Noël, la grâce et la gratuité
par Louis Pernot (janvier 05)
Il est de bon ton chez beaucoup de chrétiens de regretter que Noël soit devenu une fête des cadeaux. Pourtant, la coutume populaire a eu là une idée assez juste. Noël, c'est en effet avant tout la fête de la gratuité, la fête du cadeau, du " don gratuit ".
On le sait, en effet, c'est un beau cadeau que le Christ nous ait été offert parce qu'il nous apporté beaucoup de choses, et continue de donner infiniment à celui qui l'accueille dans sa vie. Il nous a donné un message extraordinaire, une vision de l'homme, de Dieu, de nous-mêmes, de la société idéale. Par lui, nous avons un sens pour nous mobiliser, un idéal, et c'est essentiel. Il nous a appris combien nous sommes aimés inconditionnellement, tous, il nous a montré un chemin de vie, de lumière et de joie dans le don de soi, le service, l'humilité etc... Et puis il continue de donner à chacun de ceux qui veulent vivre de cette présence vivante de Dieu, ce qu'il y a de plus précieux dans nos vies : l'amour, la consolation, la force, l'espérance. Voilà les choses les plus belles de notre vie, tout le reste n'est que pacotille, poudre aux yeux et valeurs éphémères. L'Evangile nous donne ce qu'il y a de plus précieux comme cadeau, et aussi comme viatique pour pouvoir envisager une bonne nouvelle année. Avec l'amour de Dieu, tout nous est possible, et avec l'Evangile comme compagnon, notre année ne peut qu'être bonne, féconde et nous combler.
Mais ce qu'il y a de remarquable, en plus, dans la venue du Christ que nous fêtons à Noël, c'est la gratuité totale de ce don, gratuité que l'on retrouve partout dans la vie du Christ et de ceux qui l'ont accompagné
C'est gratuitement que Marie a accueilli la vie qui naissait en elle, sans rien réclamer en échange, et sans poser de question. C'est gratuitement que Joseph a accepté d'aimer et de s'occuper de cet enfant qui pourtant n'était pas de lui. C'est gratuitement ensuite que Jésus va vivre toute sa vie, il va soigner les malades sans rien leur demander en retour, et cela quels que soient leur origine, leur péché, leurs torts... C'est encore sans rien attendre pour eux de salaire ou de récompense que les apôtres accepteront de suivre le Christ. C'est gratuitement que le Christ donnera sa vie, sans que nous le méritions, sans se demander si nous en sommes dignes, ni si nous en ferions bon usage...
Le seul qui dans toute cette histoire ait un salaire, une rétribution, c'est Judas avec ses trente pièces d'argent, et ce n'est peut-être pas un hasard. Jésus,lui, est comme le bon berger : Le bon berger donne sa vie pour ses brebis (Jean 10 :11). Il n'est pas comme le mercenaire qui, lui, est payé pour ce travail.
Il n'est pas question là de porter un jugement négatif sur le travail que chacun doit faire pour gagner sa vie, il faut bien avoir de l'argent pour vivre, et donc en gagner. Mais ce qui est en question là, c'est une logique d'existence. Croire que dans cette vie tout se monnaye, tout a un prix, et que rien ne se donne pour rien, c'est vivre bien malheureux et certainement passer à côté des plus belles choses de la vie. On peut travailler pour gagner sa vie, et en même temps savoir ce que c'est que le don.
Le Christ est très clair : si vous prêtez à ceux de qui vous espérez recevoir, quel gré vous en saura-t-on? Les pécheurs aussi prêtent aux pécheurs, afin de recevoir la pareille. Mais aimez vos ennemis, faites du bien, et prêtez sans rien espérer... et vous serez fils du Très-Haut, car il est bon pour les ingrats et pour les méchants. (Luc 6 :31ss)
Un des plus beaux cadeaux de Noël, c'est de nous apprendre l'importance essentielle du don et de la gratuité. C'est ce qu'en terme technique les théologiens appellent la Grâce. Je crois vraiment que nous ne pouvons vivre, et bien vivre, pour que nous soyons heureux nous, pour que nous soyons positifs pour les autres et pour le monde, qu'en vivant concrètement, quotidiennement la gratuité. Accepter d'être accepté, accepter d'avoir reçu ce que nous ne méritons pas, ne pas se sentir coupable ou redevable... et aussi donner, faire les choses sans rien attendre en retour, offrir sans condition. Donner sans calcul ce que l'on a, son temps, ce que l'on possède, son amour, sa vie. C'est la seule chose qui donne le moindre sens à notre existence humaine.
Cette gratuité, elle a aussi un autre nom : l'amour. L'amour, c'est de savoir donner, et savoir accueillir, pour rien, sans calcul ni condition.
Ainsi, à Noël, ce ne sont pas tant les cadeaux qui comptent, que les preuves d'amour que chacun donne à l'autre.
Et la croyance populaire et enfantine du Père Noël, même si elle est critiquable à cause de la question de la vérité et de la confiance dans notre rapport aux enfants, exprime quelque chose de beau : les parents donnent les cadeaux, et ne veulent même pas être remerciés. Leur seule joie, c'est la joie de leurs enfants, non pas la reconnaissance qu'ils pourraient en attendre. C'est ça l'amour.
Ce qui est par contre mauvais dans cette légende enfantine, c'est la menace que font peser certains parents sur leurs enfants en leur disant que s'ils ne sont pas sages ils n'auront pas de cadeaux. Là le populaire a tort, et l'on sort de la grâce, c'est bien dommage. Ce dont tout enfant, et tout être humain a besoin pour vivre, ce n'est pas tant de menace ou de chantage, mais d'amour inconditionnel, de grâce. Et seul celui qui arrive à avoir conscience qu'il a reçu peut savoir ensuite donner : comme vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement (Matt. 10 :8).
Louis Pernot