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Archives-Reflexions

Sommes-nous libres d'inventer notre avenir ?...

 

 Face à la question "Avons-nous le droit d'inventer notre avenir ?", le chrétien, et plus généralement le croyant monothéiste, est mal à l'aise.

En effet, le catéchisme traditionnel des juifs, des chrétiens et des musulmans énonce : Dieu seul est maître de l'avenir. Toute prévision de l'avenir, toute stratégie face à l'avenir serait condamnable et impie.

L'interdit biblique porte sur trois points : interdiction de vouloir connaître l'avenir (par l'astrologie, les augures...), interdiction de faire des provisions pour l'avenir (par exemple, en faisant des provisions de manne céleste pendant la traversée du désert), interdiction de faire des projets pour l'avenir et de se mettre ainsi à la place de Dieu.

Le véritable croyant, ce serait celui qui dit "Inch Allah", "Si Dieu veut", et "A Dieu vat". C'est au nom de ce principe que les musulmans, mais aussi les juifs et les catholiques refusaient souvent de souscrire des assurances (encore aujourd'hui, on souscrit trois fois plus s'assurances vie dans les pays protestants que dans les pays catholiques !). Car souscrire une assurance, c'est se soustraire à la libre décision de Dieu qui, par exemple, choisira de faire couler le Titanic, sans que l'homme n'ait le droit de tirer son épingle du jeu et d'en faire son profit, même en touchant une assurance. On n'a pas le droit de supputer sur l'avenir.

Par opposition avec cette manière de voir, nous pensons au contraire que l'homme est responsable de l'avenir et de la construction de cet avenir.

Et ce pour quatre raisons :

  • Dieu a élu l'homme pour qu'il soit roi sur la terre. L'homme est libre et il est seigneur en ce monde et sur ce monde. Il est le ministre plénipotentiaire de Dieu, et peut donc agir "comme s'il n'y avait pas de Dieu". Il est le "lieu-tenant" de Dieu, c'est-à-dire le "tenant-lieu" de Dieu. Il agit librement au nom de Dieu, et de ce fait il peut agir sur l'avenir. Le récit biblique de la création du monde par Dieu (Genèse I) nous rapporte que, depuis le septième jour, Dieu se repose. Et c'est à l'homme de poursuivre le travail créateur de Dieu en oeuvrant ainsi à la venue du Royaume de Dieu.

  • La foi, ce n'est pas d'abord compter sur Dieu pour qu'il intervienne dans le monde en faisant des miracles. La foi, c'est la confiance, l'aptitude à entreprendre et à envisager l'avenir de manière constructive. La foi, c'est la foi qui peut déplacer les montagnes. Ce n'est pas attendre que Dieu les déplace.
    Ainsi la foi, ce n'est pas compter sur Dieu pour qu'il résolve nos problèmes, mais c'est, grâce au sentiment de sécurité qu'Il nous donne, avoir confiance que nous pouvons les résoudre seuls. La foi, disait le philosophe Wittgenstein, c'est le sentiment d'absolue sécurité, car tout est entre les mains de Dieu. Et, paradoxalement, ce sentiment de sécurité et de confiance nous donne, à nous, des mains.

  • L'homme doit agir dans ce monde selon la logique de ce monde. Le "règne du monde", pour parler comme Luther, est désacralisé. Il est profane. Et c'est bien ainsi, grâce à Dieu ! Il y a une bénédiction sur le monde profane et sur les activités profanes de l'homme. Ainsi, au nom de l'Évangile, il y a une autonomie du politique, de l'État, de la science, de la technique et de la morale. L'économie, la politique, la stratégie, la prospective peuvent être conduites de manière laïque, profane et non religieuse.

  • L'avenir est le lieu de la liberté. L'évolution du monde n'est pas linéaire, elle est une succession de bifurcations. Et il y a des espaces d'incertitude. C'est tant mieux pour celui qui croit à la liberté. L'homme a une liberté face à l'avenir parce que le futur est incertain. Il est ouvert. Il n'est ni déterminé ni inéluctable. La liberté, c'est jouer avec les incertitudes, c'est jouer avec la grâce des incertitudes, c'est jouer avec ce que Dieu crée dans le monde, à savoir l'incertain, le non-déterminé. Il nous faut cesser de penser Dieu comme le maître implacable d'un déterminisme et d'un destin incontournables pour le voir, à l'image de Jésus-Christ, comme Celui qui ouvre le carcan des déterminations, fracture le verrou de l'imparable et débloque la possibilité d'une invention de l'avenir.
    La liberté n'est pas en opposition avec la foi, mais bien au contraire une production de la foi et de la confiance. La parabole des talents va dans ce sens.

Alain Houziaux