Marie aux Noces de Cana
Jean 2:1-11
(Lire aussi: Jean 20:30-31, Jean 3:1-6)
Prédication du 9 janvier 2005 au temple de l'Etoile à Paris par Pasteur Louis Pernot.
Jean ne parle pas de la naissance du Christ, mais il est le seul des quatre évangélistes qui donne à Marie un rôle essentiel dans le ministère du Christ. Elle est en effet montrée au début, comme initialisant le ministère de son fils lors des Noces de Cana, et à la fin au pied de la Croix lorsque Jésus lui confie son disciple préféré et réciproquement.
Les Noces de Cana ont une importance considérable dans Jean, puisqu'il s'agit du premier « miracle » de Jésus ou plutôt, littéralement du premier des « signes » qu'il nous donne pour que nous ayons la vie éternelle (Jean 20:31). Cet événement nous concerne donc d'une façon tout à fait radicale, nous qui sommes appelés à recevoir miraculeusement la vie.
Le fait que le Christ ait été présent dans cette noce est déjà en soi un message. Cela montre que le Christ n'est pas contre le mariage, ni la fête, ni la joie. Non seulement il y participe, mais son premier miracle sera même, non pas de ressusciter un mort ou de guérir un malade, mais de faire en sorte que ceux qui buvaient du vin pour faire la fête puissent continuer de le faire encore et mieux. Voilà qui semble bien trivial pour le fils de Dieu. Pourtant est-ce sans doute essentiel : la présence du Christ dans une vie ou dans le monde, c'est avant tout pour que les hommes soient heureux ensembles. Et c'est bien ce que le Christ apporte quand il est présent dans une vie : la joie. Certes, les convives ne seraient pas morts de soif sans le Christ, on peut très bien vivre avec de l'eau seulement, mais il manquerait une dimension essentielle qui est celle de la fête. Et ce qui est intéressant, c'est que le Christ a été invité sans arrière pensée intéressée de la part des hôtes. Or ce n'est que comme cela que le Christ peut être invité dans notre vie et qu'il peut au moment opportun y apporter l'essentiel: quand cette invitation est désintéressée. La foi, la prière, la pratique, la recherche de Dieu ne peuvent qu'être des démarches gratuites, même s'il est vrai qu'elles peuvent nous apporter beaucoup, car quand le Christ est présent dans une vie, tout est possible, et le Christ ne vient jamais de force.
Qu'est-ce donc qui va déclencher l'action du Christ ? Deux choses. La première, c'est le manque. Le vin étant dans le Bible le symbole de la joie (comme pour nous le Champagne), les convives vivaient joyeusement, mais dans des joies terrestres, et sans doute faut-il voir la limite des joies terrestres pour pouvoir vraiment bénéficier des joies spirituelles. Et il est vrai aussi que quand on goûte les joies spirituelles, (symbolisées par le vin produit par le Christ), on découvre qu'elles sont infiniment supérieures en qualité à toute joie terrestre, et en plus elles ont la grande qualité de ne pas trouver de limitation, de ne jamais manquer.
Vient ensuite l'action de Marie. Car c'est bien elle qui va déclencher l'action du Christ. Elle commence par remarquer ce manque, et elle s'adresse à Jésus. L'action de Marie est intéressante, parce que celle-ci est certainement dans l'Evangile de Jean, comme l'a toujours dit la piété romaine, l'image même du croyant. Son attitude est donc un modèle, et c'est son exemple que nous devons suivre. La mère de Jésus, ainsi, comprenant la limitation des joies terrestres s'adresse à Jésus en croyant qu'il peut faire quelque chose. Elle ne sait pas quoi, elle lui fait simplement part de ce manque. Elle reconnaît qu'elle a besoin de lui, que nous et notre maison avons besoin de lui, elle reconnaît que sans lui, la vie manque de véritable joie, que la vie est limitée, presque éteinte. Sans doute est-ce cela le sens même de la prière : dire à Dieu son manque, et attendre de lui sans forcément lui dicter ce que nous voudrions qu'il fasse, car nous sommes par définition incapables de deviner la nouveauté de vie que Dieu peut nous offrir. Marie ensuite, reste dans une confiance totale en Jésus et invite à la disponibilité : Faites ce qu'il vous dira. Elle s'en remet à lui.
