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Liberté – Egalité - Fraternité : Fraternité

par Florence Blondon (avril 09)

 

Fraternité

Fraternité : Une fois posé ce mot, il semble que tout devrait être pour le mieux dans le meilleur des mondes. Puisque nous sommes tous frères et sœurs, nous devons immanquablement nous entendre, nous aimer. Tous les fantasmes sont de mise. Que ce soit dans la société civile ou la fraternité devrait être le bouclier à tous les conflits, ou dans l’Eglise, où c’est bien connu, comme nous sommes tous frères et sœurs, nous formons une grande famille, et nous nous aimons, en appuyant notre discours sur la Bible !

Alors commençons par lire la Bible, que nous dit-elle sur la fraternité ?

C’est le livre de la Genèse qui nous offre la réflexion la plus intense sur la famille,
et ce n’est certainement pas un hasard si ce livre compte plus d’un quart des usages du mot « frère » de la Bible hébraïque. Le mot intervient de plus en plus souvent à mesure que le récit progresse, comme si la thématique prenait toujours plus d’ampleur, pour culminer dans l’histoire de Joseph. Mais, les histoires de frères commencent bien mal : impossible de se tromper ! Impossible de rêver ! Impossible d’être leurrer ! La fraternité est tout sauf une histoire simple. Car, être frères, ou sœurs n’est en aucun cas l’assurance d’une relation, qu’étonnamment, nous appelons « fraternelle ». Avec Caïn et Abel, on commence fort, par un meurtre. Puis successions de tromperies et de jalousies : Ismaël et Isaac, Jacob et Ésaü, enfin Joseph et ses frères.

Alors est-il possible de parler de fraternité en prenant des exemples de fraternité biblique ? On l’a beaucoup fait avec des discours convenus, affirmant qu’avec un peu de bonne volonté et un saupoudrage de Jésus-Christ sur le tout, on pouvait être gentiment fraternel (mot qui paraissait véhiculer tout un sens sur lequel il était requis de ne plus s’interroger). Mais, pourtant les commandements d’amour qu’énonce Jésus ne concernent pas l’amour fraternel. Le seul endroit où nous trouvons un tel commandement, c’est dans un évangile apocryphe, celui de Thomas, où Jésus dit : « Aime ton frère comme ton âme ; veille sur lui comme sur la pupille de ton œil. » Mais dans les évangiles canoniques, nulle mention. Alors la fraternité n’aurait pas de sens, elle serait un leur ?

Certes non, car, d’une part les récits de fratries du livre de la Genèse, ont une dynamique une progression qui nous invite à cheminer. On part d’un meurtre pour arriver au pardon et à la réconciliation. L’histoire ne se limite pas à décrire une situation de haine, elle annonce clairement le chemin du pardon et de la réconciliation. La séparation entre les frères et Joseph sera longue. Il faudra vingt ans avant qu’ils se retrouvent, comme auparavant pour Jacob et Ésaü. Comme si le temps devait passer : le temps d’éprouver les ravages causés par le conflit, le temps aussi que se cicatrisent certaines blessures. Mais cela ne suffit pas. Comme le narrateur de la Genèse le laissait entrevoir dès l’histoire de Caïn, il faudra que la parole se fraie un chemin pour que la vérité se fasse peu à peu et qu’elle ouvre la voie à une reconnaissance fraternelle.

Et, d’autre part, dans le Nouveau Testament, Jésus redéfinit la famille et donc la fraternité : « ma mère et mes frères, ce sont ceux qui entendent la parole de Dieu et la mettent en pratique. » (Luc 8:21). Formidable tournant dans l’histoire de Dieu et dans l’histoire des hommes. Un formidable tournant où chacun de nous va pouvoir s’adresser à lui en disant : « notre Père », nous unissant ainsi dans une même famille.
Mais quelle que soit notre famille de sang ou de foi, rien ne serait possible sans l’intervention de Dieu, qui est là pour nous insuffler l’Esprit du pardon et de la réconciliation, ou la capacité à faire une conversion pour accepter l’autre. Il est notre Père, condition de la vie possible entre frères. Cette dimension verticale de la paternité est probablement ce que nous avons mis de côté dans nos sociétés depuis un certain nombre d’années maintenant.

Comme le journaliste Jean-Claude Guillebaud le met en lumière dans son ouvrage La force de conviction, à une société des pères, gouvernée par la tradition et le souvenir, nous avons substitué une « civilisation des frères », dont les références sont moins absolues et surtout plus horizontales. Cette grande révision anthropologique est un phénomène collectif bien plus ample et plus complexe que ce qu’on est tenté d’appeler de façon trop restrictive un changement d’opinion. Nous voulons « être frères » alors même que nous oublions l’image de nos pères.

Filiation et fraternité : l’un ne va pas sans l’autre, et c’est pourquoi, j’aime beaucoup cette image de la fin du livre de la Genèse (48) : le vieux Jacob, prenant sur ses genoux ses deux petits-fils pour les bénir, juste avant de mourir. Image de l’avenir, du possible, qui trouvent leurs racines dans un passé assumé.

« Voyez quel amour le Père nous a donné, pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes ! » 1 Jean 3:1

Florence Blondon