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« Mon bien aimé est comme une gazelle ou un faon de biches » (Cant. 2:9)

 

Voilà une affirmation poétique du Cantique des cantiques, qui peut aussi être lue comme une affirmation théologique. En effet, depuis plusieurs millénaires, on a lu ce chant d’amour comme une image de l’amour entre Dieu (qui est le bien aimé ou l’époux), et l’humanité (qui est la fiancée). Jésus lui-même reprendra cette allégorie bien des fois en se présentant comme l’époux et notre relation à lui étant comme une noce.

L’affirmation théologique, c’est là de nous apprendre que Dieu est semblable à une gazelle ou à un faon de biches.

La première idée est que Dieu est comme un animal sauvage, il n’est pas semblable à un animal domestique soumis à son maître et enfermé dans la maison, Dieu est comme il est et pas toujours comme nous le voudrions. C’est ainsi qu’il n’est pas simple projection de notre désir. Ensuite, comme tout animal sauvage de la forêt, il est difficile à approcher et à observer. Pour s’approcher de Dieu, il faut aussi beaucoup de patience, de persévérance, il faut savoir faire silence, arrêter de courir ou de bouger dans tous les sens, et attendre en prenant son temps. Il peut arriver même qu’on veuille vraiment faire une démarche spirituelle pour chercher Dieu, et qu’on ne le voie pas. Mais il faut revenir et quand on l’aperçoit, même de loin, quelle joie ! Mais aussi chaque fois qu’on croit le saisir, déjà il s’échappe pour aller plus loin. Dieu est toujours au delà de ce que nous pensons en connaître.

Ensuite, les animaux choisis là sont tous de l’ordre de la douceur, Dieu n’est pas comparé à un lion ou un crocodile, mais à une faible gazelle ou un petit faon. Dieu nous est présenté là comme plus de l’ordre de la tendresse et de l’amour que de celui de la force, de la violence ou de la puissance.

Mais il faut tempérer cela, Dieu n’est pas que du côté des victimes, des pauvres et des faibles, s’il est vrai que le mot « gazelle » en hébreu se dit « tsevi », ce qui signifie « la beauté », « l’ornement », les biches mentionnées par nos traductions sont une invention, en fait le texte original a « cerfs » au masculin donc. Et le cerf en hébreu se dit « Ayil » ce qui signifie la force. Ainsi, Dieu est un mélange de douceur et de force, il est alliance du féminin et du masculin, il est pour nous tout autant père que mère. Et donc notre verset dit que Dieu est à la fois le beau et la force. Voilà une double affirmation essentielle.

Que Dieu soit le beau, les philosophes grecs le disent depuis longtemps en affirmant qu’il est le kalon kagathon : le beau et le bon (ou le bien). De ce point de vue, croire en Dieu est simple, c’est croire que le beau existe et vouloir centrer sa vie sur une quête du beau et du bien. Que Dieu soit force est plus discutable, mais essentiel : Dieu n’est pas simplement un idéal philosophique ou moral une idée abstraite, il est aussi une puissance agissant dans le monde. D’un point de vue cosmique ou dans le cours matériel du monde, ce n’est peut-être pas évident, mais nombreux sont ceux qui peuvent témoigner que Dieu est pour l’homme qui le connaît une force extraordinaire de transformation, de renouveau, de relevée et de vie. Mais ici Dieu n’est pas présenté comme la force même, mais comme le faon de ce cerf-force. Mais là encore nos traducteurs ont fait du roman. Le mot traduit par « faon », « Opher » est très courant dans la Bible et toujours traduit pas « poussière », jamais par « faon ». Dieu n’est ainsi pas présenté comme la force elle-même, mais comme « poussière de force ». Dieu n’est pas là toute-puissance, mais il est comme un nuage de force, de la poussière de puissance qui nous environne, qui est partout sans qu’on puisse vraiment la délimiter.

Et cette poussière, c’est aussi celle à partir de laquelle l’homme a été créé dans la Genèse. Dieu est ainsi donné comme de la force en poudre à laquelle il faut ajouter de l’eau, l’eau du baptême, l’eau de la grâce pour qu’elle devienne effective. Le Royaume de Dieu est semblable, nous dira le Christ, à ce grain de moutarde grand comme un grain de poussière, mais qui est appelé à grandir pour devenir comme un arbre dans lequel les oiseaux du Ciel qui sont le saint Esprit peuvent venir loger.

Louis Pernot