Qui dites-vous que je suis ?
par Florence Blondon (fevrier 2011)
"Et vous, qui dites-vous que je suis ?". Cette question posée aux disciples traverse les siècles. Elle nous rejoint : qui est-il, qui est-il pour nous ? Entre ce que l'on lit dans les Evangiles, entre nos doutes, nos qustionnements et notre foi, entre le travail des exégètes, des historiens, des théologiens, des philosophes, qui est-il pour moi ? Depuis le début du christianisme, on s'est interrogé sur la nature du Christ. En 451, le concile de Chalcédoine a tranché, reconnaissant sa double nature : divine et humaine. Mais dans les faits, seule la nature divine du Christ a été mise en avant jusqu'à une période récente. Ce n'est que depuis la fin du XIXème siècle que l'on constate un souci de redécouvrir la dimension humaine et historique de Jésus.
Ernest Renan ouvre la voie en publiant la Vie de Jésus en 1863. Pour lui, Jésus est un homme qui lutte contre le cléricalisme juif au nom d'un humanisme laïc et universel. Jésus est un homme incomparable, et non plus un Cieu. Certes, Renan lit les Evangiles avec les préoccupations de son temps, mais cette approche, qui peut npous sembler assez désuete, a fait sauter bien des verrous et a permis de revisiter nos croyances de manière tout à fait salutaire. Si, aujourd'hui, l'existence de Jésus est admises par tous, croyants et non-croyants, cela ne répond pas à la question : qui est-il ? Qu'a-t-il fait avant sa mort pour que l'on croie à sa résurrection ?
Jésus redéfinit la loi par son enseignement, par ses signes, par ses fréquentations. Il ne rend pas caduque l'existence de rituels, d'institutions, d'actes religieux collectifs : il affirme qu'il ne s'agit là que de moyens et non de fins. La véritable fin, c'est l'amour de l'autre. La loi et les rituels n'ont de sens que pour apprendre à l'homme à aimer. De manière ultime, le message de Jésus pourrait se résumer ainsi : adorer Dieu en vérité, c'est aimer son prochain. Dans cette optique, Jésus est un grand humaniste, un sage, un philosophe.
On peut assez aisément faire un pas de plus, et entendre le côté subversif de sa prédication. Il refuse les rites inutiles, il mange et boit avec les moins que rien, il fréquente même les collabos. Il est tout à fait politiquement incorrect, il n'a de cesse de s'opposer aux institutions religieuses, aux conventions sociales. Il déstabilise, bouscule, finalement personne ne comprend trop. Mais il ne fait jamais cela par pure provocation, il le fait parce qu'il connait la valeur de l'humain, et qu'il refuse de le voir dévaloriser. Il fait cela non en son nom personnel, mais en s'appuyant sur Dieu. En cela il est aussi un prophète, il s'inscrit dans cette lignée, il en adopte le ton, la dimension de scandale. Philosophe, prohète, c'est assez facile à comprendre et même à croire. Nombre de nos cintemporains, y compris chrétiens, ont du mal à aller plus loin. Lorsque l'on aborde la résurrection, Jésus Fils de Dieu, c'est une autre histoire !
Pourtant, si déjà vous croyez cela : bravo ! Bravo parce que lorsqu'on est sensible à ce message tout à fait subversif qui nous invite à aimer notre prochain, c'est essentiel, cela change déjà concrêtement notre vie.
Encore faut-il s'entendre sur ce qui signifie aimer. Aimer, c'est aussi croire. Jésus a aimé ceux dont il a croisé la route, mais avant tout il a cru en eux, il leur a fait confiance, c'est à eux de trouver leur chemin ; alors aimer son prochain c'est aussi croire en lui; l'aider parfois à découvrir qu'il est un être aimable et aimé. Si vous lisez l'Evangile, que vous en comprenez le coeur, d'une manière ou d'une autre, cela va bouleverser votre vie. Parfois nous doutons peut-être trop de nous, et donc de Dieu. Je ne dis pas que nous ne sommes pas appelés à aller plus loin sur ce chemin, cerainement, mais je crois que lorsque nous sommes déjà sensibles à la dimension ethique de la prédication et de la vie de Jésus, nous sommes probablement déjà plus engagés que nous le pensons.
C'est ce qui se joue dans ce dialogue entre Jésus et ses disciples (Marc 8, 27-29) : il se passe en deux temps : "Qui suis-je au dire des hommes ?". Les disciples répondent : Jean-Baptiste, Elie, un prophète... Jésus ne conteste en rien cela mais il veut aller plus loin : et vous, vous mes proches, mes disciples, pour vous qui suis-je ? Pierre répond : "tu es le Christ". Cela se passe donc comme si il y avait deux niveaux : les hommes et les disciples, le niveau de (re)connaissance n'est pas le même. La première réponse n'est pas disqualifiée. Cela semble renforcé par cette demande de silence de Jésus : il leur commande sévèrement de ne parler de lui à personne . On s'est beaucoup interrogé à ce sujet. Mais c'est assez cohérent avec l'acte même du questionnement, car Jésus à aucun moment ne dit qui il est lorsqu'on le lui demande. C'est à nous de chercher, de trouver. Il n'est en rien un gourou qui voudrait nous endoctriner, et il n'est pas non plus quelqu'un que l'on pourrait enfermer dans un vérité. Lorsqu'il nous interroge, il remet en question toutes les prétentions humaines à détenir la vérité. Il ouvre la voie à "un autre que nous", c'est probablement là que se fait la reconnaissance. D'où le silence demandé aux disciples : c'est aux hommes de trouver, si déjà ils reconnaissent Jésus comme prophète, alors ils sont en chemin.
Qui dites-vous que je suis ? Question qui résonne pour nous, qui nous invite à nous situer. Est-il un sage, un philosophe, ou le Christ, le fils de Dieu ? Certes, il y a un sautà faire pour passer de l'un à l'autre, le saut de la foi. Mais dans notre vie, il y a également des moments où le doute revient, alors, lorsque le premier message est compris, il nous permet de nous y accrocher et de ne pas sombrer. Il nous permet tout simplement la confiance. Croire et aimer, croire et se savoir aimé. Mon Christ à moi c'est celui qui me dit que je suis capable d'amour, parce que cet amour me dépasse, il me précède, il est un don, comme lui en a vécu jusqu'au bout.
Florence Blondon