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56, avenue de la Grande-Armée, 75017 Paris

Et la parole a été faite chair

Prédication prononcée le 12 mai 2013, au Temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

Et verbum caro factum est

Καὶ ὁ λόγος σὰρξ ἐγένετο

« La parole s’est faite chair ». Ce passage du début de l’Evangile de Jean est une affirmation essentielle qui a eu un très grand rôle dans l’histoire de l’Eglise et de la théologie. Il s’y trouve, en effet, toute la question de l’incarnation et de la nature du lien entre Dieu et Jésus-Christ. Cette simple phrase a suscité des milliers de questions, de débats, à elle seule elle est responsable d’innombrables hérésies, d’exclusions, d’anathèmes et même sans doute de bûchers.

En gros on comprend ce qui est en jeu : la parole, c’est la parole de Dieu, et si elle se fait chair, c’est quelle devient homme en Jésus Christ. Mais ensuite ? C’est compliqué. Qui, ou quoi est cette parole ? Le concile de Nicée dit qu’elle est « engendrée et non crée », est-elle Dieu ? Comment est-elle divine et coéternelle avec Dieu sans être Dieu ? Et la doctrine de la Trinité qui la considère comme étant la deuxième personne, la seconde hypostase ne simplifie rien. Et ensuite, comment cette parole devient-elle chair ? Voilà un autre mystère.

Pour une fois, je vous propose donc de faire un peu de théologie, et revisiter tout ça sérieusement pour remettre un peu d’ordre et de cohérence.

La première chose à faire est de clarifier ce qu’est cette « parole ».

Beaucoup a été dit à ce sujet, en particulier à partir du fait que l’Evangile de Jean nous étant parvenu en grec, le mot utilisé est « logos ». Certains ont donc voulu y voir une influence de la philosophie grecque, en particulier stoïcienne, ou penser qu’il s’agit non pas de la « parole », mais de la « raison ». D’autres on voulu y voir le logos gnostique, sorte d’émanation divine. Mais le plus simple et logique est de ne pas chercher si loin, et de s’en tenir à la parole telle que la Bible nous en parle. C’est cohérent, en particulier par la forme du premier verset : « Au commencement était la parole » qui renvoit évidemment à Genèse 1 : « Au commencement Dieu créa le Ciel et la Terre.», puis les dix fois où Dieu crée par une parole : « Et dieu dit... ». La parole dont il est question est donc certainement la parole créatrice de Dieu, son acte créateur. Il est vrai qu’au commencement du monde, il y a un acte créateur, et que le monde a été créé par une puissance créatrice qui est Dieu. Cela n’est pas une grande nouvelle, et ce n’est pas original, mais là où Jean l’est plus, c’est qu’il affirme que cette parole originelle créatrice, elle est encore à l’œuvre aujourd’hui dans le monde.

Cette affirmation théologique s’oppose à plusieurs systèmes de pensée encore aujourd’hui en vogue. Le premier est le déisme, idée représentée en particulier par la pensée de Voltaire voyant Dieu comme un horloger qui aurait fait le monde, puis qui n’y agirait plus en le regardant tourner. Cette idée est, en fait, la base de bien des critiques athées, de ceux qui disent ne pas pouvoir croire en Dieu à cause du mal qui se trouve dans le monde. Cela suppose en fait une position déiste qui n’est pas celle de la Bible, que le monde serait une sorte de chef d’œuvre, et qu’on pourrait juger le créateur sur le résultat. Mais justement, le monde n’est pas fini, c’est une ébauche, et la création n’est pas un acte terminé, nous sommes dans une création continuée. Et s’il y a du mal dans le monde, c’est qu’il a besoin d’un perfectionnement à l’endroit même du mal, et nous sommes appelés à être les coopérateurs de Dieu pour lutter contre le mal et ses conséquences.

Nous sommes donc invités à voir le monde et notre vie dans un sens dynamique. Nous ne sommes pas les conservateurs d’une réalité menacée, mais les entrepreneurs, les coopérateurs à une grande œuvre de construction du monde de demain. Ce qu’il faut, c’est avancer, inventer, transformer. De même notre vie doit être vue dans la dynamique, ce qui compte, ce n’est pas d’essayer de « rester jeune » en voulant gommer les effets du temps, mais au contraire de nous tourner vers ce que peut être notre vie demain, de grandir, d’avancer. Et pour l’Eglise aussi, nous ne devons pas être bloqués par une tradition immobile et séculaire, mais être dans une Eglise en marche, une Eglise toujours en réforme.

