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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

 

On donnera à celui qui a... et on ôtera à celui qui n’a pas

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Prédication prononcée le 8 janvier 2017, au Temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

 

On trouve dans l’Evangile un curieux adage prononcé par Jésus : « on donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a ». Voilà qui ressemble à une thèse s’opposant au socialisme qui préconiserait plutôt : « on donnera à celui qui n’a pas, et à celui qui a on ôtera ce qu’il a pour le donner à celui qui n’a rien ». Et cela est aussi, il faut bien le dire, tout à fait contraire à ce que l’on lit partout ailleurs dans l’Evangile. Jésus sans cesse fustige les riches, la richesse, ceux qui ont beaucoup. Et il appelle au don, à la pauvreté. Et même, loin de privilégier ceux qui ont des chances dans leur vie, il dit une bonne nouvelle à ceux qui précisément n’ont pas, aux pauvres, aux exclus, aux malades. De ceux-là il s’est approché, il est allé chez eux, les a guéris et leur a dit une bonne nouvelle, ainsi les Béatitudes disent elles : « heureux ceux qui pleurent »... « heureux les pauvres... » etc.

Notre affirmation de Jésus est ainsi tout à fait discordante par rapport au reste de l’Evangile, elle est donc particulièrement intéressante et mérite qu’on s’y attarde pour tenter de comprendre qu’elle peut signifier vraiment.

Pour cela on peut chercher le contexte dans lequel Jésus a pu dire cet adage, or c’est là que les choses se compliquent encore parce qu’on le trouve au moins quatre fois dans les évangiles, deux fois dans Matthieu, et aussi dans Marc et dans Luc, et à chaque fois un contexte différent.


1. L’occurrence la plus connue et évidente est celle qui place notre affirmation en conclusion de la parabole des Talents en Matt. 25:29. On y voit ces trois serviteurs auxquels le maître confie cinq, deux et un talents, les deux premiers doublent leur capital, mais le dernier n’a rien fait et rend le talent au maître quand il revient, ce qui lui vaut une condamnation forte. Toute la parabole fonctionne bien comme notre adage, avec le même paradoxe : on aurait trouvé plus évangélique de montrer le riche qui se repose sur ses cinq talents en ne faisant rien et le pauvre qui travaille laborieusement avec son seul talent, parvenant à en gagner un autre, le maître disant alors : « prenez à celui qui a cinq talents et donnez les à celui qui n’en avait qu’un, car on donnera à celui qui n’a pas et à celui qui croyait avoir on ôtera ce qu’il a ». C’est donc curieusement le contraire qui nous est présenté là.

Or peut-être que précisément c’est notre adage qui peut permettre de comprendre l’ensemble de la parabole. En effet, il y a quelque chose de curieux : il est dit : « à celui qui n’a pas, on ôtera ce qu’il a », or comment pourrait-on lui retirer quoi que ce soit s’il n’avait vraiment rien. Il faut donc comprendre que celui qui pensait n’avoir rien, en fait avait quelque chose qu’il n’avait pas vu. Et c’est bien toute l’histoire de cette parabole des Talents. Le mauvais serviteur rend le talent au maître en lui disant, « il est à toi, prends le ». Et c’est là qu’il se trompe, le talent ne lui était pas juste confié, il lui était donné en fait. Son erreur a été de n’avoir pas accepté le talent comme le cadeau que voulait lui faire le maître. Tout le reste de la parabole l’atteste : le verbe du début disant que le maître « donna » ses talents (et pas juste « confia ») et la conclusion où l’on voit bien qu’il laisse les talents aux serviteurs, il ne les reprends pas, au contraire même puisqu’il dit finalement : « prenez le talent et donnez le à celui qui en a dix ». Ainsi, celui qui n’avait qu’un seul talent n’a pas compris qu’il en possédait un, il n’a pas accepté le cadeau, il n’a pas cru à la grâce, et il s’en trouve ainsi dépossédé.

Nous voyons alors que le vrai péché, c’est de ne pas accepter la grâce, ou les grâces qui nous sont données dans notre vie, or c’est précisément sur ces richesses que nous devons construire notre existence. Il faut savoir reconnaître ce que l’on a reçu et construire dessus.