La réponse de Jésus est néanmoins curieuse. Il lui dit : Femme, qu'y a-t-il entre toi et moi ! Sur ce point, les commentateurs ne sont pas unanimes. Certains voient là un rejet de la part du Christ. Si c'est le cas, l'enseignement n'est pas mauvais pour autant, cela montrerait que même s'il y avait quelque chose de maladroit dans la demande de Marie qui agace Jésus, néanmoins, il fera quand même le nécessaire, et Marie le sait bien. Nous ne devons alors pas craindre nos demandes maladroites à Dieu : même si notre prière n'est pas ce qu'elle devrait être, Dieu répond. L'essentiel, c'est de voir qu'il nous manque quelque chose et de compter sur lui. Mais d'autres pensent que la réponse du Christ n'est pas désagréable, au contraire, le sens en serait plutôt : « qu'y aurait-il entre toi et moi comme obstacle qui justifierait que je ne t'exauce pas ? » Et il est vrai que Marie prend cette réponse comme un feu vert de la part du Christ, et elle dit à ses serviteurs de se tenir prêts.
Dans tous les cas, Jésus, comme souvent, répond par une question. C'est peut-être en effet la première chose que nous apporte la foi, elle nous aide à nous poser des questions. Se poser des questions, c'est une chance pour se mettre en mouvement, et vivre. C'est une chance pour avoir soif d'une joie plus vraie.
Et précisément la question que Jésus pose là est essentielle: En tant qu'humain, c'est-à-dire en tant que vivant dans un corps, dans cette vie biologique qui est en train de s'épuiser, qu'avons-nous de commun avec le Christ ?
Qu'y a-t-il de commun entre le Christ et moi? C'est une question essentielle que l'on peut se poser pour savoir que faire, où aller, et recevoir cette certitude que nous sommes l'enfant bien-aimé de Dieu.
Et d'autre part, Jésus appelle ici Marie « femme », ce qui semble une curieuse manière d'appeler sa propre mère. Mais c'est justement qu'ici, comme au pied de la Croix, Marie en tant qu'image du croyant ne doit tant être vue comme la maman de Jésus, que comme une femme pouvant s'ouvrir à une vie de fécondité en s'unissant au Christ. C'est bien comme cela que nous devons nous considérer nous mêmes, à la suite de Marie. Ce n'est donc pas un hasard si nous sommes là au cours d'une noce. Dans toute la Bible, la noce est l'image de l'union de Dieu avec le croyant et de la joie que cela procure. Et d'ailleurs, Marie fait jouer à Jésus le rôle de l'époux. En effet, en Israël à cette époque, c'était à l'époux de fournir le vin de la noce (à la fin de l'histoire, les invités s'adresse bien d'ailleurs à l'époux pour lui demander d'où vient ce vin extraordinaire). Demander à Jésus de fournir le vin, c'est lui donner le rôle de l'époux, et Marie, qui nous représente, n'est plus vue dans le rôle de celle qui a enfanté le petit Jésus par son corps, mais comme chacun de nous elle est bien dans le rôle de la «femme», ou de la fiancée appelée à s'unir avec le Christ pour donner naissance à une réalité nouvelle.
Le procédé qu'utilise ensuite Jésus pour offrir ce vin merveilleux de la joie éternelle est bien complexe. Il s'adresse aux serviteurs, il leur demande de remplir d'eau six jarres qui servaient à des rites de purification, pour en servir ensuite le contenu. Cela semble bien compliqué, et tant qu'à faire un miracle, pourquoi cette mise en scène ? C'est sans doute parce que la démarche même est importante et c'est cette même démarche que nous devons reproduire dans nos vies pour bénéficier encore, symboliquement, du même miracle. Ces jarres étaient donc bien des jarres de purification. La religion des juifs de l'époque était pleine de commandements visant à purifier sa vie, à reconnaître son péché, son imperfection, et à affirmer le pardon de Dieu. Sans doute que le Christ nous invite à passer premièrement par cette démarche de confession de notre péché et de réception de l'annonce de la grâce. C'est d'ailleurs le point de départ de l'Evangile dans les trois autres Evangiles par la prédication de Jean Baptiste qui plongeait les gens dans l'eau en leur annonçant le pardon de leurs péchés et en les incitants à se convertir, à changer de vie. Là le Christ s'adresse à nous comme à des « serviteurs », il y a une dimension d'obéissance dans la foi. Si nous voulons bénéficier de la vie Eternelle et de la joie extraordinaire de Dieu, il nous faut non seulement s'unir à Dieu, mais peut-être aussi premièrement lui obéir. Pour les juifs, l'eau évoquait la bénédiction de Dieu, et pour eux, cette bénédiction se manifestait en particulier par les commandements que Dieu a donnés à Moïse. À ce stade de notre développement, Jésus nous propose de recevoir cette bénédiction et ces valeurs qui viennent de Dieu pour essayer de les vivre. L'Evangile ne nous dit pas que Moïse ne vaut rien du tout, que l'Ancien Testament doit être oublié en laissant de côté toute exigence. Il dit que l'on peut aller plus loin, en passant de l'eau de la purification au vin de la vie éternelle.