Cette affirmation d’une création encore active, d’une parole créatrice encore à l’œuvre, s’oppose aussi à la vieille religion pharisienne contre laquelle Jésus s’est précisément opposé. Les juifs pensaient à ce moment là que la parole de Dieu ne se donnait plus. Elle avait été donnée à Moïse sur le mont Sinaï avec la loi, puis par la bouche des prophètes, mais ils pensaient que depuis le dernier prophète, depuis Malachie, Dieu ne parlait plus et l’esprit de Dieu avait cessé de souffler. Ce qu’il fallait donc c’était se contenter des anciennes paroles, et de leur obéir par une stricte observance. Jésus va bouleverser tout ça, et dire que la Parole peut encore être donnée, et que par lui l’Esprit souffle encore pour une nouvelle création.

La parole a créé le monde, c’est une affirmation que l’on peut comprendre d’une manière cybernétique : l’évolution du monde se fait par complexification, or le monde d’aujourd’hui ne peut pas être déduit du monde d’hier. Donc il y a apport d’information. De même, le monde de demain ne peut pas être déduit du monde d’aujourd’hui, il faut l’inventer, il faut savoir par où aller si on veut y contribuer. Mais comment pourrais-je savoir dans quelle direction agir si personne ne me l’explique ou me montre le chemin ? Comment même pourrais-je imaginer vers quoi je suis invité à aller ou à devenir si personne ne me l’indique ? Je ne peux pas l’inventer moi même. C’est pourquoi la parole de Dieu est « prophétique », ce n’est pas qu’elle dit ce qui sera comme si tout était écrit d’avance, mais parce que Dieu dit ce à quoi est appelé le monde, ce vers quoi il doit tendre. L’Evangile est une parole prophétique, il nous propose une certaine conception du monde vers lequel nous sommes invités à aller et pour lequel nous pouvons agir. Nous ne sommes plus donc dans l’ancienne religion juive avec juste l’obligation d’obéir sans forcément comprendre, mais Jésus inaugure un nouveau rapport à Dieu où nous ne sommes plus des serviteurs, mais des amis à qui on explique ce qu’il y a à faire pour les inviter à agir ensemble à un grand et beau projet commun. (Cf. Jean 15:15 : Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; mais je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père.)

Reste un grand débat parmi les théologiens, si le Logos qui est dans le prologue de Jean est la « parole » de l’Ancien testament, il y a deux verbes en hébreu pour dire parler : « amar » et « dabar» et les spécialistes se déchirent pour savoir auquel des deux il faut s’attacher pour comprendre de quelle parole jésus est l’incarnation.

Le plus souvent, on pense à « dabar ». Ce serait alors une référence aux « dix paroles », ce que les chrétiens appellent « les dix commandements ». C’est en effet une des manières essentielles par laquelle Dieu peut créer avec nous un nouveau monde : en indiquant une direction. La parole de Dieu, c’est un programme à suivre, elle ouvre une voie, nous montre un chemin, une route. Dieu nous dit où l’on peut aller, il propose un programme, un projet, et certainement que l’Evangile, la prédication du Christ est un projet pour l’humanité et le monde. Ensuite, à nous d’adhérer ou non à ce projet, à nous de vouloir mettre notre énergie, notre vie au service de ce programme. Cette adhésion, c’est ce que la Bible appelle « la foi ».

Et certains penchent plutôt pour un mot venant du verbe « amar ». La différence est ténue, mais ce serait logique, car c’est le verbe qui est utilisé dix fois dans Genèse 1 pour parler de la création de Dieu : « Vayomer Elohim yehi or vayehi or» : « Et il dit l’Eternel la lumière est et la lumière est». Or ces paroles de Dieu, ce ne sont pas des ordres, pas des commandements. Comment pourrait-il commander à une lumière qui n’est pas encore ? Cette parole de Dieu, c’est une parole créatrice. Dieu dit la chose avant qu’elle soit, et parce qu’il la dit elle advient, il crée en disant, sa parole, d’une certaine manière s’incarne. Pour nous qui en sommes au bénéfice, cette parole, ce n’est plus celle d’un commandement ou d’une suggestion, mais une parole qui transforme celui qui la reçoit, une parole qui crée celui qui la reçoit à l’image de ce qui est dit.

