Psaume 1: Heureux est l'homme
Prédication prononcée le 29 septembre 2013, au temple de l'Étoile à Paris,
par le pasteur Louis Pernot
Ce psaume à première lecture m’a toujours laissé une impression mitigée. A la fois merveilleux et insupportable.
Merveilleux, il l’est, ne serait-ce que par son premier mot. Il est extraordinaire que le premier mot du livre de Psaumes soit aussi le premier mot de l’enseignement de Jésus d’après l’Evangile de Matthieu : « heureux ». Oui, c’est là tout un programme : le but de l’Evangile, le sens du message Biblique, de la relation à Dieu, c’est d’être heureux. D’ailleurs, « Evangile », étymologiquement signifie « bonne nouvelle », la volonté de Dieu, c’est que nous soyons heureux, nous sommes créés pour être heureux, et nous pouvons l’être dans toute situation, parce que ce bonheur promis est au-delà des joies et des peines terrestres, au-delà des chances ou malchances matérielles, c’est la paix, l’accomplissement de soi, l’harmonie et la plénitude d’une vie en marche.
Ce bonheur, le Psaume 1 nous en dit le secret : il se trouve dans la « torah », c’est à dire la Bible. Cette Bible contient une parole que l’on appelle un peu par extension « parole de Dieu », parce que c’est une parole créatrice, une parole qui fait vivre, qui nous fait grandir, et qui peut, oui c’est vrai, nous rendre heureux.
Ensuite le Psaume nous dit même le mode d’emploi de cette parole. Il ne dit pas : « heureux... celui qui connaît bien la torah », il ne s’agit donc pas d’une connaissance intellectuelle, ni : « heureux... celui qui fait ce que la torah demande », il ne s’agit donc pas non plus d’une obéissance morale à des commandements, ni : « celui qui croit à ce que dit la Torah », ce n’est donc pas un traité de dogmatique, mais il dit : heureux... celui qui met son plaisir dans la torah et qui la médite jour et nuit. Ce qui compte donc, c’est de méditer cette parole, de réfléchir sur elle, de la ruminer, de la tourner dans son cœur. C’est ainsi elle qui va œuvrer elle-même en nous pour nous transformer et y mettre un ferment de vie et de joie. Et par ailleurs, cette parole, il faut l’aimer, et donc ne pas rester dans un rapport uniquement intellectuel avec elle, mais y mettre son cœur, s’investir dans cette parole, la mettre en soi pour entrer dans une véritable relation d’amour et de dialogue avec elle.
Celui qui s’engage dans ce type de relation avec l’Ecriture, certainement en sort transformé. Et ce qu’opère cette médiation cœur à cœur avec l’écriture, le psalmiste le décrit parfaitement, et c’est là que nous allons trouver ce qu’est, pour le psalmiste, la nature réelle de ce bonheur promis au premier verset, puisque c’est bien de cela qu’il est question. Le bonheur, et ce que peut accomplir la Parole en nous, c’est d’être comme un arbre près d’un courant d’eau, ce n’est donc pas une réalité statique, une dynamique qui se fait dans la croissance. Il est vrai que l’on peut trouver dans l’Ecriture, une source de vie, quelque chose qui nous aide à grandir, à nous élever, à progresser. Certes, cela ne se fait pas du jour au lendemain, un arbre ne pousse pas, même près d’un ruisseau, en quelques jours, mais petit à petit. Et le bonheur, c’est cela, c’est être en croissance, c’est s’élever, c’est grandir, c’est avoir des feuilles qui montent, c’est fructifier, avoir une certaine fécondité dans sa vie. Le bonheur, c’est que notre existence donne naissance à quelque chose qui la dépasse et qui d’une certaine façon soit transcendante et éternelle.