Pour notre vie quotidienne, les grâces, ce peut être toutes les chances que nous avons. Et pour c’est à chacun de dire quelles sont les grâces dont il dispose, ce peut être de l’argent, une bonne santé, la jeunesse, une bonne humeur, des amis, du temps, ou n’importe quelle chose positive. Or la parabole des Talents nous apprend à ne pas nous culpabiliser d’avoir parfois de la chance dans certains domaines. Au contraire, il faut accepter ces chances comme des cadeaux, et construire sa vie dessus. Refuser un cadeau, c’est offensant pour le donateur, et c’est idiot, c’est se priver d’une joie, et aussi ou surtout d’un moyen d’action, de la possibilité d’en faire quelque chose. Il faut donc accepter ces grâces, avec simplicité et reconnaissance, sans culpabilité et se demander ensuite ce qu’on va en faire de bien. Car c’est sur ce que l’on a que l’on peut construire. Sur du rien on ne construit rien. La plainte, la déploration, les gémissements sur nos manques ne peuvent donner aucune dynamique positive. La vie chrétienne n’est finalement rien d’autre qu’une dynamique que nous sommes invités à mettre en œuvre à partir de ce que nous avons. La foi est une démarche, pas un état. Et plus nous savons reconnaître les grâces que nous avons, plus nous avons un cœur reconnaissant, plus on gagne encore en grâces et en joie, pour soi et pour les autres.


2. Mais disions nous, la parabole des Talents n’est pas le seul contexte de notre adage, on le retrouve en d’autres endroits qui permettent de préciser. En particulier, Jésus le prononce plusieurs fois après qu’il ait dit : « prenez  garde à ce que vous écoutez », ou « à comment vous écoutez », ce dont il est question donc, c’est de parole. De même dans le contexte de la parabole du Semeur dont nous allons parler plus tard, ce dont il s’agit, c’est de l’écoute de la parole de Dieu, c’est-à-dire de l’Evangile.

Cela n’est pas sans importance, parce que nous avons vu qu’il faut construire sa vie sur ses chances, sur le positif que l’on peut y trouver, mais parfois il est difficile de voir vraiment les grâces qui peuvent être dans sa vie, et donc à celui qui aurait ainsi cette difficulté on peut dire : « vous avez au moins une grâce, une chance inouïe, même si votre vie vous semble toute mauvaise, c’est de disposer de l’Evangile. C’est une parole merveilleuse, une source de vie, de joie, de force, de grâce et de paix, une chance extraordinaire, offerte à tous, sur laquelle chacun peut construire la plus belle des vies ». Et même pourrions nous dire, la base, le vrai trésor fondamental de toute notre vie, plus que nos chances matérielles, c’est cette parole de Dieu. Elle est à la source de tout bien. C’est d’ailleurs ce qu’enseigne le prologue de Jean : « Au commencement était la Parole, et la parole était à Dieu et la parole était Dieu, tout a été fait par elle... ». Et cette parole, ce n’est pas seulement un texte que nous pouvons lire ou étudier, c’est une parole d’amour, une parole de pardon, de grâce, de tendresse, d’intelligence, de paix, d’espérance et de conseils aussi. C’est sur cette parole que nous pouvons ou devons construire. Il faut s’en nourrir, l’accepter, en faire son trésor à soi, et à partir de là, multiplier toutes ces bonnes choses pour en avoir à revendre.

C’est pour cela aussi que notre adage est mis en relation avec la parabole de la lampe : « on allume pas une lampe pour la mettre sous un boisseau, mais on la met sur un chandelier pour qu’elle brille ». Là encore, la Parole, dans la Bible est souvent assimilée à la lumière ou à la lampe : « Ta parole est une lampe à mes pieds, une lumière sur mon sentier » dit le Psaume 119 (v. 105). La question, c’est bien cella là, ce trésor de la parole de Dieu, il faut l’utiliser, ne pas l’enterrer ni l’oublier. Il y a en elle une source vive à laquelle il faut donner libre cours.

Alors il est vrai que souvent, nous avons tendance à minimiser l’importance de cette Parole, et croire qu’elle n’est pas grand chose. C’est précisément le sujet lors de la multiplication des pains où les disciples ont cinq pains et deux poissons, aussi symboles de la Parole, il leur est demandé de nourrir toute une foule, ils ont du mal à croire cela suffisant, mais sur l’insistance du Christ ils le font et cette maigre richesse permet de nourrir 5000 personnes. Avec l’aide du Christ, même un maigre talent peut faire de grandes choses et devenir source de vie pour une multitude.