Ce n'est pas parce que l'Évangile nous annonce l'amour et la grâce de Dieu que tout comportement est bon, et qu'en faisant n'importe quoi, ou rien du tout, on est dans la vie éternelle. D'ailleurs le message essentiel du Christ reste un commandement : « aime Dieu et aime ton prochain comme toi-même ».
Dans cette vie sur Terre, nous sommes ainsi dans une époque de transition entre l'ancien et le nouveau Testament. C'est comme cela que l'on peut comprendre cette parole de Jésus à sa mère: mon heure n'est pas encore venue. À ce point de l'Evangile, à ce point où nous en sommes, à la porte de notre union au Christ, il est bon de passer par les six jarres d'eau pour que le Christ nous les transforme en vin. Mais quand « l'heure sera venue », dans les fins dernières, il nous donnera directement à boire le vin du Royaume de Dieu. L'Evangile de Jean ne raconte pas le dernier repas de Jésus où il donne la coupe de vin à ses disciples. Mais peut-être que c'est justement pour que nous ne confondions pas le vin de notre célébration avec ce vin spirituel qui vient directement de Dieu, ce vin qui est la vie même du Christ qui nous est donné par l'Esprit.
L'Evangile de Jean insiste souvent sur cette idée de venue progressive du Royaume de Dieu en nous, comme quelque chose qui naît et qui grandit. Nous sommes encore partiellement dans le temps d'obéissance, de la purification progressive de notre vie, et nous sommes déjà dans le Royaume nouveau où nous participons aux noces avec le Messie.
Jésus propose ici aux serviteurs que nous sommes de remplir nous-mêmes les six jarres de purification d'eau, et de puiser dedans. Remplir ces jarres, c'est se placer sous la source de la Parole et de la bénédiction de Dieu. Ce n'est pas lui qui nous remplit de force d'une eau que nous ne voulons pas, mais c'est nous-mêmes qui pour nous-mêmes guidons notre vie selon ce que nous indique notre conscience éclairée par la Parole de Dieu. Et miraculeusement, quand nous y puisons pour boire, ou pour donner à boire, cette eau est transformée en vin, en joie supérieure et en vie éternelle. C'est effectivement un miracle qui nous dépasse. Quelque chose que nous ne pouvons absolument pas faire par nos petits efforts humains pour nous purifier.
Il y a six jarres, nous dit le texte, dans la Bible le 6 évoque bien la création matérielle de notre vie en ce monde. Effectivement il est utile d'avoir des valeurs, d'avoir une vie un petit peu purifiée par la présence de Dieu. Mais tout cela est simplement une étape sur le chemin de la vie, un moment de croissance. En définitive, quand en nous l'heure du Christ vient, nous ne sommes plus seulement dans le 6e jour de la création matérielle, mais dans le 7e jour de la bénédiction de Dieu, c'est l'heure de la vie et de la joie. C'est l'heure du Christ.
Alors, nous sommes si plein d'Esprit et de vie que nous pouvons en distribuer avec abondance autour de nous, comme le maître du repas de noce. Et cette heure est maintenant venue.
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Jean 2:1-11
1Trois jours après, il y eut des noces à Cana en Galilée. La mère de Jésus était là. 2Jésus fut aussi invité aux noces, ainsi que ses disciples. 3Comme le vin venait à manquer, la mère de Jésus lui dit : Ils n’ont pas de vin. 4Jésus lui dit : Femme, qu’y-a-t-il entre toi et moi ? Mon heure n’est pas encore venue. 5Sa mère dit aux serviteurs : Faites tout ce qu’il vous dira. 6Il y avait là six jarres de pierre, destinées aux purifications des Juifs et contenant chacune deux ou trois mesures. 7Jésus leur dit : Remplissez d’eau ces jarres. Et ils les remplirent jusqu’en haut. 8Puisez maintenant, leur dit-il, et portez-en à l’organisateur du repas. Et ils lui en portèrent. 9L’organisateur du repas goûta l’eau changée en vin ; il ne savait pas d’où venait ce vin, tandis que les serviteurs qui avaient puisé l’eau le savaient ; 10il appela l’époux et lui dit : Tout homme sert d’abord le bon vin, puis le moins bon après qu’on s’est enivré ; toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à présent.
11Tel fut à Cana en Galilée, le commencement des miracles que fit Jésus. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.