Et pourtant, il y a quelque chose qui me dérange de ce Psaume, d’abord, c’est qu’il commence par des choses négatives. Pour lui être heureux, cela semble avant tout : ne pas faire certaines choses et en éviter d’autres. On est loin de la vision purement positive que nous propose le Christ quand il résume toute exigence par le célèbre commandement d’amour. Ce point, on peut le contourner, en disant qu’il n’est pas faux que la justesse de notre vie consiste aussi à savoir éviter certains pièges, à s’écarter du mal, en quelque sorte, et l’excès d’une certaine prédication chrétienne a peut-être fait oublier qu’il y a dans l’Evangile aussi une certaine exigence, des choses à ne pas faire, des attitudes perverses ou dangereuses à éviter. En particulier, la mise, ici, en garde n’est pas mauvaise : ce qui est dangereux et mortifère dans notre vie, c’est de marcher dans le conseil des méchants, c’est-à-dire de choisir un système de valeur pervers pour orienter sa vie, c’est de se tenir sur le chemin des pécheurs, c’est-à-dire non pas de passer parfois dans des chemins mauvais, (personne n’est parfait), mais d’y rester, de ne rien faire pour essayer d’en sortir, et de s’asseoir dans le siège des moqueurs, c’est à dire de s’installer définitivement dans le rôle négatif, de dénigrer et de tout voir sous le mauvais angle. Oui, tout cela est dangereux et il convient de l’éviter pour être heureux, et même pour vivre vraiment. Mais ce n’est pas parce que le psalmiste met cette dimension en premier qu’elle est la plus importante. Au contraire, on peut penser qu’il commence par ça, et finalement balaie tout, résume tout en disant que l’essentiel, c’est d’aimer la parole et la méditer jour et nuit...
Cependant, le psalmiste n’en reste pas à de douces paroles, et les « méchants » refont surface ensuite, il est alors question de jugement, de punition et de perte même. Peut-on vraiment comprendre et accueillir de tels propos positivement dans notre foi chrétienne ? Sont-ils définitivement incompatibles avec notre foi évangélique ?
A première vue, ce psaume est très dualiste, il y a les bons et les méchants, les bons vivront éternellement et les méchants seront perdus. Pourtant, il faut se méfier d’une telle apparence, et il faut toujours se méfier quand la Bible semble trop simple. Or là en particulier, ce beau tableau des bons et des mauvais est bien clair, mais il est inassimilable tel quel. Le problème là, c’est que la description qui est faite du méchant est tout aussi impossible que celle qui est faite du bon. Il est dit du bon, qu’il médite la parole de Dieu jour et nuit... cela est très bien, mais c’est impossible, personne ne peut méditer, ou prier Dieu sans cesse, nuit et jour, c’est absurde, et quand bien même ce serait possible, ce ne serait certainement pas bon. En tout cas le Christ lui-même n’est pas montré ainsi. Quant au méchant, ainsi décrit dans le premier verset, il est tel que, personne ne peut répondre à cette image, et en particulier, il est impossible d’être à la fois assis (avec les moqueurs), debout (avec les pécheurs), et encore moins tout en étant en marche selon le conseil des méchants. Personne ne peut cumuler toutes ces erreurs à la fois, ni même être d’une façon permanente dans l’un ou l’autre cas.
Ce psaume apparemment simple est donc intenable dans sa simplicité. On ne peut donc se contenter d’en rester là, et il ne reste qu’à essayer de le lire autrement. Et si on lit avec attention ce qui est écrit concernant les justes et les injustes, alors la première conclusion qui s’impose, c’est qu’il n’y a vraiment dans ce monde personne qui soit totalement juste ou totalement injuste. Certes, nous faisons parfois un peu de mal, certes, il nous arrive de nous moquer, il nous arrive d’aller selon le conseil de méchants, il nous arrive d’être dans des mauvaises voies, mais pas tout le temps quand même... et même si ce n’est pas jour et nuit, il nous arrive tout de même de méditer la parole de Dieu, que ce soit de jour ou de nuit. Et même si nous n’y mettons pas tout notre cœur, et que nous l’oublions de temps en temps, cette parole, nous l’aimons bien quand même, et nous mettons de notre plaisir en elle.