Cela n’est pas absurde, et on en connaît bien le mécanisme en particulier en pédagogie, si un maître dit à un élève : « tu es nul, tu es bon à rien et tu n’y arriveras jamais » il a peu de chance de réussir, il deviendra à l’image de ce qu’on a dit sur lui. Au contraire, celui à qui l’on dit : « tu est bon, j’ai confiance en toi, tu peux y arriver » a beaucoup de chance de réussir effectivement. C’est ce que l’on appelle la parole performative. Il est vrai que la parole a un grand pouvoir, elle peut transformer un être, comme une parole d’amour peut rendre quelqu’un joyeux, rayonnant, et beau, ou au contraire une parole négative de harcèlement peut même tuer quelqu’un. Le livre des Proverbes le dit bien (Prov. 18:21) : la mort et la vie sont au pouvoir de la langue.

Ainsi y a-t-il dans l’Evangile, dans ce que le Christ nous a transmis, une parole créatrice qui peut faire de nous des êtres neufs. Dieu nous dit : « tu es beau, tu es aimé, tu peux bien faire, tu es amour, tu es bonté et pardon ». Celui qui accepte que cette parole soit dite sur lui et pour lui peut être transformé par cette parole.

C’est ce que nous faisons en particulier aux petits enfants que nous baptisons : poser sur eux une parole positive d’amour et de grâce, et une vie marquée à son commencement par une parole de grâce et d’amour est une vie nouvelle.

C’est même d’ailleurs comme cela aussi que l’on peut comprendre les 10 commandements que les juifs ont raison d’appeler « les 10 paroles ». On peut en effet remarquer qu’ils ne sont pas à l’impératif mais au futur. Il n’est pas écrit : « ne tue pas », mais « tu ne tueras pas ». Ce sont donc des promesses, Dieu dit que celui qui restera en sa présence, il est certain, et le lui promet : il n’aura pas d’autre Dieu, il ne tuera pas, il ne dira pas de faux témoignages etc...

Accepter d’être l’objet d’une parole positive, c’est accepter de se laisser transformer par elle.
Ainsi, cette affirmation de Jean que Dieu est parole et qu’il crée encore par cette parole est fondamentale. Cette « parole », bien sûr, ce n’est pas un être à part, pas un autre Dieu, mais c’est Dieu lui même dans son acte créateur. Et Jean nous affirme que Dieu est son propre acte créateur, Dieu, ce n’est pas une personne comme nous, pas un individu sur un nuage, mais c’est une puissance créatrice, une information qui conduit le monde, un programme qui s’effectue dans le monde, une direction du monde, un projet pour le monde, une puissance de création dans le monde. Dieu est sa Parole et la Parole de Dieu, c’est Dieu. Elle n’est pas « auprès » de Dieu comme le disent si malheureusement depuis 15 siècles nos traductions françaises, se copiant les une sur les autres pour donner quelque chose qui n’a aucun sens. Comment la parole pourrait-elle être à la fois Dieu et à côté de Dieu ? C’est ridiculement absurde. La proposition « pros » en grec peut tout simplement dire l’appartenance ou ce qui concerne quelque chose (Comme en Rom. 15:17). La seule traduction possible est donc « Au commencement était la Parole, et la parole était celle de Dieu, et la parole était Dieu ».

Voici donc la première question réglée : la Parole dont il est fait mention ici, ce n’est pas une réalité à partir de Dieu, pas une sorte d’entité éternelle et sous divine, mais l’acte créateur de Dieu, c’est Dieu à l’œuvre dans la création par sa parole et c’est tout. C’est simple.

Restent une série de contresens générées par le verset 14 : « Et la parole a été faite chair ».
Le premier est l’utilisation du mot « chair ». En français la chair, c’est la viande, sans l’âme ni l’esprit. Et ainsi certains chrétiens ont pensé que le Christ, c’était comme Dieu recouvert de chair, comme un fantôme qui se laisse voir lorsqu’il est recouvert d’un drap, ou plus subtilement une matière corporelle sans âme habité par Dieu, un corps vide dont Dieu en quelque sort aurait été le sujet, l’âme (Apollinaire de Laodicée). Ces hérésies ont toujours été condamnées très vivement par l’Eglise dans l’antiquité, et fort heureusement. Dans la Bible, le mot « chair » est utilisé pour désigner l’homme complet, avec son âme, son intelligence et sa liberté. Ainsi pour dire « tout homme » l’Ancien testament dit souvent « toute chair » (Cf : Esaïe 49:26 « toute chair saura que je suis l’Eternel »). Ce qu’il faut comprendre donc de ce verset, c’est que la parole créatrice et positive de Dieu, elle s’est trouvée présente dans un homme complet et véritable, et que Jésus qui a accueilli cette présence divine en lui était un homme complet et véritable, avec son âme crée lors de sa conception en Marie, son intelligence propre, et sa liberté. Certes il a vécu dans l’union avec Dieu, mais union n’a jamais voulu dire confusion. Et tous les conciles ont toujours réaffirmé cela et fermement condamné ceux qui oubliaient cette dimension essentielle de l’humain dans l’union hypostatique.