Mais dans tous les cas, il y a une participation active essentielle de l’homme, celui-ci doit faire quelque chose de cette grâce qui lui est offerte par Dieu en un geste premier. Sinon cette grâce risque de s’avérer impuissante. C’est ce que nous dit Jésus après la parabole du Semeur où il cite justement notre adage : certains ne font rien de cette parole (encore elle) qui est semée, « parce que eux, ils ont des yeux mais ne voient pas, des oreilles et n’écoutent pas ». Ils pourraient, autrement dit, recevoir cette Parole, mais ils ne se donnent pas la peine d’y travailler, d’y réfléchir, de la faire œuvrer en eux. C’est même une des raisons pour lesquelles Jésus dit qu’il a parlé en paraboles, parce que le salut ne se fait pas en apprenant une récitation, mais en réfléchissant soi-même sur un texte. Et justement, un des avantages des paraboles, c’est qu’elles ne sont pas simples, elles posent des questions, elles mettent en mouvement celui qui s’y soumet. La grâce ne fait pas tout, tout n’est pas donné tout fait, la grâce, les grâces sont le starter de la vie. La Parole de Dieu n’est pas un contenu simple qu’il suffirait d’apprendre ou d’appliquer, il faut le faire sien, le mettre en soi et le faire travailler en soi.


3. C’est sur ce point que le discours de Jésus après la parabole du Semeur nous renseigne le mieux. Ce passage est l’un des plus difficile de l’Evangile, il semble que Jésus dise qu’à certains il n’est pas donné de comprendre, mais dit-il aux disciples : « à vous il est donné de comprendre... ». Qu’ont-ils de plus ? Pourquoi ce privilège ? Peut-être qu’une réponse c’est que eux, ils sont dans une relation étroite avec Jésus alors que les autres écoutent de loin. Ainsi voyons nous que l’écoute de la parole ne suffit pas, la religion du Christ n’est pas une gnose, connaissance qui donnerait le salut, mais une démarche relationnelle avec le Christ médiatisée par la parole. On ne peut pas lire l’Evangile comme si c’était une simple philosophie ou un dialogue de Platon, pour transformer l’être du lecteur, cette parole a besoin d’autre chose, c’est d’être en relation avec le Christ.

Pour ceux qui ont une foi évidente, ceux qui ressentent que Jésus est leur ami, leur proche, ceux qui savent prier, ou qui se sentent aimés par Dieu, cela est évident : la foi ne peut pas être juste une adhésion intellectuelle à un beau programme, elle demande l’engagement de tout l’être dans une démarche existentielle. Pour ceux qui n’ont pas un tempérament mystique ou ne ressentent pas la présence de Dieu. A ceux-là on peut dire que cela signifie qu’ils doivent chercher à avoir avec la Parole un rapport qui ne soit pas de simple curiosité, mais qui les engage entièrement. L’Evangile n’est pas juste un texte à écouter, mais il est à comprendre avec le cœur, il ne faut pas juste s’y intéresser, mais s’y engager, y engager son être, y croire de toute son âme comme le rocher sur lequel on veut fonder sa propre vie.


4. Et il y a encore un autre contexte pour notre adage qui permet de le comprendre encore mieux : dans Marc 4, il est énoncé juste après que Jésus ait dit : « On vous mesurera avec la mesure avec laquelle vous mesurez et on y ajoutera pour vous ».

Là aussi la chose est compliquée. On aurait tendance à comprendre cela par rapport au contexte de Matthieu qui le lie à la question du jugement :  « Ne jugez pas, afin de ne pas être jugés. C’est du jugement dont vous jugez qu’on vous jugera, de la mesure dont vous mesurez qu’on vous mesurera » (Matt. 7:1). Mais il se pourrait bien que ce contexte de Matthieu nous égare, en Marc, il ne s’agit pas de jugement, mais de ce que nous recevons et donnons. Et donc l’idée c’est que celui qui reçoit beaucoup peut beaucoup donner, et que celui qui voit en grand toutes les grâces qu’il possède en reçoit encore davantage, parce qu’on donne à celui qui a... Mais celui qui se juge chichement finit par perdre le peu qu’il a.

Pour beaucoup recevoir, il faut donc commencer par voir largement tout ce que l’on a déjà, ce que l’on a reçu, les grâces qui nous ont été données. Il ne faut donc pas se dévaloriser ou se sous-estimer. Il y a un réel danger dans cette fausse humilité de celui qui se dit pauvre ou peu intelligent, ou ne possédant pas grand chose, ou trop petit pour avoir quoi que ce soit à donner et pouvoir faire la moindre chose pour les autres. Une telle auto-dévalorisation n’est qu’un mensonge. Tout le monde a en soi une richesse, une chance, quelque chose qu’il a et qu’il peut donner aux autres. Il faut donc arrêter de dire que l’on n’a rien à donner, c’est trop souvent une fausse humilité qui arrange notre égoïsme et nous dispense de nous préoccuper de ce que nous pourrions faire pour d’autres qui ont moins que nous.

