-il pas au dedans de nous », et Jacob : « Certainement, Dieu est présent en ce lieu et je ne le savais pas ». Dans les deux textes, il est question que Dieu donne son pain à manger, et dans les deux cas, le but est de retourner dans la maison de son Père, c'est-à dire à Jérusalem.
Les disciples, comme Jacob, sont en train de s'éloigner de Jérusalem ou de la Terre Promise. Jacob est en fuite, et les disciples en déroute dans leur déception. On pourrait dire vulgairement qu'ils filent un mauvais coton. Or c'est le sens du nom de la ville qui est cité : « Oulam-Maous » signifie « la porte du défaut », ou « la porte du crime », et la variante « Oulam-Louz » signifie « la porte de l'éloignement », « la porte de l'abandon ». On ne pourrait mieux dire. Et « Emmaüs » signifie encore la même chose : « la force (ou la puissance) du crime ». En fait, donc la variante de l'Evangile n'en est pas une puisque le sens hébreu est le même.
Les disciples, ensuite, vont à 60 stades de Jérusalem, or « 6 » est le nombre du mal, ils s'éloignent de la présence de Dieu, ils sont dans le refus de Dieu. Comme Jacob, ils sont dans une fuite en avant qui ne peut les mener nulle part.
Et c'est là qu'est une bonne nouvelle : même dans nos chemins d'égarement, Dieu nous rejoint et fait route avec nous sans nécessairement que nous nous en rendions compte, mais bien réellement. C'est ce qu'il promet d'ailleurs à Jacob : « Voici, je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras, et je te ramènerai dans ce pays; car je ne t'abandonnerai point » et c'est aussi ce que promettra le Christ ressuscité à ses disciples : « Voici je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde ».
Et ce mode de présence de Dieu, présence qu'on ne reconnaît pas forcément tout de suite, mais si efficace, il est avant tout dans sa parole, c'est à dire dans la lecture et la méditation de la Bible. Cela est explicite dans le récit de Luc. Mot à mot, il est dit que le Christ apparaît « dans leur discourir et leur co-rechercher », c'est à dire dans leur discussion et leur recherche commune concernant les événements de la vie du Christ. C'est dans cette parole qui circule entre eux que le Christ se rend présent et chemine avec eux. De même, Jacob est mis en présence d'anges, or les « anges », ce ne sont pas des créatures, mais des « messagers », Dieu est présent dans des paroles qui montent et qui descendent entre Dieu et lui. Dans un autre passage, Jacob se bat avec un ange, il faut se battre corps-à-corps avec la Bible, avec le Christ, il faut débattre, rechercher à plusieurs, en parler pendant toute la nuit. Il peut s'y trouver une forme d'aridité, mais c'est ce qui permet d'accéder à la bénédiction, et à une actualisation de la présence active de Dieu.
Il est vrai que ce travail n'est pas facile, la parole elle même nous remet en cause, elle nous contrarie, comme le Christ qui tance vertement les disciples : « hommes sans intelligence, et dont le cœur est lent à croire » ou Jacob qui sort boiteux de son combat, mais il en sort aussi béni, et les disciples avec une grande joie.
Mais dans un premier temps, cela semble ne rien leur apporter. Ils ne découvriront cette présence qui les accompagne que lorsque le Christ leur donnera du pain à manger. Pour comprendre cela, il faut éviter de tomber dans une interprétation sacramentelle qui dirait que le rite aurait une puissance intrinsèque, avec une suprématie du geste sur la parole, il faut comprendre la Cène dans la signification qu'elle a de distribution de parole, de l'Evangile comme nourriture spirituelle, le pain de vie qui est le Christ lui-même et qui se donne au monde. Le basculement se fait donc dans l'expérience fondamentale, la découverte que cette parole peut nourrir. Dans un premier temps, la lecture, la méditation, le débat peuvent sembler des démarches purement intellectuelles, une curiosité, mais ensuite, on peut découvrir que dans cette parole qui circule, il y a quelque chose de bon. C'est ce que pressentent les disciples quand ils disent : « reste avec nous, le jour décline ». Ils vont trouver enfin que cette présence nourrit leur âme, alors tout change dans leur vie.
