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La conversion de Paul sur le chemin de Damas

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Prédication prononcée le 12 juin 2016, au Temple de l'Étoile à Paris,

par le pasteur Louis Pernot

Paul se convertit sur le chemin de Damas. L’histoire est connue, mais elle ne peut nous intéresser que si nous pouvons nous y identifier. Or justement l’idée même et intéressante parce que tous nous sommes aussi appelés à nous convertir. C’est ce que disait Jean-Baptiste dans sa prédication et aussi le Christ au début de son ministère : « convertissez vous ! ». Cela ne voulait pas dire de changer de religion, mais de revenir vers Dieu, de ramener à lui ce qui avait pu en être éloigné.

Paul, lui, persécutait les chrétiens et il est devenu l’un des principaux fondateurs de l’Eglise. Bien sûr, nous, nous ne persécutons pas l’Eglise, et nous pouvons déjà nous considérer comme chrétiens pour la plupart, mais personne n’est totalement converti au Seigneur, il y a en chacun une part qui est rebelle, et qui, au lieu d’être tournée vers Dieu et son royaume, est mue par l’égoïsme, la jalousie, la violence, le ressentiment, voire une forme de haine. Et chaque fois que nous agissons en opposition à l’Evangile, nous blessons le Royaume, ou nous déchirons ce qui est de la communion fraternelle qui devrait être mue par l’amour du Christ. Donc oui, il y a toujours en nous quelquechose à convertir et nous avons toujours besoin de revenir à Dieu plus que nous ne le sommes réellement.

Comment donc convertir cette part rebelle de notre existence à Dieu ? C’est là que l’exemple de Paul peut nous instruire.

La question est : qu’est-ce qui convertir Paul ? Clairement il y a un dialogue : « Saul Saul, pourquoi me persécutes-tu ? - Qui es-tu Seigneur ? - Je suis Jésus que tu persécutes » et immédiatement, Paul se convertit.
Cela est tout à fait curieux : ce dialogue est trop simple, il est même presque trivial, comme deux personnes s’entendant mal au téléphone : « qui est à l’appareil ? - Ah c’est toi Jésus ? Alors je me convertis ». Comment cela a-t-il pu ainsi faire basculer la vie de Paul ? Et comment ce dialogue peut-il nous aider nous-mêmes à nous convertir ? Il faut croire qu’il y a quelque chose dans ce récit qui échappe.

Or le récit de la conversion de Paul se trouve trois fois dans le livre des Actes (Ch 9, 22 et 26). Ces récits ont des variantes : il y a une lumière, et une voix, parfois les compagnons voient la lumière mais n’entendent pas la voix ou le contraire, la seule chose qui reste absolument semblable, c’est le dialogue qui est absolument semblable. On peut donc penser que c’est bien là la clé de l’histoire. Mais il faut avouer que même en creusant, en cherchant en analysant, ce dialogue semble rester désespérément sans grand intérêt.

Une piste peut-être trouvée dans le troisième récit. Là une précision est donnée : Paul dit qu’il entendit une voix venant du Ciel lui dire « en langue hébreu » le dialogue que nous connaissons bien. Cette précision est curieuse, et comme on ne peut pas penser qu’il y ait dans le texte biblique une précision inutile, c’est qu’il y a là quelque chose d’important. L’idée est alors d’essayer d’entendre « en hébreu » ce que Paul a entendu. On peut en avoir une idée : au XIXe siècle, un pasteur hébraïsant : Franz Delitzsch voulant convertir les juifs à l’Evangile a traduit en hébreu biblique tout le Nouveau Testament. Ainsi d’après lui la phrase qui a convertit Paul : « Je suis Jésus que tu persécutes » devait être : « Ani Ieshouah acher ata rodeph ». Or voici la découverte : en hébreu, cette phrase a un double sens et peut signifier tout à fait autre chose.
En effet : « Ieshuah » qui est le nom de Jésus, en hébreu signifie : « le salut ». Et le verbe « Radaph » signifie « persécuter », mais aussi « poursuivre », « chercher », « rechercher », ce qui peut s’entendre par rapport à une idée ou un idéal. Ainsi avons nous ce verbe en Esaïe 51:1 : « Ecoutez moi vous qui recherchez la justice » ou en Psaume 38:21 : « moi je poursuis la paix » ou encore en Psaume 34:15 : « Recherche et poursuis la paix ».