Posséder, avoir n’est pas seulement pour notre propre petite satisfaction, mais parce qu’en possédant beaucoup, on peut donner beaucoup. Ainsi personne ne devrait dire : « je ne peux rien faire pour mes enfants, ou mes petits enfants, ou ma paroisse, ou encore je ne sert à rien, je suis trop nul, ma vie est inutile et n’apporte rien à personne... ». C’est faux ! Là est l’erreur existentielle la plus grave qui soit, c’est une aspiration vers le vide et vers la mort. Chacun a quelque chose qu’il peut donner, même une parole, un peu de temps, de l’écoute et de la disponibilité, même un sourire, une prière, une pensée, une affection, la liste est longue, il suffit de chercher dans sa vie pour trouver ce talent enfoui. Et même si en cherchant on ne le trouve pas, il en reste plein dans notre vieille Bible. Nous avons là un trésor : la bonne nouvelle de l’Evangile. Quelle merveille, que de paroles de vie, elles sont là, à portée de main, offertes gratuitement à chacun, c’est notre trésor aussi, pourvu que nous sachions le faire nôtre.

Soyez donc généreux avec vous-mêmes, croyez en vous, et vous pourrez faire de grandes choses et vous en recevrez encore mille fois plus.

Et si vous vous croyez pauvre, sachez que non, vous êtes riche, il y a des trésors en vous, vous vous croyez seuls, alors que certainement il y a autour de vous plus d’amitié, et d’affection que vous ne pouvez le penser, et même, il y a un Dieu d’amour qui pense à vous, qui vous couvre de sa tendresse chaque jour.

Certes, votre vie est peut-être difficile, mais il y a tant et tant de grâces, de trésors de richesses, de chances en elle si vous savez chercher, que vous pouvez construire dessus, et surtout vous avez plein de choses que d’autres n’ont pas... Donnez le leur, et vous aurez un trésor dans le Ciel et plus vous donnerez plus vous serez riches pour l’éternité.

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Matthieu 25:24-29

24Celui qui n’avait reçu qu’un talent s’approcha ensuite et dit : Seigneur, je savais que tu es un homme dur, qui moissonnes où tu n’as pas semé, et qui récoltes où tu n’as pas répandu ; 25j’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre : voici : prends ce qui est à toi. 26Son maître lui répondit : Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé, et que je récolte où je n’ai pas répandu ; 27il te fallait donc placer mon argent chez les banquiers, et à mon retour j’aurais retiré ce qui est à moi avec un intérêt. 28Otez-lui donc le talent, et donnez-le à celui qui a les dix talents. 29Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a.

Matthieu 13:10-17

10Les disciples s’approchèrent et lui dirent : Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? 11Jésus leur répondit : Parce qu’il vous a été donné de connaître les mystères du royaume des cieux, et qu’à eux cela n’a pas été donné. 12Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a. 13C’est pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu’en voyant ils ne voient pas, et qu’en entendant ils n’entendent ni ne comprennent. 14Et pour eux s’accomplit cette prophétie d’Ésaïe :
  Vous entendrez bien, et vous ne comprendrez point.
  Vous regarderez bien, et vous ne verrez point.
  15Car le cœur de ce peuple est devenu insensible ;
  Ils se sont bouché les oreilles, et ils ont fermé les yeux,
  De peur de voir de leurs yeux, d’entendre de leurs oreilles,
  De comprendre de leurs cœurs,
  Et de se convertir en sorte que je les guérisse.
16Mais heureux sont vos yeux, parce qu’ils voient, et vos oreilles, parce qu’elles entendent. 17En vérité je vous le dis, beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous regardez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu.

Marc 4:21-25

21Il leur disait encore : Est-ce que la lampe se met sous le boisseau ou sous le lit ? N’est-ce pas sur le chandelier ? 22Car il n’est rien de caché qui ne doive être manifesté, rien de couvert qui ne doive venir au grand jour. 23Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende. 24Il leur disait encore : Prenez garde à ce que vous entendez. On vous mesurera avec la mesure avec laquelle vous mesurez et on y ajoutera pour vous. 25Car on donnera à celui qui a ; mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a.

Matt. 25:24-29, Matt. 13:10-17, Marc 4:21-25