Entre requête à minima et exigence maximale : comment être disciple ?
par Florence Blondon - hiver 2019
Les disciples de Jésus sont pour le moins malmenés tout au long de l’Évangile de Marc. Ils semblent ne jamais rien comprendre. C’est assez rassurant pour nous, car nous sommes également confrontés à nous erreurs, nos lâchetés, au niveau de notre foi, de notre éthique. Et au lieu de nous laisser sombrer, Jésus se sert de nos failles pour nous faire progresser. Au-delà des temps et de l’espace qui nous séparent de ce récit, une parole nous rejoint. Elle s’adresse à moi, et tout comme les disciples sont recadrés, mais également remis en route, nous pouvons nous laisser atteindre par elle.
Jean lui dit : « Maître, nous avons vu un homme qui chasse les démons par ton nom et nous avons cherché à l'en empêcher, parce qu'il ne nous suivait pas. » (Marc 9,38)
Lorsque Jean interpelle Jésus, il ne manque pas de culot. Lui et ses comparses viennent d’être dans l’impossibilité de chasser un démon et maintenant ils en réclament le monopole. Ils sont loin d’avoir compassion des malades, ils s’accrochent à leurs attributions. Ils ne sont pas prêts à partager. Ils ont des raisons d’attendre quelques privilèges, ils ont tout quitté pour suivre Jésus. Ils sont encore sur la logique du donnant-donnant. Et, ils s’accaparent le nom de Jésus, le nom qui dans la tradition hébraïque revêt une importance extrême. Et Jésus signifie « Dieu sauve ». Ils se pensent comme propriétaire du Christ, dépositaires exclusifs de cette possibilité de « sauver », de guérir. Et pourtant un individu qui n’appartient pas au groupe, se réclame de Jésus et exorcise. Et l’attitude des disciples va être immédiatement mise en échec par Jésus qui énonce
« Celui qui n’est pas contre nous est pour nous ». (Marc 9,40)
Pour Jésus la communauté des disciples n’est en rien fermée, elle n’est pas exclusive. On pourrait croire que Jésus déploie ici une sorte d’exigence à minima. Ce n’est pas si sûr. Il exprime la foi qu’il a en eux, car faire l’expérience de l’Évangile nous transforme et donc nous fait basculer du bon côté. Les disciples sont au bénéfice de son enseignement. L’aventure continue et la suite sera un peu plus exigeante. Il faut donc entendre le récit dans son ensemble pour comprendre la tension entre l’amour de Dieu et la responsabilité que réclame l’Évangile.
« Si ta main doit causer ta chute, coupe-la… » (Marc 9,43)
Jésus les remet en chemin. Avec une mission dont l’exigence est ici énoncée : « ne pas être une occasion de chute » que l’on peut traduire également par scandale. Sans toutefois préciser la nature du scandale.
Alors osons une interprétation plus audacieuse que la lecture à la lettre. Car, n’est-ce pas cette approche, qui nous obligerait à la mutilation, qui est le scandale ? N’est-ce pas la lecture dévoyée d’une loi où le rite, la tradition se sont substitués au souci de l’autre, à l’amour du prochain qui va mener Jésus à la croix ? Et, allons plus loin, « ne pas être cause de chute », en creux cela signifie être capable de relever l’autre. Cet horizon-là ne réclame peut-être pas un pied ou une main, mais bien quelques abandons, pour que notre environnement ne se transforme pas en enfer. Ce qui nous invite à quitter nos raisonnements mondains pour découvrir que le pouvoir et la puissance ne se jouent pas dans la possession et la maitrise, mais dans le renoncement et la mise au service afin de construire un monde meilleur.
Encore une fois dans cet épisode, les disciples de Jésus sont bousculés, et nous avec. Mais au bout du compte ce miracle qu’ils voulaient empêcher va s’opérer sur eux. Au début, ils refusaient la possibilité d’un exorcisme, c’est-à-dire une libération. Et ce n’est pas sans une certaine ironie que nous pouvons constater que c’est eux qui vont être guéris : Jésus va les libérer de leur manque de compassion et les tourner à nouveau vers la vie. Pour eux comme pour nous il a la puissance d’exorciser notre jalousie, notre vanité, nos peurs, de nous relever et de nous inviter à sa suite, faisant de tous des disciples.
Florence Blondon