Ainsi la phrase : « Je suis Jésus que tu persécutes » en hébreu s’entend comme « Je suis le salut que tu recherches ».

Or Paul a toujours été un obsédé du salut. Toute sa vie a été construite sur cette recherche du salut, ce qui peut justifier sa vie. Au départ il était dans l’obéissance et l’intégrisme, il découvre que ce salut se trouve en Jésus Christ. Toutes ses épîtres tourneront sans cesse autour de cette question du salut, salut par les œuvres, salut par l’obéissance à la loi qu’il rejettera pour annoncer sa grande découverte : le salut est offert par grâce, par la foi en Jésus Christ.

Or cette question du salut est plus moderne qu’il ne peut paraître. Certes, peu aujourd’hui sont préoccupés par les questions d’enfer ou de paradis, mais en fait tout homme cherche le salut : ce qui peut permettre d’accomplir sa vie, le but de son existence. Ce salut, c’est ce qui peut permettre de dépasser sa finitude, d’aller au delà de sa destinée de mammifère comme une vie limitée entre sa naissance et sa mort. C’est trouver cette transcendance qui nous sauve de la souffrance, de la maladie et de la mort en montrant que notre vie physique ne se réduit pas à cela. C’est ce qui nous permet de surmonter le sentiment de nos échecs, de notre incapacité à réaliser le bien, ce qui permet de se sauver du sentiment d’insatisfaction profonde que peut donner la vie. Dans cette quête de quelque chose qui puisse donner un sens à sa vie, on pourrait être tenté par une théologie des œuvres disant qu’une vie est sauvée si elle réalise de grandes choses, mais pour la plupart d’entre nous, nous ne pouvons y compter. Nos vies ne laisseront pas forcément de trace mémorable dans l’humanité. Paul au départ a voulu croire que ce qui pouvait donner ce sens à la vie était la pratique religieuse, l’obéissance à une loi qu’il considérait comme divine. Voulant bien faire, il est tombé dans une sorte de fanatisme intégriste en voulant en faire encore plus que les autres.

Et voilà qu’il découvre que ce salut il n’est pas à construire soi-même en s’accumulant des mérites, mais qu’il se reçoit. Il découvre que c’est Jésus qui sauve, par ce qu’il nous a enseigné, et par ce dont il a témoigné. Ce qui nous sauve, ce ne sont donc pas les œuvres, mais l’amour, la grâce, le pardon. C’est en effet une conversion radicale. Et l’on voit que ce dialogue qui convertit Paul est beaucoup plus profond qu’il n’en a l’air.


Reste à savoir comment il en est venu à faire cette découverte. Pour ça, on peut penser que ce qui précède dans le dialogue relaté par les Actes peut nous en dire plus. On voit en effet que son cheminement passe par deux questions fondamentales.

La première, c’est le « Pourquoi ? » du « pourquoi me persécutes-tu ? ».

Cette question « pourquoi ? » est une excellente question que l’on peut se poser dans toute circonstance : il s’agit de réfléchir pourquoi on agit comme on le fait dans sa vie. Il n’est pas bon de vivre sans se poser de questions, il faut réfléchir, se remettre en cause, faute de quoi il ne peut évidemment rien advenir de neuf dans son existence.  Or pour tout le monde, la tendance est de se contenter de l’habitude, de faire comme on a toujours fait, ou comme on nous a enseigné. Paul, ainsi ne savait pas « pourquoi » il agissait ainsi, il était pris dans un mouvement, sans doute obéissait-il à la tradition, comme certains nazis qui n’étaient pas forcément mauvais mais qui se justifiaient en disant : « nous obéissions aux ordres ». Ainsi le texte dit-il que Paul allait chercher des lettres des autorités pour faire ce qu’il faisait. Mais justement, personne n’est contraint de rester dans ses vieilles ornières, et pour en sortir, il faut s’interroger sur le sens de ce que l’on fait.