Alors ils reviennent de leur égarement et retournent vers Jérusalem, c'est-à-dire vers Dieu. Alors ils cessent de s'éloigner de tout, ils cessent de fuir pour revenir vers les autres, et ils deviendront eux même promoteurs, témoins de cette parole de vie.
Ce qui est curieux, néanmoins, dans le texte, c'est que le Christ leur est retiré quand ils le découvrent. On quitte là la petite histoire édifiante qui pourrait se contenter de dire qu'il faut chercher le Christ dans sa parole, pour arriver à des choses plus subtiles et profondes. Ce qu'on ne peut qu'en conclure, c'est que la parole n'est pas un but en soi, c'est un pédagogue, et il ne faut pas en rester là. On pourrait dire la même chose de la pratique religieuse. Le but, c'est d'aller vers Dieu et d'aller vers les autres, d'agir, pas de rester dans la contemplation passive, pas de jouir béatement de la douce présence de Dieu, mais de se considérer comme envoyé en mission. Pour cela il faut arrêter de rester dans la contemplation et agir dans le monde comme si Dieu n'était pas là. Comme dans bon nombre de paraboles où le maître responsabilise ses serviteurs, en leur donnant un vrai rôle parce que lui s'en va en voyage. C'est ce que dira le Christ à un moment : « Il est avantageux pour vous que je m'en aille ». Si l'on est sans cesse à attendre que Dieu nous donne, il n'y a plus d'action possible.
En fait, ce qui est fécond, ce n'est ni l'absence, ni l'obsession permanente de Dieu, mais sa présence dans son absence et son absence dans sa présence. Si Dieu est absent, il faut le chercher et le rendre présent, s'il est présent, il faut le laisser de côté et agir comme si nous étions seuls responsables de l'action dans le monde.
Cela peut être vu aussi dans l'histoire du rêve de Jacob : les anges qui montent et qui descendent sur l'échelle sont habituellement interprétés, puisque l'ange est un messager, comme des paroles qui viennent de Dieu, et des prières qui montent de nous vers lui. Mais on pourrait lire autrement et penser que ces anges ne sont que des messagers divins, des paroles qui sont données par Dieu, puis qui s'en vont, la présence de Dieu qui est donnée et retirée. Les disciples vont expérimenter cela : le Christ se donne présent lors de la Cène, puis ils sont confrontés à une absence réelle devant le tombeau vide, puis de nouveau une présence par l'expérience de Pâques, puis de nouveau à une absence par l'Ascension. C'est ce mouvement de va-et-vient qui est créateur, s'il manque un des deux, la foi ou l'absence de foi tombe dans la stérilité ou dans l'asphyxie.
Ainsi, grâce à Dieu qui nous accompagne, si nous acceptons de marcher avec lui, de nous batailler avec lui alors notre vie de tout triste qu'elle peut être devient une joie et une lumière, d'endormis, nous nous réveillons, de couchés et abattus, nous nous relevons, ce qui est le sens de Pâques.
C'est par ce procédé que nous pouvons être bénéficiaires de la bonne nouvelle de Pâques, de la résurrection qui ne concerne pas que le Christ, et alors aussi, et c'est le dernier des grands miracles que Pâques propose à ceux qui veulent cheminer avec la parole, le lieu qui s'appelait autre fois « Portail de la perversion », et « de l'éloignement » s'appelle désormais: « La Porte des Cieux », « la Maison de Dieu ».
C'est la juste conclusion du texte de l'Echelle de Jacob qui s'applique aussi au récit de Luc et que je prie Dieu qu'il puisse aussi s'appliquer à chacun d'entre vous en ce temps de Pâques.
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Luc 24:13-35
Et voici, ce même jour, deux disciples allaient à un village nommé Emmaüs (Oulammaüs), éloigné de Jérusalem de soixante stades; et ils s'entretenaient avec eux de tout ce qui s'était passé.
