Que faire de l'Evangile ? Mangez-le !
par Louis Pernot (avril 2011)
C'est ce qui est dit à Jean dans l'Apocalypse : "Va, prends le petit livre ouvert dans la main de l'ange... et avale-le".
Cela semble n'avoir que peu de sens, mais en fait c'est de la haute théologie.
D'abord, il est bon de rappeler que ce "petit livre" qui est l'Evangile, il est là, ouvert, il n'y a qu'à le prendre et le lire. Ce n'est pas compliqué, l'Evangile n'est pas une connaissance réservée à quelque élite, interdite à d'autres, il n'est pas difficile à trouver, il est là, devant nous, il n'y a qu"à le prendre, et, en effet, le lire.
C'est tellement simple, et pourtant si peu le font. Qui, parmi ceux qui veulent être chrétiens ont effrectivement lu tout le Nouveau Testament ? Oh certes on pense tous le connaître, parce qu'on sait les principaux passages et quelques grandes paraboles. Mais c'est peu de choses. Lire tout le Nouveau Testament, de la première à la dernière page est une expérience extraordinaire. Ce n'est pas très difficile, il faut juste prendre son temps, et le faire petit à petit, un peu tous les jours. Et quand on s'astreint à cette discipline, on ne découvre pas forcément chaque jour des textes passionnants, mais cette lecture suivie nous nourrit, nous change, nous fait grandir. Je ne connais personne qui ait lu le Nouveau Testament en entier et dont la vie n'ait pas été transformée d'une certaine manière.
L'Apocalypse donne en plus le mode d'emploi : "Prends-le et avale-le". Cela n'est évidemment pas à prendre au pied de la lettre, il n'y a pas plus de livre à croquer que de corps du Christ à avaler dans son estomac à la Sainte Cène. C'est juste pour dire que cette écriture, il ne faut pas seulement la lire, il faut la mettre en soi, au plus profond de soi, et s'en nourrir. Ce n'est pas un texte à apprendre par coeur comme une récitation. Il ne dit pas non plus : "crois ce qui est écrit", ou "applique les consignes qui s'y trouvent", mais il demande de s'en nourrir, d'en faire la base de sa vie, la source de son être.
Comme une nourriture, pour être efficace, il faut la manger régulièrement, et pas trop d'un coup, sinon l'on risque l'indigestion. Quant à ce que l'on lit, c'est comme la nourriture que l'on mange : tout n'est pas absorbé, une grande quantité est rejetée, oubliée, et ne sert à rien, mais une petite part , part que l'on ne peut définir, sert à construire progressivement ce que l'on est. Et puis comme un repas, manger seul, c'est bien, mais on se nourrit certainement mieux quand on ne fait pas toujours soi-même la cuisine, et quand on la partage avec d'autres.
Cependant, l'Apocalypse fait une curieuse mise en garde : "Dans tes entrailles il sera amer, mais dans ta bouche il sera doux comme du miel". Que la Parole soit douce, d'accord, mais quel sens peut avoir cette possibilité d'amertume ?
Sans doute est-ce en fait, un bon avertissement : ce n'est pas une parole douceâtre et sucrée. L'Evangile n'est pas si facile à lire, et il ne faut pas s'attendre à un sirop à l'eau de rose.
Il y a deux manières de comprendre cet avertissement (au moins).
La première manière, c'est de dire que l'Ecriture est d'abord amère avant d'être douce. Ca, c'est l'expérience de bien des lecteurs de la Bible. Elle n'est pas un texte facile à lire, elle peut être rébarbative, contrariante. Le Christ lui-même n'apparait pas forcément comme on voudrait qu'il soit. Et même si le texte ne nous contrarie pas, bien souvent, il faut l'avouer, il nous ennuie. Quand on lit la Bible, il y a des passages au désert, des textes entiers qui ne nous disent rien... Et de toute façon, la lecture de la Bible est certainement moins distrayante que beaucoup d'autres choses plus alléchantes qui nous tendent les mains sur notre table de nuit.
Mais si l'on dépasse ce premier sentiment, si l'on perdévère quelque peu, alors on peut découvrir petit à petitqu'il y a plein de douceur dans cette lecture qui peut devenir une sorte de compagnon de route dont on ne voudrait plus se passer.
La seconde manière, c'est de dire que le livre est doux avant d'être amer. On peut penser en effet qu'à la première lecture, l'Evangile est fondamentalement sympathique. Oui, nous sommes pour la paix, l'amour, le pardon, le partage, la lumière et la vie. Mais en fait ce texte devient vite, d'une certaine manière, contrariant. Parce qu'il ne dit pas toujours ce que nous voudrions entendre. Il nous remet en cause, il nous questionne, nous met devant une vérité que parfois nous avons tout fait pour ne pas voir ou ne pas affronter.
Et puis s'il est amer, c'est pour notre "ventre", c'est à dire pour la partie la plus animale de otre existence, pour tout ce qui concerne nos désirs terrestres. L'Evangile demande des sacrifices, des choix, parfois difficiles, et c'est forcément amer. Sans doute l'Evangile est-il avant tout une bonne nouvelle, mais ne peut-on penser que la coupe ait semblé un tant soit peu amère au Christ au soir de sa Passion. Donner sa vie n'est pas facile, renoncer au pouvoir, au confort, à l'égoïsme, est une lutte que le croyant doit faire sans cesse. Sans doute le chrétien sait-il que dans tous ces combats il est "plus que vainqueur par celui qui nous a aimés", mais ce sont des combats quand même. Ce qu'il sait, c'est que derrière cette amertume, il y a une douceur extrême, un bonheur, une vie, une espérance et une paix sans égal.
Louis Pernot