Le Saint Esprit: un grand incompris...
Prédication du pasteur Alain Houziaux au temple de l'Etoile à Paris le 4 novembre 2001
On a un peu l'impression que le Saint-Esprit fait le lien entre les croyants (ceux qui croient en un Dieu, Père éternel et tout puissant), les chrétiens (ceux qui croient que, en Jésus-Christ, il y a le premier et le dernier mot du mystère de la vie, de la vérité ultime et peut-être aussi de l'après mort) et les agnostiques (ceux qui veulent bien croire à une forme de spiritualité, aux valeurs morales, à l'humanisme et aux aspirations les plus fondamentales de l'homme).
Et on a aussi un peu l'impression que le Saint-Esprit fait également le lien entre la théologie chrétienne et les autres religions : la spiritualité bouddhique, et aussi ce que l'on a appelé un certain temps la "nébuleuse New age" (l'astrologie, les médecines douces et les croyances aux guérisons surnaturelles qui, chacune à leur manière, pensent que l'univers tout entier est animé par une énergie spirituelle) et même l'Islam (puisque les musulmans pensent que Jésus-Christ, en annonçant la venue du Saint-Esprit, le Paraclet, qui viendrait après lui, a annoncé la venue du prophète Mohamed)
Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
En fait, si l'on veut comprendre quel est le rôle et la fonction de l'Esprit, il faut comprendre ce que l'on entend par les trois personnes de la Trinité : Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
Dieu le Père, c'est Dieu dans sa transcendance absolue et son mystère. Dieu le Père, c'est le Mystère qui est à l'origine de la création du monde, et aussi de la vie et aussi de l'homme.
Dieu le Fils, c'est Dieu en tant qu'il se révèle, c'est Dieu en tant qu'il parle, par sa Parole. Dieu le Fils, c'est Dieu en tant que Parole, en tant que Logos . Cette Parole, c'est d'abord celle qui édicte la loi de Moïse, les dix commandements que les juifs appellent les "dix paroles". Dieu manifeste sa volonté et son projet pour les hommes en édictant une Loi. Et cette Parole, c'est aussi Jésus-Christ qui nous révèle que Dieu est non seulement celui qui édicte une loi, mais aussi celui qui aime et qui pardonne.
Il ne faut pas confondre Dieu le Fils avec Jésus-Christ, même si nous l'appelons le Fils de Dieu. Dieu, en tant que Fils et Parole, a agi bien avant Jésus-Christ. Jésus-Christ, c'est l'"épiphanie", c'est-à-dire la manifestation de Dieu le Fils.
Dieu le Saint-Esprit, c'est Dieu en tant que dynamisme, énergie, souffle et même "vent". Il est générateur de mouvement, de vie, de liberté. Il se manifeste un peu comme un tourbillon. Il peut disperser en suscitant des individualités libres, autonomes et différentes les unes des autres. Mais il peut aussi rassembler. C'est lui qui a suscité l'organisation de l'univers, puis celle du peuple d'Israël, puis celle de l'Eglise. Là non plus, il ne faut pas confondre Dieu en tant qu'Esprit avec l'Esprit qui a soufflé le jour de la Pentecôte. Dieu en tant que Esprit a agi bien avant la Pentecôte. La Pentecôte, c'est l'"épiphanie" du Saint-Esprit, en tant que troisième personne de la Trinité.
Pour préciser les fonctions respectives du Fils et de l'Esprit, je donne une image. Dans un pays étranger, l'ambassadeur de France est le représentant de la France, et il est unique. Il est la "Parole" de la France. Et les ressortissants français de ce pays, en revanche, constituent, eux, une variété et une multiplicité d'individus différents les uns des autres mais qui ont tous le même "esprit" (l'esprit français) et constituent une communauté.
Ainsi le Fils, c'est l'ambassadeur, la présence, la manifestation, la Parole unique du Père. Et l'Esprit se manifeste, lui, dans chacun des hommes qui sont, tous ensemble et chacun en particulier, enfants de Dieu. Le Fils est unique, le Saint-Esprit est multiple.
Le début du livre de la Genèse.
Pour comprendre la différence entre Dieu en tant que Parole et Dieu en tant qu'Esprit, il faut revenir aux origines de la création, et même, pour être précis, un peu en deçà. Au commencement, avant la création du monde, il y avait Dieu et le tohu-bohu, c'est-à-dire une sorte de pré-univers et de "soupe originelle" (c'est le terme qu'on emploie en astro-physique) dans lequel il n'y avait ni temps, ni espace, ni lumière.
Et Dieu a été le créateur de notre univers à partir de ce pré-univers. Et cette création, Dieu l'a effectuée par l'une et l'autre de ses deux "mains" : la Parole (que l'on a identifiée par la suite à la deuxième personne de la Trinité) et l'Esprit (que l'on a ensuite identifié à la troisième personne de la Trinité).
