La ville et la tour de Babel
Prédication au temple de l'Etoile à Paris le 23 novembre 2008
par le Pasteur Louis Pernot
Genèse 11:1-9 (Voir le Texte en fin de page)
La compréhension habituelle du récit de la Tour de Babel est d'y voir l'illustration de l'orgueil d'une grande réalisation humaine, qui retombe sur ceux qui en sont les auteurs. Comme si la Tour elle-même s'écroulait sur eux.
Mais cette lecture est incomplète, voire mauvaise: ce n'est en effet pas la tour qui s'écroule, mais Dieu qui empêche la réalisation du projet, et le texte lui-même est étonnant en ce qu'il ne dit pas que les hommes arrêtent la Tour, mais la Ville, Ville, qu'on passe trop souvent sous silence.
D'où vient donc l'attitude de Dieu? D'une espèce de Jalousie à l'égard de la puissance humaine? Pourquoi enlève-t-il la bonne entente entre les hommes? Alors qu'il semble que ce soit ce qu'il désire par ailleurs, comme nous le rappelle Paul: Ayez une même âme, une même pensée, un même amour... (Phil 2) Dieu veut-il Diviser pour mieux régner ? Voilà des questions qui incitent à aller au delà dans la réflexion.
Première interprétation: Les hommes de Babel ont tort, et Dieu a raison de s'opposer à eux:
On peut penser que Dieu s'oppose au projet des hommes parce qu'il était mauvais.
On nous dit en effet qu'ils s'éloignent de l'Orient, pays de la lumière et de la liberté pour aller dans une vallée obscure, une faille, une cassure (comme l'indique le mot hébreu). Ils quittent la lumière pour se couper de Dieu, et c'est d'autant plus grave qu'ils sont tous d'accord, il n'y en a pas un pour s'opposer à ce projet imbécile. En ce sens, ils sont pires que Sodome pour lequel Abraham a intercédé en disant qu'il y avait peut-être quand même 10 justes. Là, il n'y en a pas un seul.
C'est ça qui est grave, ce n'est pas vraiment l'erreur en soi, beaucoup de péchés nous sont montrés dans la Bible, mais jamais il n'y a de telle punition, c'est qu'il y a là plus grave l'unanimité au mal.
Et puis les hommes de Babel sont aussi coupables du mauvais usage de la technique: Une part important du texte est faite à l'invention des briques: dans un pays où il n'y avait pas de pierres, ils trouvent une solution: des briques qui servent de pierre, et du bitume de mortier. Or, il utilisent cette technique, non pas pour soulager la souffrance ou adorer Di eu, mais pour leur propre gloire.
Ils voulaient construire une tour qui s'élève jusqu'à Dieu: voilà bien une illustration du péché originel, l'orgeuil fou de croire que par la technique on peut égaler Dieu, avoir "la tête dans le ciel" et rivaliser de hauteur et de puissance avec Dieu, pour se passer de lui.
C'est faux, donc dangereux. Voilà pourquoi Dieu les en empêche.
Par ailleurs, et on en parle moins, ils voulaient aussi construire une ville. Quel est le problème?
C'est la perte de l'individualité. Mettre toutes ses forces pour la collectivité et non l'individu. Ils veulent construire une ville et une tour, "pour tous", et non pas une maison pour chacun. Ils veulent se faire un nom unique, au lieu laisser le multiple à l'humain et l'unicité à Dieu.
Il est dit aussi qu'ils avaient tous un même langage, mêmes mots, et cela ne signifie pas seulement une langue unique, mais qu'ils disaient tous la même chose. Un seul discours, une seule pensée pour tous. On est dans un monde de clônes: tous pareils, ils disent tous la même chose, font tous la même chose, il n'y a plus d'individus. C'est ça qui est dangereux, et que Dieu veut briser.
Quel est le danger? Dieu le dit Il n'y a plus d'obstacle à ce qu'ils auraient décidé de faire, c'est cela qui va le décider à les en empêcher. Or Dieu ne pense certainement pas qu'il n'y ait plus d'obstacle à ce qu'ils puissent réaliser ce qu'ils veulent, pour ça il y a toujours des obstacles, aucun homme n'est tout puissant, Dieu le sait bien, mais ce qui l'embête, c'est qu'il n'y ait plus d'obstacle à leurs décisions, à leurs choix: puisque tout le monde est d'accord, il ne peut y avoir personne pour s'opposer à un projet, pour proposer une autre idée, pour critiquer, pour les remettre en cause.Ils vont alors pouvoir décider des choses absurdes ou incroyables, et personne ne va s'y opposer C'est ça qui est grave.