Et puis l’autre contresens réside dans l’expression « a été faite », ou « est devenue ». C’est une catastrophe théologique, parce que Dieu ne peut pas devenir autre chose que ce qu’il est. Dieu est absolu, il n’y a pas de devenir en Dieu, il est éternel et immuable, il ne se transforme en rien, ni en homme ni en quoi que ce soit. La parole ne peut donc pas « devenir » chair. Ce qu’il faut comprendre, c’est que cette parole, elle s’est trouvée présente en plénitude dans une personne qui était Jésus de Nazareth et qu’ainsi il devenait le porte parole de l’action créatrice de Dieu, celui qui, parfaitement uni à Dieu peut nous le faire connaître et comprendre. L’Evangile de Jean utilise d’ailleurs une belle image en disant qu’en lui la parole a « habité » parmi nous. Le mot, textuellement est « a planté sa tente ». La Parole de Dieu a planté sa tente en Jésus Christ se rendant présente en lui, et y habitant comme dans une tente.

Ainsi ne faut-il pas chercher dans Jean des théories fumeuses de divinité qui se déguisent en homme, ni de demi-dieu, ni de pré-existence de qui que ce soit d’autre que Dieu. Il y a seulement une bonne nouvelle, c’est que Dieu est encore à l’œuvre dans le monde et en chacun de nous pour préparer le monde de demain et faire de chacun de nous un être neuf, une nouvelle créature. Et la foi chrétienne, c’est que ce message créateur il se trouve tout entier dans la personne du Christ, et nous y avons accès par l’Evangile qui nous a été transmis.

Donc ce que nous avons à faire, c’est d’abord à suivre son programme, à prendre l’Evangile comme le programme de notre vie, ce qui peut se comprendre à la fois comme un programme politique : ce que nous voulons mettre en œuvre, le plan de notre action, et comme un programme informatique : que notre vie soit informée par l’Evangile, que l’Evangile soit notre « système d’exploitation », ce qui nous fait vivre et qui oriente toute notre manière d’être au monde. L’Evangile est un bon programme et il faut se le rappeler, il faut se répéter les Béatitudes et en faire son chemin, sa vérité et sa vie, et de même de tous les beaux enseignements et exemples du Christ. L’Evangile par là est une parole créatrice qui peut créer un monde nouveau par ceux qui voudront bien le mettre en œuvre.

Et puis l’Evangile est une parole créatrice qui peut transformer celui qui s’y frotte, parce que c’est une parole dite sur chacun, une parole d’amour, de pardon, de vie, de paix et de grâce. Cette parole peut faire de moi un être neuf, me redonner la vie, me ressusciter de toutes les puissances mortifères qui m’enferment. Pourvu simplement que je continue sans cesse de faire résonner cette parole dans ma vie. On sait par exemple que celui ou celle à qui son amoureux lui dit « je t’aime » est transformé par cette parole d’amour, mais chacun a besoin de se l’entendre redire régulièrement, et ne pourrait se contenter à la demande : « dis moi que tu m’aimes » d’un simple, « tu le sais bien, je te l’ai dit il y a 20 ans le jour de notre mariage ». De même l’Evangile lu il y a de nombreuses années doit sans cesse être relu revisité pour que sa parole reste vive et efficace sur nous et continue de nous transformer.

Au commencement était une parole créatrice, toute la puissance de cette parole nous est donnée aujourd’hui encore pour notre plus grand bien, pour le bien du monde pour la vie, la paix, la joie et l’amour. Heureux celui qui l’écoute et la fait résonner en lui.

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Jean 1:1-14

Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Tout a été fait par elle, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas accueillie...

C'était la véritable lumière qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme. Elle était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l'a pas connue. Elle est venue chez les siens, et les siens ne l'ont pas reçue ; mais à tous ceux qui l'ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom et qui sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu.

La Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité ; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme celle du Fils unique venu du Père.

Jean 1:1-14