Ainsi d'après le début de la Genèse, la création du monde se fait par la Parole de Dieu ("Dieu dit : qu'il y ait...") mais aussi par l'Esprit.
Et ces deux mains de Dieu sont différentes et distinctes.
La Parole, qu'on appelle aussi le Logos, c'est l'acte par lequel Dieu révèle son projet et son commandement. Dieu dit "qu'il y ait la lumière" et il y eut la lumière. Ensuite cette même Parole se manifestera et dictera la Loi de Moïse. Et ensuite, elle se fera chair en Jésus-Christ. Et le Saint-Esprit ,c'est ce qui, à partir d'une situation désorganisée (un tohu-bohu), suscite une sorte d'auto-organisation et même d'auto-création, et ce par une sorte de tourbillon et de mouvement en spirale (un peu comme un tourbillon fait "monter" une mayonnaise, ou un peu comme on parle de la spirale de la "montée" en puissance d'un phénomène, par exemple d'une rumeur). Ainsi, c'est Dieu en tant qu'Esprit qui, à côté de Dieu en tant que Parole suscite la création du monde. Et c'est aussi lui qui suscite le big-bang de la création de l'Eglise à partir de la dispersion informelle des disciples de Jésus. Lors de la Pentecôte, la fête de l'Esprit-Saint, il y avait là des peuples qui ne parlaient pas la même langue, et tout d'un coup, il s'est créé une situation de communication, et même une forme d'unité et chacun a pu parler la langue de l'autre.
La querelle du "filioque".
J'en viens à une querelle qui a divisé et qui divise toujours les églises chrétiennes. C'est la querelle du "filioque" qui a été à l'origine de la séparation entre les Eglises d'Orient (les Eglises que l'on appelle orthodoxes) et les Eglises d'Occident (le catholicisme puis, à partir du seizième siècle le protestantisme).
Expliquons-nous. Le Symbole de Nicée-Constantinople (qui est un Credo un peu plus tardif que le Symbole des Apôtres) énonce que le Saint-Esprit "procède du Père". Et, au dixième siècle, les églises d'Occident ont ajouté qu'il procédait du Père "et du Fils" ("filioque" en latin), alors que les églises d'Orient ont continué à dire qu'il "procédait" uniquement du Père et qu'il ne "dépendait" pas du Fils.
La question, c'est de savoir si la Parole de Dieu (Dieu en tant que Parole et Fils, c'est-à-dire en tant que deuxième personne de la Trinité) et l'Esprit (Dieu en tant qu'Esprit, c'est-à-dire en tant que troisième personne de la Trinité) sont, à côté du Père comme deux mains différentes de Dieu ayant une égale importance, ou si, au contraire l'Esprit est secondaire par rapport au Fils et s'il dépend de lui.
Si on reprend notre image, la question est de savoir si l'ambassadeur de France et les ressortissants français dans un pays étranger constituent deux modes distincts et indépendants l'un de l'autre de la présence de la France, ou si les ressortissants français dépendent de l'ambassadeur.
Quel est l'enjeu de cette querelle ? Pour les églises d'Occident, le Saint-Esprit n'est rien d'autre que l'esprit de Jésus-Christ, et ne peut agir que dans ceux qui se réclament de l'esprit de Jésus-Christ. Au contraire, pour les Eglises orthodoxes d'Orient, le Saint-Esprit a la même importance que Jésus-Christ et est indépendant de Jésus-Christ. Ainsi le Saint-Esprit peut agir indépendamment du Christ y compris dans des cultures non spécifiquement chrétiennes. L'enjeu de cette querelle, c'est donc de savoir si l'on peut être animé par l'Esprit de Dieu sans pour autant confesser que Jésus-Christ est le Fils de Dieu. C'est de savoir si les juifs, les bouddhistes, les musulmans, les agnostiques et les athées peuvent être animés par l'Esprit de Dieu de la même manière que les chrétiens. Et c'est aussi de savoir si, pour s'approcher de Dieu, la reconnaissance de Jésus-Christ comme Fils de Dieu est la seule voie possible, ou si on peut également s'approcher de Dieu par ce que produit l'Esprit (le sens esthétique, le sens moral, les œuvres sociales, la spiritualité soufi, etc.).
Et le problème, c'est aussi de savoir si le Saint-Esprit, c'est seulement ce que nous communique Jésus-Christ (et alors être chrétien, c'est être animé par l'esprit du Christ) ou si l'Esprit est aussi ce qui nous tourne vers Jésus-Christ et nous incite à le reconnaître comme le Fils de Dieu. Ou pour dire les choses autrement : est-ce que Jésus-Christ est le Fils de Dieu en lui-même, ou bien est-ce qu'il devient le Fils de Dieu parce que, animés par l'Esprit, nous le reconnaissons comme tel ? Et, de la même manière, on peut poser la question : est-ce que la Bible est la Parole de Dieu en elle-même et par elle-même ou est-ce qu'elle le devient lorsque nous la lisons en étant illuminés par l'Esprit ?