Souvent d’ailleurs le Christ dit-il « pourquoi ? » dans son enseignement, l’Evangile est plus une religion qui incite à réfléchir sur sa vie qu’une religion d’autorité donnant des ordres ou des conseils moraux. Ainsi dit-il au soldat qui le frappe : « pourquoi me frappes-tu ? », à Pierre, il dit : « pourquoi as-tu douté ? », aux disciples : « Pourquoi raisonnez vous ainsi ? » etc. Paul de son côté quand on lui demandera si il est autorisé de faire ceci ou cela, il dira : « tout est permis, mais tout n’est pas utile... tout n’édifie pas » (1 Cor 10:23). Donc là encore rien n’est interdit en soi, mais il faut réfléchir. A un homme qui transgressait le sabbat en travaillant dans son champ il dit : « oh homme, si tu sais ce que tu fais, heureux es-tu, sinon, tu es maudit et transgresseur de la loi » (Luc 6:4 variante D). L’important, ce n’est donc pas tant d’obéir à une loi, fut-elle religieuse, mais de savoir pourquoi on fait les choses. Et Paul encore, quand on lui demande s’il est bon ou non de s’abstenir de manger de la viande, il dit que quoi qu’on fasse : « Que chacun soit pleinement convaincu dans sa propre pensée » (Rom. 14 :5) et finalement : « tout ce qui ne résulte pas de la foi (ou de la conviction) est péché.  » (Rom 14:23).

Le Christ incite ainsi chacun à réfléchir sur sa vie, et pour chaque acte il faut se poser la question du « pourquoi » on fait cela. C’est ainsi que l’on peut devenir responsable de ses actes, et avancer vers le bien.


A partir de cette question du « pourquoi ? », Paul va répondre en disant : « qui es-tu Seigneur ? ». Là aussi c’est assez curieux, parce qu’il répond par une autre question, et autre question qui semble n’avoir aucun rapport. Et par ailleurs elle n’a pas beaucoup de sens parce que Paul savait très bien de qui il s’agissait. Paul n’était pas un débutant, il savait évidemment que quand une voix vient parler du Ciel avec une grande lumière, c’est Dieu qui parle. Dans la Bible, personne d’autre que Dieu dans la Bible n’a jamais parlé du Ciel. Et d’ailleurs il l’appelle « Seigneur », ce qui est le titre de Dieu. Paul ne demande donc pas à son interlocuteur de se présenter, mais il s’interroge sur la nature même de Dieu. Et c’est un bon réflexe, pour savoir pourquoi on agit, il faut s’interroger sur le but ultime de son existence, et c’est ça Dieu. Dieu, c’est ce qui compte ultimement pour nous, ce qui est essentiel, vital, c’est le fondamental de notre existence. C’est ce pour quoi nous serions capables même de donner notre vie, c’est ce qui pour nous fait que notre vie a un sens ou non. Dieu, c’est donc l’objet de notre foi, de la visée de notre existence, de la base, du fondement de tout notre système de valeurs et de nos convictions concernant notre vie. C’est le criterium ultime de tous nos choix existentiels.

