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Archives-Reflexions

La souffrance

 

Je veux aborder de front la question : est-ce que la souffrance peut servir à quelque chose ?

Les protestants, en général, refusent tout sens spirituel à la souffrance et toute utilité à la souffrance. Mais à mon avis, ils ont tort. Et ce pour deux raisons au moins.

1) Et voici la première. La souffrance nous apprend à être plus humble, plus miséricordieux et plus tolérant vis-à-vis d'autrui. Quand on n'a jamais souffert, on ne sait pas ce que c'est que d'être faible, médiocre, et même égoïste et aigri. Mais quand on est passé par la souffrance, on le sait, parce qu'on a été soi-même égoïste, aigri, faible et impuissant. Et c'est alors que l'on apprend à devenir humble, humble vis-à-vis de soi-même et compréhensif vis-à-vis d'autrui. C'est l'expérience de la souffrance qui rabote notre ego, nos jugements tout faits et trop rapides. C'est l'expérience de la souffrance, et même celle du péché qui nous rend humains et qui nous fait perdre notre dureté.

Quand on recrute des écoutants pour SOS Amitié, c'est-à-dire des personnes pour répondre aux appels téléphoniques des désespérés, on ne recherche pas des saints, des êtres irréprochables et vertueux. On recherche seulement des personnes qui ont beaucoup souffert et peut-être beaucoup péché.

La seule vérité de l'homme, c'est celle de sa médiocrité et de sa faiblesse. C'est celle de sa souffrance. Et c'est cette faiblesse et cette souffrance qu'il faut comprendre et même aimer. C'est ce que disait la philosophe Simone Weil. Le péché, disait-elle, c'est la méconnaissance de la misère humaine. Et la sainteté, c'est le fait de la comprendre et même de l'aimer.

Oui, heureux celui qui fait l'expérience de la souffrance, car il découvre ainsi l'humilité et la miséricorde.

2) Un deuxième point. Contrairement à ce que l'on pense souvent, les épreuves ne nous font pas perdre nos convictions. Bien au contraire, elles les rendent plus vraies, plus fortes et je dirais plus insubmersibles. Ceux qui sont passés par les camps de prisonniers n'ont pas perdu leurs convictions. Bien au contraire, ils ont découvert des convictions plus sûres et plus résistantes. Le philosophe Cioran le disait : tant que l'on n'a pas souffert, on vit souvent dans le faux et dans le faux-semblant. On triche. on fait semblant d'avoir des convictions que l'on n'a pas vraiment. Par contre, lorsqu'on souffre, on découvre, comme le dit Jésus, l'" unique nécessaire " (Luc 10:43) c'est-à-dire ce qui compte vraiment, ce qui nous est vraiment indispensable. Oui, il vaut mieux croire peu mais bon et sûr.

Ce qui compte vraiment, ce qui maintient en nous la vie et le courage, c'est différent pour chacun d'entre nous. Cela peut être le nom d'une femme, le nom d'un village, le nom d'un enfant. Cela peut être un mot d'ordre que nous ont laissé nos parents. Cela peut être aussi un verset de la Bible.

Pour moi, ce qui est mon roc et mon soutien lorsque, à force de souffrance, de solitude et de dépit, je n'ai plus rien de sûr à quoi me raccrocher, c'est la force tranquille de cette affirmation de Saint Paul : " rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ " (Rom. 8,38).

Mon frère, ma soeur, sur ton lit de souffrance, tu es aimé tel que tu es, tu es accepté tel que tu es, et ce même si, à cause de ta souffrance, tu te sens devenir inacceptable et insupportable pour les autres et pour toi. Tu n'as pas à justifier ta vie. Tu n'as pas à mériter ta vie. Tu as le droit d'être aigre. Tu as le droit d'être faible. Tu as le droit d'être inutile. Tu as le droit d'être ce que tu es. Et tu as ce droit par grâce, par grâce seule. C'est le droit que Dieu te fait dans sa grâce.

C'est la souffrance qui nous fait redécouvrir le sens de l'affirmation de Saint Paul et de Luther : quoi qu'il arrive, notre vie est justifiée, et cela par grâce seule.

Alain Houziaux