Et ainsi, la conclusion que nous devons en tirer, c’est que non seulement personne ne peut être déclaré totalement juste ou totalement injuste, mais aussi, que nous sommes, en fin de compte un peu les deux. Il y a en nous du juste et il y a en nous de l’injuste, c’est absolument évident, et le Psaume 1 ne peut fonctionner que dans cette perspective.
Dans ce contexte et cet état de fait, le Psaume 1 nous donne deux réponses qui deviennent fort intéressantes parce que dans tous les cas, c’est bien de nous dont il est question.
La première, c’est que les choses ne sont pas figées. Il est dit que le juste, il est comme un arbre qui grandit. Or un arbre, ça grandit toute sa vie. La question n’est donc pas tant de savoir si l’on est bon ou mauvais, mais d’être dans une dynamique de la croissance, de progresser, de grandir. Ce qui est grave, ce n’est pas tant qu’il y ait du mal dans sa vie, que de s’y installer et de ne plus bouger, de s’y tenir, ou de s’y asseoir comme dit le Verset 1. Or ce changement, cette croissance, cela est toujours possible, surtout si l’on trouve et que l’on met près de soi une source de vie, un enseignement, une parole qui soit apte à nous aider à grandir ainsi. Il est certain que la parole biblique est de celle-là.
La deuxième chose est sous forme d’un message de jugement qui ne semble pas très agréable, et qui pourtant est une bonne nouvelle. Ce n’est pas tant qu’il y aurait des punitions de mort pour les méchants, puisque personne n’est totalement méchant, mais que le mal qui est inévitablement en nous est, lui, condamné à disparaître comme de la balle emportée par le vent. Or on sait qu’il n’y a dans la Bible qu’un mot pour dire le vent et l’esprit. Le message qui est une formidable bonne nouvelle, c’est que ce mal en nous qui nous obsède, ce mal qui nous culpabilise, qui nous semble si lourd que nous le traînons comme un boulet, pour Dieu, ce n’est rien, il n’a pas d’importance, il n’a aucun avenir, c’est de la paille, et quand Dieu souffle sur nous son esprit, il nous en libère pour nous permettre d’avancer de nouveau. La seule chose qui est appelée à durer éternellement, c’est le bien qui est en nous. La seule chose dont Dieu se souvient de nous, la seule chose qu’il retient, la seule chose qu’il sauve, c’est le bien, l’amour, la fidélité qui se trouvent en nous. Le reste, c’est perdu. Il n’y a ainsi pas de condamnation des personnes, pas de châtiments éternels, pas de jugements culpabilisateur, mais un chemin qui est un chemin de vie, et un Dieu qui est pour nous source de croissance, d’éternité de justice et de bonheur.
Ainsi ce psaume n’est pas le premier pour rien. Il résume merveilleusement toute la théologie des psaumes, et d’une certaine façon toute la théologie de l’Evangile qui est tout à fait dans le même sens : le maître mot, c’est le bonheur, et ce bonheur, s’il se fait un peu en évitant le mal, il se fait surtout dans la croissance, et est promis à tous, avec l’aide de cette source extraordinaire de vie qui est Dieu, présent dans sa parole, dans son esprit, et dans ce qu’il opère dans nos intelligences et dans nos cœurs.
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Psaume 1
1 Heureux l'homme qui ne va pas dans le conseil des méchants
et dans le chemin des pécheurs ne se tient pas et dans le siège des moqueurs ne s'assied pas.
2 Mais dans la torah de l'Eternel il met son plaisir et sa torah, il la médite jour et nuit.
3 Il est comme un arbre planté près du courant des eaux, qui donne son fruit en son temps et sa feuille ne se fane pas Et tout ce qu'il fait prospère
4 Au contraire, les méchants, ils sont comme la paille dissipée par le vent.
5 Ainsi, ils ne se tiennent pas (debout), les méchants dans le jugement, ni les pécheurs dans l'assemblée des justes.
6 Car il connaît, l'Eternel, le chemin des justes, et le chemin des méchants, il se perd.