Pendant qu'ils parlaient et recherchaient ensemble, Jésus s'approcha, et fit route avec eux. Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Il leur dit: De quoi vous entretenez-vous en marchant? Et ils s'arrêtèrent, tout tristes. L'un d'eux, nommé Cléopas, lui répondit: Es-tu le seul qui, séjournant à Jérusalem ne sache pas ce qui y est arrivé ces jours -ci? Quoi? leur dit-il. - Et ils lui répondirent: Ce qui est arrivé au sujet de Jésus de Nazareth, qui était un prophète puissant en oeuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple, et comment les principaux sacrificateurs et nos magistrats l'on livré pour le faire condamner à mort et l'ont crucifié. Nous espérions que ce serait lui qui délivrerait Israël; mais avec tout cela, voici le troisième jour que ces choses se sont passées. Il est vrai que quelques femmes nous ont fort étonnés; s'étant rendues de grand matin au sépulcre et n'ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire que des messagers leurs sont apparus et ont annoncé qu'il est vivant. Quelques-uns de ceux qui étaient avec nous sont allés au sépulcre, et ils ont trouvé les choses comme les femmes l'avaient dit; mais lui, ils ne l'ont point vu.
Alors Jésus leur dit: O hommes sans intelligence, et dont le coeur est lent à croire tout ce qu'ont dit les prophètes! Ne fallait-il pas que le Christ souffre ces choses, et qu'il entre dans sa gloire? Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait.
Lorsqu'ils furent près du village où ils allaient, il parut vouloir aller plus loin. Mais ils le pressèrent, en disant: Reste avec nous, car le soir approche, le jour est sur son déclin. Et il entra, pour rester avec eux. Pendant qu'il était à table avec eux, il prit le pain; et, après avoir rendu grâces, (il le rompit), et le leur donna. Alors leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent; mais il disparut de devant eux. Et ils se dirent l'un à l'autre: Notre coeur ne brûlait-il pas au-dedans de nous, lorsqu'il nous parlait en chemin et nous expliquait les Ecritures?
Se levant à l'heure même, ils retournèrent à Jérusalem, et ils trouvèrent les onze, et ceux qui étaient avec eux, assemblés et disant: Le Seigneur est réellement ressuscité, et il est apparu à Simon. Et ils racontèrent ce qui leur était arrivé en chemin, et comment ils l'avaient reconnu au moment où il rompit le pain.
Genèse 28:10-21
Jacob partit de Beér-Chéba et s'en alla à Harân. Il atteignit un endroit où il passa la nuit, car le soleil était couché. Il prit l'une des pierres de l'endroit, il la plaça sous sa tête, et il se coucha à cet endroit.
Il eut un rêve. Voici qu'une échelle était dressée sur la terre, et son sommet touchait au ciel ; et les anges de Dieu y montaient et y descendaient. Or l'Éternel se tenait au-dessus d'elle ; il dit : Je suis l'Éternel, le Dieu d'Abraham, ton père, et le Dieu d'Isaac
... Voici : je suis moi-même avec toi, je te garderai partout où tu iras et je te ramènerai dans ce territoire ; car je ne t'abandonnerai pas, avant d'avoir accompli ce que je te dis.
Jacob s'éveilla de son sommeil et dit: Certainement, l'Éternel est présent dans cet endroit, et moi, je ne le savais pas !
Il eut de la crainte et dit : Que cet endroit est redoutable ! Ce n'est rien moins que la maison de Dieu, c'est la porte des cieux !
Jacob se leva de bon matin ; il prit la pierre qu'il avait placée sous sa tête, il l'érigea en stèle et versa de l'huile sur son sommet. Il donna le nom de Béthel à cet endroit, mais la ville s'appelait Oulammaüs (aupraravant Luz). Jacob fit un vœu en disant : Si Dieu est avec moi et me garde sur la route où je vais, s'il me donne du pain à manger et des habits pour me vêtir, et si je retourne en paix à la maison de mon père, alors l'Éternel sera mon Dieu. Cette pierre que j'ai érigée en stèle, sera la maison de Dieu. Je te donnerai la dîme de tout ce que tu me donneras.