Or Paul a raison, c’est dans leur finalité qu’il faut trouver le sens de nos actes, nos actes ne se justifient pas par leurs causes, mais par leur but. Ce qu’il faut chercher toujours, c’est le « pour-quoi ? » plus que le « pourquoi ». Les causes, elles appartiennent au passé, et précisément Dieu nous permet de nous libérer du passé par le pardon en particulier. Le passé, on ne le choisit pas, on le subit. Etre libre, c’est choisir de vivre en s’orientant par rapport à la visée que l’on choisit. C’est aussi le sens de la conversion, de faire demi-tour, et de se tourner non pas vers l’arrière, mais vers l’avant, vers le futur. Et la finalité ultime, c’est Dieu. Dieu est l’objet de la foi, ce en quoi l’on croit, la visée vers laquelle nous voulons nous diriger et qui devrait diriger toutes nos actions.

Ainsi Paul a raison, la réponse au « pourquoi ? » doit passer par le « pour-quoi ? » et donc par la question de savoir quel est le but ultime de tous ses actes. Paul se convertit alors en considérant que la prédication du Christ dit en fait l’essentiel qui devrait orienter toute vie : la grâce et l’amour. C’est ça la conversion fondamentale, acte venant de cette démarche que nous avons détaillée et qu’il faut faire et refaire sans cesse pour chaque acte. La conversion n’est donc pas un événement qui se fait une fois dans sa vie, mais une démarche qu’il faut sans cesse réitérer.

Alors Paul pose enfin encore une question, et une bonne question : « Que ferais-je Seigneur ? ». En effet, il ne suffit pas de réfléchir, de se poser des questions, enfin il faut agir. Paul comprend que Dieu envoie en mission, il ne laisse pas sur place. Il faut encore aller travailler dans la vigne du seigneur, c’est-à-dire se mettre au service de ces réalités dans lesquelles nous croyons. Or avoir conscience du but ne permet pas toujours de savoir exactement ce qu’il faut faire ou comment agir. Ca c’est une réflexion qu’il faut continuer à avoir, c’est le rôle de notre relation à Dieu, de la réflexion, la méditation et de la prière. La prière, en effet n’est pas bombarder Dieu de demandes, mais se mettre à son écoute, chercher non comment il pourrait nous servir, mais comment nous, nous pourrions le servir. L’archétype de la juste prière est celle qu’enseigne le vieil Eli au petit Samuel : « Parle Seigneur, ton serviteur écoute » (1Sam. 3:9)

Ainsi la conversion n’est-elle pas un changement d’état qui interviendrait une fois dans sa vie, mais une démarche permanente, un questionnement, une dynamique qui ne nous laisse pas sur place, mais qui nous envoie en mission pour que nous nous mettions au service de ces réalités dans lesquelles nous croyons.

Et le Christ invite à se mettre à son service, non pas personnellement, mais au service de son Evangile qui invite à la paix, à la fraternité, à la douceur, au pardon, au service à l’humilité et à l’amour.
Là est le salut que nous cherchons, là est ce qui peut donner sens à notre vie, et même nous donner la vie, la joie et la lumière.

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Actes 9 :1-9
Cependant Saul, qui respirait encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur, se rendit chez le souverain sacrificateur et lui demanda des lettres pour les synagogues de Damas, afin que, s’il y trouvait quelques-uns, hommes ou femmes, qui suivent cette Voie, il les amène liés à Jérusalem.
Comme il était en chemin et qu’il approchait de Damas, tout à coup une lumière venant du ciel resplendit autour de lui. Il tomba par terre et entendit une voix qui lui disait : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Il répondit : Qui es-tu, Seigneur ? Et le Seigneur dit : Moi, je suis Jésus que tu persécutes, [il te serait dur de regimber contre les aiguillons. Tout tremblant et stupéfait il dit : Seigneur que veux-tu que je fasse ? Alors le Seigneur lui dit] : Lève-toi, entre dans la ville, et l’on te dira ce que tu dois faire. Les hommes qui voyageaient avec lui s’étaient arrêtés, muets de stupeur ; ils entendaient la voix, mais ne voyaient personne. Saul se releva de terre, et, malgré ses yeux ouverts, il ne voyait rien ; on le prit par la main pour le conduire à Damas. Il fut trois jours sans voir, et ne mangea ni ne but.

Act. 9:1-9