C'est dans ce sens que le traité du Talmud Sanhédrin dit que pour les décisions importantes comme la peine capitale: un vote est fait au tribunal, et l'unanimité impose l'annulation du vote. Cela laissant supposer, soit que le tribunal a été acheté, soit qu'on a pas assez bien étudié la question pour en voir tous ses aspects. C'est très grave quand tout le monde est d'accord, il y a alors un terrorisme de l'opinion dominante, celui qui penserait autre chose se fait traiter d'extrémiste, de sectaire, quand on n'a même plus le droit de discuter ce qui semble admis par tous, l'humanité est en danger. Si il y a unanimité, c'est qu'on a oublié de voir un aspect des choses. Tout procès doit avoir un avocat Dieu veut qu'il y ait des opinions différentes.
Babel est une critique de la pensée unique, du politiquement correct, quand on n'a même pas le droit de formuler une pensée autre que ce qu'il convient. Babel va contre l'œcuménisme unanimiste, ou nivelant, demandant que tous les chrétiens expriment et vivent leur foi de la même manière, avec une morale universelle valable dans tous les cas dans tout l'univers et pour tous les temps ...
Dieu ne souhaite pas ça, ce qu'il veut, c'est un peuple: Or, en hébreu, peuple se dit Am, vient de Im, veut dire avec, et non pas semblable: des gens différents qui vivent les uns avec les autres.
Le danger de la pensée unique c'est que toute pensée humaine est limitée et à la limite fausse. Si personne ne discute une idée, on risque de croire qu'elle est absolument vraie, comme Dieu, et donc de prendre sa place. Il y a là le risque de l'idolâtrie de l'idée ou de l'intelligence humaine.
La réalité est dialectique, il y a toujours du pour et du contre, même pour une idée que l'on choisit de rejeter. Oublier cela c'est de l'intégrisme, et c'est en plus dangereux car le concret risque toujours de nous rappeler qu'il est plus complexe que nos théories.
Juste avant notre texte dans la Genèse, le signe donné par Dieu est non pas l'uniformité, mais l'Arc-en Ciel: c'est l'anti-Babel: diversité des couleurs mises les unes à côté des autres, Dieu ne dit pas que tout le monde doive être de la même couleur, mais de toutes les couleurs qui forment la lumière. Le signe de l'alliance, c'est le blanc séparé.
Deuxième interprétation, moins classique. (Justement pour défendre ceux que tout le monde accusent, et pour lutter contre la pensée unique): Les hommes de Babel sont un exemple.
Pour voir cela, il faut enlever de sa tête l'idée préconçue et reçue de tous que les gens de Babel doivent être coupables.
Jamais le texte ne dit que Dieu n'est pas content de leur projet ou que les humains soient mauvais, qu'il les punisse... On est donc autorisé à faire une lecture positive de cette histoire:
On peut voir alors comme un exemple ce peuple très uni: ils viennent de l'Orient, tout pleins de la lumière de Dieu, et s'ils vont dans le pays de la "coupure", c'est parce que Orient en hébreu (Quédem), veut dire aussi le Passé, ils rompent avec leur passé, pour une vie nouvelle: vivre en paix ensemble en s'élevant vers Dieu.
Ils veulent construire une ville, et une ville qui ait en son centre "une tour qui ait la tête dans le ciel", donc une ville dirigée par la présence de Dieu, c'est bien là notre vœu, que nos oeuvres soient reliées à Dieu, n'étant pas seulement des œuvres.
Ils ont en fait un double projet: une ville, donc faire des oeuvres qui les rassemblent tous comme des frères, et tour vers Dieu, voilà une illustration du commandement d'aimer Dieu et d'aimer son prochain, les deux choses essentielles.
Dieu ne peut que se réjouir de tout cela, qu'ils soient un seul peuple, et il dit émerveillé: voilà ce qu'ils ont entrepris de faire,... et que rien ne puisse désormais s'opposer à ce qu'ils auraient décidé de faire, n'est que l'illustration de ce que dit souvent la Bible, celui qui a la présence de Dieu, rien ne peut s'opposer à lui.
Mais regrette néanmoins une chose: c'est dommage que des gens si bien restent tous ensembles, alors qu'ils devraient mieux aller essaimer dans toute la terre pour témoigner, et faire des émules, au lieu de rester tous ensemble au même endroit à profiter du confort de leur vie évangélique. Il se dit qu'il faut les disperser pour qu'ils essaiment partout sur la Terre.
