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Archives-Reflexions

Quels sont nos veaux d'or

L’Ancien Testament n’a de cesse de condamner le culte des idoles. C’est énoncé dans le texte des dix paroles : « Tu ne te feras pas d’idole, ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut, sur terre ici-bas ou dans les eaux sous la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas, car c’est moi l’Éternel, ton Dieu » (Ex 20,4-5).
 
L’histoire du veau d’or (Ex 32) peut sembler obsolète, pourtant ce récit a de quoi nous interpeller.La réaction des Hébreux est-elle si condamnable ? Après tout, cela fait 40 jours que Moïse a disparu ! Certes il a fait des miracles, mais ils en ont assez d’être coincés dans ce désert. Leur patience a atteint ses limites. Ils mettent en doute l’existence de ce Dieu qu’ils n’ont jamais vu ! Ce Dieu que tout oppose aux idoles, puisque « idole » signifie ce qui se donne à voir. Alors, pour palier toutes ces incertitudes, pourquoi ne pas se faire un dieu visible ?
 
La Bible insiste sur la patience de Dieu. Et, là, c’est l’impatience des humains qui va les faire chuter. Être impatient c’est vouloir que nos désirs se manifestent et se concrétisent immédiatement ! C’est par l’idolâtrie que l’on cherche à combler la brèche de la peur, de l’incompréhension, par un objet fini. Par manque de foi, tout comme les Hébreux, aujourd’hui encore, nous comblons l’impossibilité d’appréhender l’infini de Dieu en nous tournant vers l’univers de la matérialité.
 
Dans ce récit, un verset m’a particulièrement intriguée :
« Aaron leur dit : Défaites les anneaux d’or qui sont aux oreilles de vos femmes, de vos fils et de vos filles, et apportez- les-moi » (Ex 32,2). Pourquoi donc seul l’or des boucles d’oreille va-t-il être fondu pour construire ce veau d’or ? Ne serait-ce pas parce qu’en offrant des anneaux, ils sacrifiaient les fonctions mêmes de l’oreille : l’écoute et également l’équilibre. Malgré les paroles que Dieu leur a adressées, ils perdent l’équilibre, ils vacillent.
 
Le veau, quant à lui, renvoie aux attributs de certains dieux égyptiens ou mésopotamiens. Or, l’Éternel s’oppose à cette image de dieux inutiles, archaïques, jaloux, sanguinaires, ces dieux à l’image des humains, alors que c’est le contraire : ce sont les êtres humains qui sont à la ressemblance de Dieu. L’Éternel, lui, libère, il pardonne. Cette expérience encadre notre récit. Dieu vient de délivrer son peuple du joug des Égyptiens, et il va lui pardonner. En effet, Moïse en redescendant du mont Sinaï, voyant le veau d’or, va casser les tables de la loi (Ex 32,19), puis il brûle le veau.
 
L’histoire des Hébreux aurait dû s’arrêter là, en plein milieu du désert. Pourtant elle continue. Dieu leur offre une seconde chance. Moïse remonte sur la montagne, il reçoit à nouveau les tables de la loi (Ex 34). Le texte est d’une grande subtilité, puisque lorsqu’il redescend son visage est qualifié de « keren », qui signifie brillant, mais aussi cornu. Cela peut s’interpréter comme reflétant la gloire de l’Éternel, mais également comme signe de la puissance divine car dans le Proche- Orient Ancien, les cornes sont les attributs des dieux. Dieu ne se donne pas à voir dans une statue inutile, mais à entendre dans une parole qui sera portée par Moïse, le plus grand des prophètes (Dt 34,10). Il s’oppose ainsi à tous désirs de se faire des représentations.
 
Et aujourd’hui, quelles sont nos idoles ?
L’interprétation la plus classique, c’est de voir dans l’argent, le pouvoir, les idoles de notre monde contemporain. Il y en a bien d’autres. Les addictions sont de l’ordre de l’idolâtrie. Et dans ces périodes de crises, nombreux sont ceux qui se raccrochent à des discours simplistes, s’attachent à des « gourous » qui leur promettent de leur donner du pouvoir. Tous ces manques que nous cherchons à combler par des divinités qui nous font du bien, immédiatement. L’idole est puissante et me donne l’impression de puissance, mais en réalité elle me rend dépendante.
 
Il y a aussi un risque théologique : celui d’enfermer Dieu dans des images, des discours, des catégories. De créer un dieu à notre image alors que c’est Dieu qui nous a créés. Se servir de lui pour appuyer nos discours, pour rejeter l’autre, au lieu de nous mettre à son écoute. Alors que la Bible nous invite à chercher Dieu et non à l’enfermer. Dieu se présente comme le Dieu de notre père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob (Ex 3,6). Un Dieu unique, qui pourtant a une relation particulière, intime avec chacun, chacune d’entre nous. C’est l’Éternel qui me libère et me pardonne comme il l’a fait pour les Hébreux.

Florence Blondon