Et dans cette querelle je vous dirais que je me situe plutôt du côté des Eglises orthodoxes.
La chair et l'esprit.
Mais nous voulons maintenant préciser d'une autre manière la différence, et aussi la corrélation entre les "deux mains de Dieu" : celle de la deuxième personne de la Trinité, le Fils, et celle de la troisième personne de la Trinité, l'Esprit.
La deuxième personne de la Trinité, c'est Dieu qui s'abaisse dans la chair de l'homme. La troisième personne de la Trinité, c'est Dieu qui ressuscite l'homme et qui l'élève jusqu'à lui. La chair, c'est notre penchant vers le bas. L'esprit, c'est notre penchant vers le haut. En Jésus-Christ, Dieu s'est abaissé jusqu'à notre penchant vers le bas. Il s'est laissé aimanter par l'homme. Et par l'Esprit, Dieu aimante et élève l'homme vers lui. En Jésus-Christ, Dieu s'abaisse dans la "chair" (c'est-à-dire la faiblesse) de l'homme. En Jésus-Christ "La Parole se fait chair". Elle s'incarne dans la chair, (c'est-à-dire dans la faiblesse de l'homme et dans sa propension à pécher), pour la guérir de l'intérieur, comme un médicament qui rentre dans la maladie.
En revanche, grâce à l'Esprit, l'esprit de l'homme s'extirpe hors de sa chair et se met à désirer ce qui est au-delà et au-dessus de lui-même, à savoir Dieu. L'Esprit, c'est ce qui nous appelle à sauter plus haut que notre ombre, plus haut que nos limites, plus haut que notre chair. L'Esprit, c'est ce qui fait que nous avons les ailes plus grandes que notre nid.
L'Esprit, c'est ce qui suscite en nous la nostalgie de Dieu. D'âge en âge, les hommes de misère se transmettent le flambeau de leurs aspirations vers l'infini et l'au-delà. C'est l'Esprit qui suscite les révoltés et les révolutionnaires, les saints et les prophètes, et aussi les passionnés et les amants.
Et l'Esprit, c'est ce qui suscite en nous la foi, l'espérance et l'amour.
La foi, c'est reconnaître de l'invisible dans le visible. L'espérance, c'est guetter la lumière tout en se sachant aveugle. Et l'amour, comme le dit Victor Hugo, "c'est savourer au bras d'un être cher la quantité de ciel que Dieu a mis dans la chair".
L'Esprit, c'est ce qui nous fait scruter dans les lignes de la Bible une parole venue d'ailleurs et d'au-delà. Si la Bible n'est pas lue avec cette quête que suscite en nous l'Esprit, elle reste un message obscur. La Bible ne devient la Parole de Dieu que lorsqu'elle est lue à la lumière de l'Esprit, c'est-à-dire avec le désir que ce texte ardu, touffu et obscur rende compte, un peu comme un vitrail énigmatique et quelquefois incompréhensible peut rendre compte d'une lumière que nous ne pouvons pas voir, et qui, en elle-même, reste invisible. Ou, un peu comme un écho peut rendre compte d'une Parole que nous ne pouvons pas entendre.
Et l'Esprit, c'est également ce qui nous fait reconnaître Jésus de Nazareth comme le Fils de Dieu. De même que la Bible ne devient la Parole de Dieu que si elle est lue à la lumière de l'Esprit Saint, de même Jésus de Nazareth ne peut être reconnu comme le Fils de Dieu que s'il est appréhendé comme tel grâce à l'Esprit. "Nul ne peut dire que Jésus-Christ est Seigneur si ce n'est pas l'Esprit" (I Corinthiens ; 12,3).
C'est l'Esprit qui nous fait reconnaître dans Jésus, cet humble mortel déchiqueté par l'histoire, un signe, une parole et un miracle qui est l'image de l'incompréhensible altérité divine, de l'inconnaissable majesté de Dieu, de l'insaisissable mystère de l'Au-delà. Ainsi nous nous prosternons devant Jésus pour qu'un nom et un visage nous soient donnés lorsque nous invoquons Celui qui est au-delà de tout nom et de tout visage. Car dans notre faiblesse d'homme nous avons besoin d'avoir une image de ce qui est pourtant au-delà de tout image. Ainsi, je pourrais renverser l'ordre qui est généralement donné aux trois personnes de la Trinité. C'est l'Esprit qui nous fait reconnaître et confesser Jésus de Nazareth comme le Fils de Dieu et comme l'Epiphanie de Dieu le Fils. Et c'est Jésus qui nous donne un reflet et un écho de Dieu le Père (Jean 14,6).
Amen.