Il leur manquait juste d'obéir au commandement donné à Noé: Pullulez sur la Terre (9:7)
Alors Dieu descend, c'est dit deux fois, voilà une chose essentielle, ce n'est pas si souvent que Dieu descend. Il ne leur demande même pas d'avoir réussi à monter jusqu'à lui, c'est lui qui va vers eux, C'est là toute la théologie du salut par la foi, Dieu n'attend pas que l'homme soit effectivement monté à lui pour le rencontrer, mais dès qu'il a le projet d'aller vers lui, (c'est ça la foi), c'est lui qui descend à sa rencontre, comme le père du fils prodigue.
Dieu est alors présent au milieu d'eux, et il leur donne un don formidable, celui de parler toutes les langues de la Terre. Il dit: Allons, descendons, et là mélangeons leurs lèvres, afin que chacun n'entende plus (seulement) la lèvre de son prochain
Le mot mélangeons est celui utilisé normalement pour la pâtisserie: mélanger de l'huile à la farine, ou du levain à la pâte, c'est ajouter un élément extérieur qui va tout changer et non pas tout brouiller sans que personne ne s'y retrouve.
C'est Dieu lui-même qui vient se mélanger à leur discours pour le rendre bon et fécond. Dieu ajoute quelque chose de lui au langage pour qu'il change de nature, et ne reste pas purement technique. Dieu va aussi mélanger tout le peuple dans l'ensemble de l'humanité, comme le pâtissier mélange le levain dans la pâte, pour que ceux qui ont la tête au ciel puissent rayonner dans l'ensemble de l'humanité. Vous êtes le sel de la terre.
C'est exactement la même chose qui se passe à la Pentecôte. Dieu dit, aux disciples: ne restez pas ainsi entre vous dans la chambre haute. à prier et à attendre, allez prêcher dans tout le monde, et il leur donne de parler non pas une langue unique, mais toutes les langues.
Conclusion:
Laquelle de ces deux lectures contraire est la bonne?
On peut penser que l'ambiguïté du texte est trop réelle pour ne pas avoir été voulue. D'autant que les autres textes de la Genèse n'ont pas ce flou: Pour Caïn, ou le déluge, Dieu condamne ouvertement la conduite des hommes, là pas.
Nous n'avons donc pas à choisir pour l'une contre l'autre, les deux versions sont bonnes. Et celà parceque toute œuvre humaine est ambiguë, de même que la technique, réaliser une œuvre peut être la meilleure ou pire des choses, tout dépend de l'état d'esprit dans lequel on le fait.
La tour de Babel n'est ni bonne ni mauvaise en soi, elle ne l'est que par la conviction ou la foi de ceux qui la construisent.
Si il s'agit d'une réalisation d'orgueil, pour se prendre pour Dieu, alors elle est mauvaise. Si elle est faite dans le désir d'être une œuvre liée à Dieu, pour le servir et pour l'amour fraternel, alors c'est ce que l'homme peut faire de mieux.
La seule exigence de Dieu est alors de ne pas s'enfermer dans son petit confort d'amour fraternel et de foi personnelle, mais d'aller témoigner et se mélanger aux autres pour rayonner.
Nous devons donc à la fois nous élever à Dieu, en même temps que de ne veiller à ne pas remplacer Dieu par autre chose, et surtout aller témoigner.devons donc à la fois nous élever à Dieu, en même temps que de ne veiller à ne pas remplacer Dieu par autre chose, et surtout aller témoigner
Amen.
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"Toute la terre avait une seule langue et les mêmes mots. Comme ils étaient partis de l'orient, ils trouvèrent une plaine au pays de Schinear, et ils y habitèrent. Ils se dirent l'un à l'autre: Allons! faisons des briques, et cuisons-les au feu. Et la brique leur servit de pierre, et le bitume leur servit de ciment. Ils dirent encore: Allons! bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet touche au ciel, et faisons-nous un nom, afin que nous ne soyons pas dispersés sur la face de toute la terre.
L'Éternel descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils des hommes. Et l'Éternel dit: Voici, ils forment un seul peuple et ont tous une même langue, et c'est là ce qu'ils ont entrepris; maintenant rien ne les empêcherait de faire tout ce qu'ils auraient projeté. Allons! descendons, et là confondons leur langage, afin qu'ils n'entendent plus la langue, les uns des autres. Et l'Éternel les dispersa loin de là sur la face de toute la terre; et ils cessèrent de bâtir la ville.
C'est pourquoi on l'appela du nom de Babel, car c'est là que l'Éternel confondit le langage de toute la terre, et c'est de là que l'Éternel les dispersa sur la face de toute la terre."