La tentation d'Abraham et le sacrifice d'Isaac
par Louis Pernot (juillet 06)
En Genèse 22, Dieu tente Abraham en lui demandant de tuer son propre fils..: Isaac. On explique généralement ce texte en disant que Dieu voulait savoir si la foi d'Abraham était assez grande. Abraham a prouvé qu'il était prêt à obéir à Dieu, même au prix de ce qu'il avait de plus cher. Il est vrai que pour nous, Dieu, notre idéal doit être au-dessus de tout. Mais ce texte pose quand même bien des questions.
D'abord si l'on voit l'histoire du côté du fils..: certes, finalement il ne meurt pas, mais comment peut-on imaginer que Dieu ait demandé à Abraham une chose aussi insupportable que le meurtre de son fils ?
Ensuite il est curieux que Dieu ait voulu faire passer un examen d'obéissance à Abraham. Dieu en aurait-il besoin, lui qui connaît le coeur de l'homme..?
Une certaine tradition juive dit que l'épreuve n'est pas faite pour apprendre quelque chose à Dieu, mais pour faire découvrir à l'homme une vérité sur lui-même. Peut-être dans ce texte Abraham a-t-il découvert quelque chose, il ne serait alors pas forcément l'exemple extraordinaire de celui qui a tout bien fait, mais plutôt comme celui qui a eu besoin de comprendre quelque chose.
On peut penser en particulier qu'Abraham avait au départ une idée fausse de Dieu, comme de quelqu'un demandant des sacrifices humains, et finalement il comprendra qu'il n'en est pas ainsi. Abraham n'aurait alors pas bien compris la demande de Dieu, Dieu, en effet, n'a certainement jamais demandé à Abraham de lui sacrifier son fils. Ce qu'il lui a demandé c'est de le lui consacrer, et lui, dans son paganisme a cru que le seul moyen de consacrer son fils à Dieu était de le tuer, alors que pour consacrer une vie à Dieu, il ne faut pas l'empêcher d'être, mais mettre cette vie au service de quelque chose de plus grand.
Certes, Dieu demande à Abraham d'offrir son fils en «..holocauste..», mais le mot «..holocauste..» en hébreu veut dire simplement: «..pour monter..». Abraham a compris «..sacrifier..», mais Dieu voulait peut-être juste dire..: « fais monter ton fils vers moi ».., C'est-à-dire : « Va et élève-le, fais-le monter plus haut, fais-lui découvrir une dimension spirituelle..».
Or il ne s'agit pas que d'une leçon d'éducation, l'enfant, c'est aussi, pour nous et en nous, notre meilleure part, c'est notre âme, notre vie (Mon âme est en moi comme un enfant dit le Psaume 131). Comment donc s'élever à Dieu, se consacrer à Dieu..? Telle est la question de ce texte.
Abraham commet plusieurs erreurs que Dieu va aider à corriger..: en particulier, il croit qu'il faut absolument cesser de vivre, renoncer à être, pour être fidèle à Dieu, renoncer à toute joie, et à sa propre vie même.
Ensuite, il agit comme un intégriste en confondant la Parole de Dieu avec la sienne propre. Heureusement, il acceptera quand même in extremis de changer sa vision des choses en sacrifiant le bélier. Il est bon donc de rester à l'écoute de Dieu, d'accepter de remettre en cause ses principes et ses certitudes. Appliquer des certitudes sans se remettre en cause ne mène qu'à la mort. On a le droit de se tromper, mais il faut savoir changer...
Et puis Abraham dans son désir d'élévation applique une méthode d'ascétisme qui n'est pas dans le sens de la révélation biblique..: pour commencer, «.. il sangle son âne..» or l' «..âne..», est souvent dans la Bible l'image de la vie animale. Cette dimension physique de sa vie, Abraham veut donc la tenir liée, puis il charge son fils de fardeaux trop lourds, il lui fait porter le bois du sacrifice, il le charge lui-même du sacrifice qu'il lui impose et qui doit le tuer. Et finalement le lie. (D'ailleurs, dans la tradition juive, ce texte est appelé «..La ligature d'Isaac..»).
C'est ce que font bien des moralisateurs, cherchant toujours à ligoter, lier par des jugements, de la morale, de la culpabilité et des remords. Il y a un risque à vouloir imposer à soi ou aux autres trop de règles, trop de contraintes, d'idéaux trop élevés. Il est dangereux de vouloir trop bien faire, cela peut devenir écrasant, et finalement cette démarche immobilise et tue.
Or s'il est bon d'être porté par un idéal élevé, il faut avoir des objectifs concrets réalistes et réalisables, sinon l'on est écrasé sous le poids du sacrifice et il n'y a plus de vie. Ce que Dieu nous demande, ce n'est pas de parvenir à être saints au prix de notre vie, mais de MONTER, de s'élever, c'est ça l'essentiel.
Dieu ne veut pas que nous ne soyons rien pour que lui soit tout, il n'est pas question de nous anéantir pour laisser toute place à Dieu, mais de marcher en «..alliance..» avec lui, or le sens même de toute «..alliance..» c'est de respecter les deux parties. Le but n'est pas de renoncer à vivre, mais d'avancer en harmonie avec les différentes dimensions de son existence et ainsi de servir Dieu. Et en effet, Abraham, finalement, ne tuera pas Isaac, mais AVEC lui il va offrir le bon sacrifice à Dieu.
L'erreur d'Abraham n'a pas été de manquer de foi, mais plutôt d'avoir eu une mauvaise foi, d'avoir trop cru en Dieu et pas assez en l'homme, en l'humain. Il pensait que Dieu pouvait agir absurdement, demander n'importe quoi, et qu'il trouverait de toute façon une manière d'accomplir son plan. Dieu l'en empêche, et montre que pour réaliser sa volonté, il a besoin non seulement de la foi d'Abraham, mais aussi de la vie physique de son fils Isaac, et il devra ainsi intervenir pour empêcher Abraham de faire une bêtise.
Mais Abraham, a du bon quand même : il se lève de bon matin, fait une démarche, un cheminement, il ne reste pas sur place. Et monter, c'est ne pas rester au ras des pâquerettes, c'est ça précisément s'élever, et pour cela, il faut marcher, avancer, marcher avec Dieu, marcher vers Dieu, marcher avec ceux que l'on aime, sans chercher ni à les étouffer, ni à les tuer. Et dans cette marche, aller vers l'accomplissement de soi- même et de ce que Dieu attend de nous.
Louis Pernot